Le doigt dans l’œil
L’embarras du non-choix.
Voilà la troisième fois que je me trouve dans l’obligation de voter pour un homme politique que je n’apprécie pas, tout simplement parce que son unique adversaire est le Front national. Me voilà obligé de choisir entre la peste, que je crains, et le choléra, dont j’ai peur.
Lors des prochaines élections, les élections présidentielles, nous allons nous retrouver dans le même cas de figure : Marine Le Pen, à moins que sa nièce ne parvienne à la déboulonner, sera au second tour. Nous aurons donc le choix entre elle et celui qui arrivera en second, Juppé s’il a réussi à s’imposer dans son parti, ou un socialiste, Hollande ou un autre.
Ainsi le choix ne dépendra plus de nous. Si, comme on nous le serine en toutes occasions électorales, il faut faire barrage au FN, nous n’aurons plus qu’à voter pour son adversaire resté en vie, qu’il nous plaise ou non.
Faire obstacle au front national.
Qu’entend-on, d’ailleurs, par « faire obstacle au Front national ? » Si l’on se trouve dans cette situation, c’est avant tout à cause des politiques de droite comme de gauche. Les membres du Front national, eux, ont joué le jeu. Nous qui habitons à Marseille, la capitale de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, en bref, PACA, nous aurions pu nous attendre à vivre une véritable campagne électorale. Or, à part un tract explicatif du Front national, nous n’avons rien reçu de leurs adversaires. Ceux-ci avaient sans doute jugé inutile de se battre, comptant pour les uns sur la constitution d’un front républicain, et les autres sur une saine réaction des électrices et des électeurs.
Ils n’ont donc pas jugé utile de nous faire savoir leur programme, leurs idées, leurs ambitions pour la région. Ils n’ont pas expliqué ce qu’ils voulaient faire en matière d’aménagement du territoire, de développement économique, de formation, de transports régionaux, bref, leurs objectifs et les moyens envisagés pour les atteindre. (Pour plus de détails, voir http://www.vie-publique.fr/focus/regionales-2015-quoi-servent-regions.html) Autrement dit, les partis de droite comme de gauche veulent que l’on vote pour eux en aveugle, simplement parce qu’ils nous font l’honneur de se présenter.
Voilà une bien curieuse conception de la démocratie, qui nécessiterait au minimum que les électeurs soient informés avant les élections. C’est donc une forme de mépris des citoyens et des règles démocratiques.
Faire obstacle au Front national semble donc difficile, puisque le Front national a, lui, pris la peine de s’adresser aux électeurs, qui, à cette occasion, ont pu se rendre compte de l’insuffisance de ses propositions. Il faudrait donc faire confiance à ses adversaires sans même savoir ce qu’ils veulent faire, simplement sur leur bonne mine.
Le grand mirage.
Ceux qui nous ont gouvernés jusqu’à présent n’ont pas su résoudre les problèmes de la France. Que ce soit en matière de dette, de chômage, d’éducation ou de formation, on peut dire qu’aucun ne s’est montré à la hauteur du problème.
D’abord, on endort les Français en leur disant que la France a un potentiel. Certes, mais encore faudrait-il l’exploiter. Or, les politiques sont incapables de voir la vérité en face. Si les Français les plus aisés gagnent bien leur vie, s’ils assurent l’avenir de leurs enfants en les mettant dans les meilleures écoles, de préférence privées, les éloignant donc de l’école de la République, en leur payant un soutien scolaire, en leur finançant des séjours linguistiques à l’étranger, en leur finançant des prépas, des écuries lorsqu’ils se préparent aux grandes écoles, et si nécessaire, en faisant jouer leurs contacts, ils arrivent à les faire pistonner, les milieux les plus modestes rament, galèrent. Ils envoient leurs enfants dans la véritable école de la République, qui est souvent située dans une zone d’enseignement prioritaire. Les enfants qui ont des difficultés ne reçoivent pas l’aide nécessaire. À l’âge de 16 ans, après le brevet, et quel que soit le niveau de leurs connaissances, ils obliquent vers un lycée professionnel, qui les amènera vers un bac professionnel, une pâle imitation de baccalauréat. Il est important que plus de 80 % soient bacheliers, même s’ils comprennent difficilement les textes qu’ils sont amenés à lire. Sans véritable formation, ils iront grossir les rangs des jeunes chômeurs.
Quant à ceux qui atteindront l’enseignement supérieur, incapables de se payer les prépas et les écuries nécessaires à l’obtention d’un diplôme, la plupart devront se contenter de travaux subalternes, voire de stages à répétition. Seuls les meilleurs d’entre eux feront des études brillantes. Ils n’avaient qu’à avoir des parents mieux lotis.
Le meilleur moyen de faire partie de l’élite, c’est d’y être né. L’école de la République n’existe plus, celle qui assurait l’égalité des chances, et une place dans la société selon les mérites de chacun.
L’élite politique
La France a le culte des élites. Selon le Petit Robert, cette élite devrait être « l’ensemble des personnes considérées comme les meilleures, les plus remarquables d’un groupe, d’une communauté ». Mais elle est en fait trop souvent le produit d’une caste. La quasi-totalité des membres de l’élite vient de parents qui en faisaient partie. L'appartenance à cette élite passe souvent par la fréquentation de grandes écoles, qui nécessite une excellente scolarité, une volonté des parents à pousser leur enfant dans cette voie, et la dépense de beaucoup d’argent, qui met « de l’huile dans les rouages ».
Les politiques qui sortent d’une grande école, le plus souvent de Sciences Po, puis de l’ENA, ne connaissent de la vie que celle des élites de la haute administration. Le jeune énarque appelé à travailler dans la haute administration ne sait rien de la vie de la plupart des Français. Il ignore tout de leurs problèmes, de leurs aspirations. Ce sera un excellent technocrate, capable de traiter de tous les sujets théoriques, de faire de brillants rapports. Mais il sera un mauvais politique, ignorant des problèmes pratiques. Il sera un tacticien de la haute administration. Mais il se mettra le doigt dans l’œil avec méthode.
D’autres se lancent dans la politique dès leur plus jeune âge. Eux aussi ignorent les problèmes de leurs concitoyens. En revanche, ils apprennent à utiliser la langue de bois, à noyer le poisson, à s’exprimer en véritables politiques politiciens. Mais leur sectarisme leur met des œillères, et les empêche de voir les choses en face. Ils connaissent toutes les ficelles pour nous faire croire qu’ils ont une solution. Ce sont des tacticiens de la politique. Ils se mettront le doigt dans l’œil pourvu que ce soit dans leur intérêt.
Enfin, il y a encore les « y-a-qu’à / faut qu’on » qui ont une solution pour tout, d’autant plus qu’ils n’auront jamais à résoudre aucun problème, n’ayant jamais le pouvoir. Les citoyens les plus modestes, ceux qui sont allés le moins longtemps à l’école, sont ceux qui sont le plus victimes des problèmes que les élites ne parviennent pas à résoudre : chômage, logements vétustes, problèmes scolaires, formation professionnelle souvent inexistante. Ce sont les victimes nées pour ces populistes, qui savent reconnaître le problème et en parler, et proposer une solution simpliste qui n’a aucune chance de fonctionner, mais qui donnent à ces victimes de la société l’impression qu’elles seront écoutées et entendues. Et ces populistes leur proposeront des solutions simples pour résoudre leurs problèmes, si simples qu’elles leur paraîtront géniales. Sauf qu’elles sont inapplicables, ou entraînent des conséquences néfastes. Cette fois-ci, ce sont ceux qui croient ces faux prophètes qui se mettent le doigt dans l’œil en leur faisant confiance, et en mettant leur bulletin dans l’urne.
En fait, un bon politique devrait avoir vécu une vie de travail au sein de la population. Il devrait être honnête dans sa démarche, tenir compte des réalités. Il devrait être capable de discuter avec les autres politiques, avec les citoyens, avec ceux qui seront chargés de porter les changements pour faire le tour des problèmes à résoudre, et trouver une bonne solution praticable et acceptable par le plus grand nombre. Mais pour cela, il faut de l’expérience, il faut connaître les gens, il faut les aimer et vouloir les aider, il faut chercher des solutions courageuses, de celles qui apportent des solutions. Il faut faire passer l’intérêt général avant le sien propre, avant sa carrière.
Il est frappant que nos élites politiques appliquent toujours les mêmes recettes, surtout celles qui n’ont jamais fonctionné, et n’ont aucune imagination pour trouver un ensemble de mesures prometteuses. Il est étonnant de voir, en revanche, l’imagination dont ils font preuve pour mener des tactiques susceptibles de leur faire remporter les prochaines élections : pour diviser les adversaires, pour faire croire qu’ils sont compétents en ayant réponse à tout. Pour faire croire que la situation est meilleure qu’elle ne l’est en réalité. Pour faire croire que ce n’est jamais de leur faute : que c’est forcément de la faute de leurs adversaires. Ils sont passés maîtres dans l’utilisation d’éléments de langage, qui leur sont envoyés par texto. À force d’entendre tous les membres d’un même parti employer les mêmes arguments, on finit par croire qu’ils ont raison.
Si les citoyens se tournent vers les extrêmes, c’est parce qu’ils ont déjà fait confiance aux autres politiques, de droite, de gauche, ou du centre. Que proposent- donc ceux-ci aux agriculteurs à qui la grande distribution refuse d’acheter leur production au juste prix, à ceux qui, alors qu’ils travaillent à plein-temps, n’arrivent pas à se payer un logement décent, à ceux qui n’ont pas assez d’argent pour se nourrir, ou pour nourrir et habiller leurs gosses décemment ? Qu’ont-ils à offrir à ceux qui ont perdu leur travail, à ceux qui, alors qu’ils sont prêts à travailler d’arrache-pied, se voient préférer des sans-papiers qui acceptent de travailler encore plus pour moins d’argent, parce qu’ils n’ont pas le choix ? Et que vont-ils dire à ceux qui attendent, placés sur une liste d’attente depuis des années, un logement décent pour eux et leurs enfants, lorsqu’ils sont doublés par des réfugiés, qui viennent d’arriver en France, et à qui on accorde un logement en quelques jours. Dans cette course entre pauvres diables, ceux qui sont là depuis longtemps et qui attendent qu’on leur accorde ce à quoi ils ont droit, sont en concurrence avec ceux qui arrivent après un long et éprouvant voyage au cours duquel ils ont risqué leur vie. Comment peut-on alors traiter de raciste le premier lorsqu’il se plaint de sa situation. Le bobo, le bourgeois généreux qui n’est pas en concurrence avec le nouveau venu a beau jeu de traiter celui qui se plaint de tous les noms, lui à qui la vie a déjà tout accordé, le pauvre diable qui se sent maltraité ? Et comment s’étonner alors que lui, qui dispose d’une voix de citoyen, son seul luxe, aille voter pour ceux qui lui promettent monts et merveilles, alors que les autres, malgré leurs promesses, n’ont rien su faire pour lui ?
Conclusion
Si l’on veut faire obstacle au Front national, et plus généralement aux populistes de tout poil, il faut absolument donner du travail aux chômeurs, une bonne éducation et une bonne formation aux jeunes, une retraite digne et suffisante aux anciens, améliorer la situation de ceux qui sont dans le besoin, beaucoup de solidarité. Et il faut des politiques, hommes et femmes, honnêtes, prêts à s’engager pour leurs concitoyens. Alors, on n’hésitera plus à aider les réfugiés.
Mais comment choisir les politiques qui veulent vraiment s’engager. Et comment convaincre ceux qui, bénévolement, pourraient par leur sens de la solidarité et leur engagement personnel faire profiter ceux qui en ont besoin de leur soutien ? Par quel bout commencer ? Voilà la question.
Dans une quinzaine : améliorer l’enseignement et la formation de base.
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