Le dîner du CRIF
Comme chaque année, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) a organisé son dîner auquel ont été invité des personnalités politiques, dont le Président François Hollande. Et comme d’habitude, il a été question de l’antisémitisme et de la recrudescence des actes anti-juifs, notamment sur les réseaux sociaux. L’antisémitisme serait en progression spectaculaire en France. Selon le Président du CRIF Richard Prasquier, qui s’appuie sur le rapport du Service de protection de la communauté juive (SPCJ), le nombre d’actes antisémites a augmenté de 58% en 2012 par rapport à 2011. Un discours alarmant qui en rappelle d’autres, chaque année, et auxquels les responsables politiques répondent en promettant une lutte encore plus vigoureuse contre l’antisémitisme.
Le dîner du CRIF prend ainsi les allures d’un hémicycle où les politiques sont sommés de s’expliquer sur la recrudescence des actes antisémites. En réponse, ils promettent toujours plus de moyen dans la lutte contre l’antisémitisme. Ce qui soulève au moins deux questions, l’une concernant le phénomène de l’antisémitisme en France, l’autre concernant la politisation d’un dîner, a priori conçu pour être un moment de convivialité.
Sur le phénomène de l’antisémitisme
En mars 2009, le sociologue Laurent Mucchielli, sur la base des données de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), organisme public, a publié un document contredisant le discours récurrent du CRIF, qualifié, au passage, de « discours rituel ». Il fait le constat dans son analyse que l'antisémitisme sur une longue période avait diminué dans le pays. Il y a toutefois des pics d’actes antisémites attribuables aux fluctuations du conflit israélo-palestinien. Le pic de janvier 2009, par exemple, s’explique par une raison conjoncturelle : les réactions à l’opération « plomb durci » menée par Tsahal contre la Bande de Gaza. Un pic qui en rappelle un autre, en 2000, durant la deuxième Intifada.
Ainsi, pour Mucchielli, il n’y a pas d’augmentation tendancielle de l’antisémitisme en France, 90 % des Français considérant les juifs comme des Français. Dans son étude, le chercheur dénonce en revanche « une incapacité du CRIF à prendre ses distances avec l’État israélien ». Une attitude qui pourrait expliquer « l’incapacité », en retour, de nombreux Français maghrébins à distinguer la politique israélienne de la communauté juive en général.
Il y a quelque chose de rassurant dans cette étude, qui n’avait pas été contestée sur le fond, pour les « Français ». On est dédouané de l’infamante accusation collective d’antisémitisme. Rassurant en partie seulement, puisque le rapport du CRIF à Israël n’est pas prêt d’évoluer, comme on peut s’en rendre compte en écoutant M. Prasquier fustiger l’« israélophobie » et revendiquant fièrement : « Je suis sioniste, comme la grande majorité de la population juive de France et comme les membres du Crif. »[1]
Pendant ce temps, la réaction des musulmans de France aux évènements touchant le monde arabo-musulman est toujours à craindre, même au-delà du conflit israélo-palestinien, comme on a pu s’en rendre compte avec l’affaire du navet anti-Mahomet.
Il s’agit d’un antisémitisme réduit à l’échelle d’un conflit intercommunautaire sur le sol français, mais alimenté par des facteurs exogènes.
Et puisqu’on parle de communauté, revenons au sujet principal : « le dîner ». C’est a priori un moment de convivialité dont se demande comment il a pu glisser à ce point dans la politisation.
Un dîner comme moment de convivialité
Sur la voie des revendications identitaires, il ne sera pas possible de recopier le « diner politisé du CRIF ». Les autres communautés (arabes/musulmans, noires) sont traversées par l’idée de « faire comme le CRIF ». Un dîner des Arabes ou des Noirs de France auquel les politiques seraient invités avec la quasi-obligation de répondre à la question des discriminations spécifiques subie par leur communauté en France.
La création du CRAN (Conseil Représentatif des Association des Noirs de France) faisait, à peu près, écho à la position visiblement privilégiée du CRIF dans les rapports que sa communauté entretient avec les politiques. L’association n’a pas réussi à s’imposer, ce qui n’est pas le cas du Conseil français du culte musulman (CFCM) qui pourrait, un jour embarrasser nos politiques en adoptant la tradition des dîners annuels sur le modèle du dîner du CRIF.
S’il ne s’agit que d’un moment de convivialité, on s’y rend avec plaisir. Mais s’il faut aller y prendre des engagements politiques et le clamer dans tous les médias, on n’en reviendrait pas compte tenu de la diversité des communautés et des revendications spécifiques.
Boniface MUSAVULI
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