Le dilemme du prisonnier
Et là, vous vous dites « mais qu’est-ce qui lui prend au Jean-Fabien de nous parler de sujets comme ça ? La semaine dernière, il nous fait un plan sur ses déboires aromatiques en mode râleur et voilà que cette fois il parle de prison. Ouais… je crois qu’il vieillit ».

Ok, c’est vrai que ça sonne un peu craquage – ajouté au fait que je vieillis effectivement. Mais savez-vous au moins de quoi il s’agit ?
Est-il question de la déprime du délinquant moyen dans les prisons françaises qui débordent ? De la mise en œuvre des politiques pénales désastreuses voulues par Nicolas Sarkozy et qui n’ont pas encore été remises en cause par Christiane Taubira (rétention de sûreté et compagnie) ?
Eh bien, pas du tout.
Le dilemme du prisonnier est une sorte de parabole que l’on trouve en théorie des jeux qui montre comment, lorsque deux personnes – qui ne peuvent communiquer ensemble – se retrouvent face à un choix de collaboration, ils prennent naturellement l’option de la trahison.
Pourquoi je vous parle de ça ?
Parce que je trouve qu’il résume bien le fonctionnement actuel de la société, où en l’absence de coordination globale, les êtres humains appliquent des stratégies égoïstes qui nuisent à l’ensemble de la communauté, et particulièrement à eux-mêmes (Olivier Besancenot, sors de ce corps).
Quesako ?
Imaginons que la police arrête deux complices présumés d’un crime odieux (si le crime n’est pas odieux, c’est moins drôle) et les interroge séparément sans qu’ils puissent se parler (on leur a confisqué leur portable et fouillé leur anus pour vérifier qu’ils n’y cachaient pas des talkies-walkies).
En effet, on suppose que la police ne possède pas les éléments nécessaires à leur inculpation et que donc – un peu comme dans les films américains où les policiers mâchent des chewing-gums en faisant des grimaces – ils vont les faire « craquer ». Peut-être vont-ils utiliser la technique du good-cop bad-cop, mais à vrai dire on s’en fout.
Le deal est le suivant. Le policier propose à chaque « gardé à vue » :
- Si tu dénonces ton complice et qu’il ne te dénonce pas, tu seras remis en liberté et lui prendra 10 ans
- Si tu le dénonces et lui aussi, vous prenez tous les deux 5 ans
- Si personne ne se dénonce, vous prenez tous les deux 6 mois.
Ainsi, chaque prisonnier, se retrouvant seul dans sa cellule (on n’est pas en France donc) fait le calcul, apparemment logique, suivant.
« Ok, considérons deux cas : soit il me dénonce, soit il me dénonce pas.
- Il me dénonce :
. Si je ne dis rien, je fais 10 ans
. Si je le dénonce, je n’en fais que 5.
- Il ne me dénonce pas :
. Si je dis rien, je fais 6 mois.
. Si je le dénonce, je suis libre. »
Comme dans les deux cas, il semble plus judicieux de « dénoncer » et que les deux prisonniers font le même raisonnement, les prisonniers se dénoncent mutuellement et font 5 ans, alors qu’une stratégie « collaborative » de silence aurait conduit à ce qu’ils ne fassent que 6 mois de prison.
Pourquoi ?
En réfléchissant à sa seule échelle – égoïstement donc –, le prisonnier se condamne lui-même (et l’autre avec, mais ça, il s’en tape). En ne réfléchissant pas globalement, il construit une logique indépendante du système dans lequel il évolue et n’essaye pas de projeter quelle pourrait être la réaction de l’autre (pourtant forcément un gros bâtard comme lui).
Ainsi, bien qu’emprunt de rationalité, ce choix purement individuel n’est pas optimal.
Dans la théorie des jeux, on dit que ce jeu est à somme non nulle, c’est-à-dire que la somme des gains pour l’ensemble des participants n’est pas toujours la même. Ainsi, suivant que l’on collabore ou pas, le résultat est différent : 1 an global de prison si l’on collabore versus 10 ans dans tous les autres cas (mais différemment répartis suivant les options).
On dit qu’il y a dilemme dès lors que la tentation paye plus que la coopération. En l’occurrence, le raisonnement pourrait se résumer ainsi : je peux être libre si je me démerde bien, tandis que la coopération m’amènera forcément en prison.
Mais quittons un instant la théorie.
Quelles applications ?
On peut appliquer ce dilemme à nombre de situations, particulièrement celles nécessitant une coopération entre acteurs, mais où si l’un des acteurs ne coopère pas, tandis que les autres le font, c’est lui qui en sort « vainqueur ».
On pense notamment à la libre concurrence – où les acteurs ne doivent pas coopérer par construction – et où l’on peut donc arguer que ce système ne donne pas l’optimal en termes de distribution des gains.
L’exemple le plus parlant pour moi – même si je n’ai jamais été dans la situation du prisonnier – est celui d’une relation de couple (attention, je n’ai pas dit que mon couple était « libre »).
Imaginons un couple en conflit où chaque partenaire a trompé sans que l’autre ne le sache, mais où le soupçon règne (d’où le conflit). Une solution de collaboration serait que chacun avoue sa faute, ce qui entraînerait une réconciliation probable, mais, finalement, chaque « prisonnier », craignant le mépris de l’autre – si celui-ci n’a pas fauté –, préfère la situation de conflit, qui constitue presque une zone de confort.
Evidemment dans ce dernier exemple, personne n’a envie d’en reprendre pour 10 ans.
CQFD.
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