Le Disque rayé de la Droite la plus bête du monde
« En marche » vers la réélection de Macron (ou le sacre de Mélenchon) ?
Plus de six mois après ce 23 avril funeste, le bal des mauvais perdants continue inlassablement.
De Laurent Wauquiez, le déjà patron des Républicains, à Nicolas Dupont-Aignan (NDA), en passant par les seconds couteaux du "futur ex" Front National, la messe est dite :
Premièrement, Macron est complètement illégitime, car son élection a été « la plus grande manipulation que la 5e République ait connue »1 .
Deuxièmement, il n'est pas le représentant de « la vraie France » mais des élites mondialisées.
Troisièmement (si besoin est) il est forcément et à priori « laxiste » (sur l'immigration, sur le terrorisme, sur l'assistanat…) 2.
En vérité, ces arguments ont été servis aux Français bien avant l'élection de Macron, dès le mois de janvier 2017, par un François Fillon qui évoquait, dans un demi-lapsus révélateur, des forces obscures "en train de [me 3] voler l'élection". C'étaient aussi les idées force du tandem NDA-Marine Le Pen entre les deux tours, qui ont explosé en vol lors du fameux débat télévisé 4.
Tout juste Les Républicains ont-ils enrichi cet argumentaire pour le moins indigent en s'auto proclamant défenseurs « des territoires » contre des métropoles plus favorables à Macron, après des législatives moins catastrophiques que prévu où la « ruralité » a sauvé nombre de notables locaux.
Lorsqu'on s'astreint à suivre la campagne interne de Wauquiez, la stagnation est encore plus impressionnante : l’objectif revendiqué de l'impétrant consiste à...se mettre dans les pas du Nicolas Sarkozy qui a triomphé en 2007 !
Il n'y a donc rien à voir, et rien à discuter :
si Macron s'est imposé, c'est en raison d'un vol d'élection.
En conséquence, il est urgent de « continuer comme avant », en ne touchant pas une virgule.
Sans vouloir être désobligeant ni refaire l'histoire, on peut quand même souligner que 2007, ça commence à dater un peu.
Que le candidat Sarkozy de 2007 a lui aussi été le chouchou des médias pendant 5 ans, et qu'il n'était pas particulièrement opposé aux « élites mondialisées », à l'époque (on se souvient d'un « Rapport Attali », censé débloquer la France, à l'automne 2007, dont le rapporteur était un certain Emmanuel Macron).
Ou que sa « recette » n'a pas permis de réitérer la performance 5 ans plus tard, et a même débouché sur l'élection d'un François Hollande au programme ectoplasmique, qui tenait pour l'essentiel à « ne pas reconduire Sarkozy ».
Et enfin, les historiens trouveront là un sujet inépuisable, que son successeur François Fillon a signé un des crashs politiques les plus incroyables de l'histoire contemporaine, un 21 avril au carré, avec son élimination du 2e tour de la présidentielle, simultanée à celle du candidat de l’autre parti de gouvernement.
À en croire les ténors de la Droite la plus bête du monde, les Français sont donc très manipulables, limites cons. Renversons la perspective :
la manipulation première, dans cette histoire, n'est pas venue des « révélations » du Canard Enchaîné mais d'un candidat qui s'est pensé élu d'avance en vertu de « l'effet essuie-glace »5 et du repoussoir frontiste. Et qui s'est finalement ligoté tout seul avec un programme économico-social limité à « sa base », pas illogique dans le contexte européen que l’on connaît, mais radicalement repoussant pour nombre de Français.
Loin de relever de la manipulation, Macron (et même, dans une moindre mesure, Le Pen) est apparu comme un moindre mal par rapport au candidat naturel du 2e parti de gouvernement. Pour beaucoup de compatriotes, un vote par défaut en toute conscience.
Je passe rapidement sur l'autre soi-disant manipulation de cette présidentielle, celle du 2e tour, tant l'élection de la candidate frontiste était des plus improbable dès le début, faute d'alliés et d’une préparation suffisante en amont :
Ce qui était possible dans l’urgence d’un 2e tour d’une présidentielle (le ralliement de NDA) était absolument impensable lors d’une consultation mineure, les élections régionale de décembre 2015 6. Comprenne qui voudra...
On notera que les thèmes de la sécurité, de l'islamisme ou les discours "anti élites" n'ont permis, ni en 2012, ni en 2017, de sursaut salvateur (à eux seuls). Venant après les attentats massifs de 2015 et 2016, et la crise migratoire elle aussi massive de l'été 2015, on peut sans trop de risque estimer qu'il est un peu court de répéter les mêmes mantras en espérant un résultat différent.
Intuitivement, on sait que c'est très souvent « celui qui en parle le plus qui en fait le moins ». C'est facile de tartiner sur l'identité, sur l'arrêt de l'immigration, ou sur la France éternelle, mais c'est moins évident de traduire ça dans des politiques concrètes.
On en a eu un bref aperçu entre les deux tours, lorsque Marine Le Pen et NDA sont (presque) apparus en situation d'exercer le pouvoir. Ainsi de l'instauration d'un « délai de carence » avant de bénéficier de la gratuité des services publics pour les étrangers entrant en France. L'idée, pas bête, a été amendée, pour ce qui concerne la seule scolarisation des enfants, dans l'accord de gouvernement signé sur un coin de table par les duettistes (document en pièce jointe). Si on se préoccupe de faits concrets, on pourrait à plus forte raison faire cette objection pour la santé, puisque par définition les enfants dépendent des parents et ne gagnent pas leur vie.
Ou aussi de « l’interdiction de tout signe religieux dans l’espace public », sans que la France évolue vers une République à l’iranienne, avec une police du vêtement, ou une république démocratique, avec ses commissaires politiques.
À contrario, François Fillon, le chantre de la France éternelle, prétendait d’un même mouvement décalquer brutalement l'ordo libéralisme à l'allemande, tout en confortant un système de retraite par répartition hérité des années 50. En matière d'identité on fait plus cohérent.
Reste, en creux, une sorte de politique du pire, mais très passive : l'attente de la prochaine grave crise ou du prochain attentat. Là aussi on ne prend pas trop de risque en estimant que c'est un peu court.
Sans dire que l'herbe est toujours plus verte dans le pré du voisin, un détour par l'étranger permet, à mon sens, de prendre encore plus la mesure de la paralysie idéologique qui a figé la Droite française.
L’évocation des partis conservateurs qui dirigent les pays d’Europe de l’Est la fait régulièrement se pâmer . Il lui arrive aussi de se revendiquer de Donald Trump.
Il y a toutefois des divergences énormes :
si, en France, la Droite accepte pleinement de jouer un jeu macro économique qui nous désavantage sur tous les plans (que ce soit la contribution nette au budget de l’UE, les travailleurs détachés, les délocalisations, ou la monnaie mal adaptée à notre économie), elle se montre nettement plus combative ailleurs et peut, sans usurpation, se dire réellement « populaire ».
Les pays de l’Est sont européens par raison, parce qu’ils bénéficient du système économique libéral mis en place, en négatif de nous. Ceci sans parler des subventions. Encore ne faut-il pas trop les chatouiller avec des quotas de migrants, ou sur leurs choix de politique étrangère résolument pro Etats-Unis.
Trump a, lui, choisi soigneusement de battre froid les pays ayant de forts excédents commerciaux sur les USA : Chine, Mexique, Allemagne.
Hormis l’immigration massive, nous sommes à peu près dans la même situation avec les pays d’Europe de l’Est que les USA avec le Mexique. On cherche vainement les moments où la Droite française a posé le problème.
L’exemple anglais, où les conservateurs ont pris en charge la demande de Brexit, la fait encore moins rêver. Jusqu’à l’Espagne où le premier ministre pourtant conservateur Mariano Rajoy jugule une tentative d’indépendance catalane dont le moteur est par définition...« l’identité ».
Pour la Droite française, c’est à n’y rien comprendre, et elle reste muette sur tous ces sujets.
Dans ce paysage, le futur ex FN, avec ou sans Philippot, n’a en définitive pas d’autre choix que de maintenir sa dualité « identitaire » et « sociale », qui est un handicap autant qu’un avantage, faute de quoi il sera contraint de rester en tête à tête avec Les Républicains pour se disputer les restes de l’électorat conservateur.
Les conséquence de l’auto exclusion de Philippot ne doivent sans doute pas être surestimées, mais l’événement, qui couvait depuis des mois, est révélateur de cette Droite qui pense littéralement à l’envers :
la « dédiabolisation », l’accent mis sur les questions monétaires et économiques, ont été immédiatement, sans autre forme de procès, rendus responsables de la défaite de la candidate, quand bien même elle n’avait qu’une chance infime d’obtenir « 50 % des voix plus une », et alors même que ces orientations ont sans doute été déterminantes pour contenir et dépasser (d’une courte tête) François Fillon.
La lutte d’influence entre les deux mouvements qui prétendent faire main basse sur la Droite la plus bête du monde se solde pour l’heure par un match nul, l’avantage acquis par le FN sur Les Républicains aux présidentielles n’ayant pas été confirmé aux législatives. La situation reste donc ouverte. Mais Les Républicains, de loin les plus pénétrés par cette sclérose idéologique, risquent fort de rejoindre, avec, certes, un temps de retard, le Parti socialiste sur la voie de la marginalisation définitive.
Il est vain d’attendre qu’une divine catastrophe désarçonne un Emmanuel Macron tout à fait conscient d’être élu par défaut (voire même par chance) et, qui n’a, jusqu’à présent, pas « dévissé » dans l’opinion. En dépit de ses orientations très pro-européennes, le pragmatisme et l’habileté de l’homme peuvent tout à fait le conduire à infléchir son inclinaison naturelle pour élargir son assise au-delà des cadres supérieurs urbains et des régions de l’Ouest pas trop sinistrées.
À moins que cette situation ne finisse par bénéficier à Jean-Luc Mélenchon, dont la capacité d’évolution est incontestable, en dépit du théâtre trouble entretenu par le personnage et sa cohorte d’autoproclamés « insoumis ».
1Voir le discours de rentrée de NDA sur http://www.debout-la-france.fr/actualite/discours-de-nda-aux-universites-de-rentree-de-debout-la-france
2Voir par exemple http://www.lefigaro.fr/politique/2017/10/25/01002-20171025ARTFIG00363-laurent-wauquiez-s-insurge-contre-les-elites.php
3Pronom possessif ajouté
4« Les Français attendaient que je présente mon projet, nous avons considéré qu'il était plus efficace de dénoncer la politique d'Emmanuel Macron » a-t-elle confié. » voir http://www.francetvinfo.fr/politique/marine-le-pen/les-cinq-sequences-a-retenir-de-l-emission-politique-avec-marine-le-pen_2427797.html
5L’expression est de Jean-Pierre Chevènement, et rappelle la fausse alternance droite-gauche dans laquelle sont enfermés les Français : un coup à droite, un coup à gauche, l'échec des uns entraînant mécaniquement l'élection des autres.
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