Le dol dans la démocratie
Diverses dispositions du code civil (v. les dispositions sur les vices du consentement dans divers cas, mariage, contrats,…) et du code pénal (v. par ex. les dispositions sur l’escroquerie, l’extorsion, les abus de faiblesse sur les personnes vulnérables…), tirent les conséquences de certaines manipulations… des esprits.
En matière politique, cela est rare.
Par exemple, le juge de l’élection annule une élection lorsque qu’entre les deux tours, le candidat élu a fait un usage de moyens de propagande prohibés, qu’il juge avoir été déterminants pour le succès du candidat en question.
Mais en réalité, des élections (comme les élections présidentielles) sont organisées pour certains candidats autour de la mise en œuvre de moyens gigantesques de manipulation. Avec une organisation comprenant de nombreux spécialistes (dits de « relations publiques ») recrutés par le candidat ou appartenant à des officines spécialisées qui signent un contrat avec le candidat. Des études nombreuses et concordantes sur la trajectoire d’E. Macron, ont permis de mieux faire connaître le phénomène (1).
Faits qui sont tus, travestis ou inventés ; promesses qui ne peuvent pas être tenues ; cadeaux faits aux électeurs ; présentation du candidat tendant à le rendre « crédible » (sondages fabriqués lui donnant tel score ; meetings peuplés de militants amenés par autocars,…), propos diffamatoires ou développant des peurs imaginaires contre tel autre candidat. Etc.. Etc… Voilà, entre autres, quelques uns des moyens les plus visibles et les plus connus utilisés pour agir sur l’esprit du citoyen et dicter son vote (2).
La plupart de ces techniques sont coûteuses : d’où la nécessité de les financer… parfois de manière illicite (dépassement des plafonds de campagne ; argent liquide et/ou « sale » qui circule, comptes non sincères,…). Les manipulateurs de ces fonds sont difficiles à confondre ; les bénéficiaires de ces opérations déclarent qu’ils n’étaient pas au courant des techniques de financement (de la… manipulation des esprits) dont ils ont bénéficié.
Et puis, divers propriétaires de médias utilisent « la liberté de la presse » pour que leurs employés, programmateurs, journalistes, animateurs, orientent les esprits vers le choix du candidat qui a leur faveur. Candidat qu’ils ont, avec divers autres chefs de réseaux et de groupes de pression, choisi en pensant qu’il sera reconnaissant. C’est à dire qu’il sera en quelque sorte leur mandataire ou leur homme de main, lorsque l’élection lui aura conféré le statut de décisionnaire.
Les forces qui ont travaillé à l’élection, continuent à soutenir les élus et à faire supporter, voire à faire approuver les décisions de ces derniers par l’opinion publique. - v. les techniques employées quotidiennement par certaines chaînes dites d’information en continu – (3) . S’ajoutent alors les moyens de l’Etat (les déplacements de propagande, les sondages, etc… étant alors mis « légalement » à la charge des contribuables).
Ce qui fait que l’élection, institution qui est au cœur / le cœur de la démocratie, au lieu de permettre que le gouvernement soit « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » sert dans les faits à l’installation au pouvoir de personnages choisis par une minorité, et qui seront dévoués à cette dernière.
Le phénomène est / sera accentué par l’augmentation de la distance entre l’électeur et le « représentant » (ou ce qui est présenté comme tel) (4).
Et le gouvernement s’exercera alors « par »… ces personnages dans l’intérêt de cette minorité et non « pour » le peuple. Personnages qui seront obligés de mettre en place des systèmes de contrôle des citoyens, en donnant des ordres à ces derniers et en organisant la sanction à la violation de ces ordres.
Il est illusoire de penser que des mesures préventives seraient de nature à éradiquer ces pratiques. On a d’ailleurs vu que les lois anti corruption s’ajoutent l’une à l’autre ; que les valises de billets remplacent les chèques ; que le financement illicite demeure avec les techniques de camouflage qui s’adaptent aux nouveaux textes.
Ce sont les raisons pour lesquelles, on pourrait expérimenter la mise en œuvre des principes suivants :
« Toute élection obtenue à la suite de la mise en œuvre de techniques tendant à vicier le consentement est nulle.
Il en va de même lorsque le candidat n’établit pas le montant exact de frais de campagne ».
Obtenir des candidats qu’ils fournissent la justification des frais de campagne n’est pas très difficile. Il suffit de ne pas fermer les yeux et de ne pas se contenter de discours dilatoires. Le dépistage de l’utilisation de techniques destinées à vicier le consentement est moins difficile qu’on le croit. Puisque ces techniques ont fait l’objet d’études (v. le renvoi de la note 2), on peut aisément en dresser la liste. Le juge de l’élection quant à lui, peut faire le rapprochement entre ce qui a été pratiqué pour tel candidat et ce qui figure sur la liste ; en se réservant selon le contexte, de faire le tri entre les techniques utilisées.
Resterait évidemment à déterminer l’institution à laquelle attribuer la compétence de constater la nullité de l’élection. Ce qui n’est pas une simple affaire (5).
Actuellement, il y a deux juges de l’élection : le Conseil constitutionnel pour l’élection du président de la République et pour l’élection des parlementaires ; les juridictions administratives pour les élections territoriales.
Faut-il leur confier cette tâche ?
Les membres du Conseil constitutionnel sont nommés par des personnages élus dans les conditions qui peuvent être celles qui viennent d’être rappelées. Auxquels s’ajoutent les anciens présidents de la République eux mêmes élus. Et les aveux d’un de ses anciens présidents (Roland Dumas), montrent qu’il peut avoir au sein d’une telle institution, quelques réticences à invalider une élection d’un chef d’Etat dont les comptes réels pouvaient poser en réalité quelques problèmes.
Au sein du Conseil d’Etat qui statue en dernier ressort, siègent des personnes qui vont conseiller les politiques, défendent les décisions des politiques devant leurs collègues de la Haute Assemblée, et retournent dans leur institution pour prendre parti sur les décisions des mêmes politiques (6). Cela fait un peu désordre. Et certaines décisions (pas toutes évidemment) montrent, de par leur motivation, qu’il peut exister une communauté de vue avec les politiques (à commencer avec le président de la République qui a réussi à être élu comme il a été dit ci-dessus) sur certains aspects de la gestion d’une question de société (6).
C’est la raison pour laquelle il faudrait probablement expérimenter une autre formule. Dans laquelle les membres de l’institution de contrôle seraient (staturairement, et surtout) matériellement indépendants.
Et évidemment, seraient effectivement (selon leur CV) à titre personnel, intellectuellement libres, psychologiquement courageux, et auraient un penchant avoué pour le désintéressement (7).
Tout citoyen pourrait saisir cette institution, un peu à la manière dont tout citoyen peut saisir le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir. Ce recours en constatation de nullité serait, comme le précédent ouvert sans frais, et sans ministère d’avocat.
Resterait également à déterminer si la constatation de nullité de l’élection, par exemple de l’élection du président de la République, priverait de base légale certaines des décisions signées par ce dernier (ordonnance ou décret délibéré en conseil des ministres) ou inspirées par lui (par ex. tel décret du Premier Ministre pris en application d’une directive du président de la République).
Resterait également à déterminer si ceux qui ont contribué à faire que l’élection soit arithmétiquement acquise, mais que ladite élection soit déclarée ensuite nulle par le juge, engageraient leur responsabilité pécuniaire. Par exemple, pour prendre en charge le financement des futures opérations électorales. Puisque qu’il faudrait recommencer l’élection « à cause » de la mise en œuvre par eux de techniques de manipulation.
Dès lors qu’actuellement, le système politique fonctionne à partir de la technique de désignation du président de la République, il est probable que les citoyens limiteront leurs recours à la constatation de la nullité de l’élection du président de la République.
Imaginons, à titre d’exemple, que l’élection d’E. Macron (pour ne parler que de lui, puisqu’il est le président en exercice, et sans prendre partie sur le fond) soit, avec ces nouvelles règles, déclarée nulle. Et que les membres des réseaux qui ont contribué à le « fabriquer » et ont mis en œuvre des techniques de manipulation du corps électoral, soient amenés à payer une partie des frais d’organisation de la nouvelle élection. Imaginons aussi que certaines décisions prises sous son magistère soient annulées comme manquant de base légale.
Il est possible alors que la manipulation de l’opinion publique, qui aurait un coût, et qui serait privée de ses principaux effets, aurait moins d’attraits.
Ce qui aurait (peut-être) une influence sur le respect au droit à l’information (moins de mensonges, plus d’information sélectionnées, moins d’argumentaires à sens unique, développement du journalisme d’investigation se substituant au journalisme de la paraphrase et de la loggorhée, etc…) (v. la note 3)
Ce qui aurait (peut-être) pour effet de re-donner à l’élection son rôle premier : permettre aux électeurs d’être gouvernés selon leurs vœux et leurs intérêts, par des gens qui ont à cœur d’être le plus fidèlement possible à leur service. Et ce, de manière désintéressée (8).
Marcel-M. MONIN
m. de conf. hon. des universités
(1) v. les références sur internet. Et, en particulier, v. les faits, les noms et les dates dans certains des ouvrages de J. Branco et/ou M. Endeweld .
(2) voir les très nombreux ouvrages ( références sur internet) sur les techniques de manipulation, notamment sur les techniques de manipulation utilisées en politique.
(3) En Corée du Nord, les médias serviteurs des dirigeants martèlent ouvertement et explicitement que le président du pays est génial et qu’il fait tout bien. En France, on ne le dit pas directement : on fait en sorte, par des techniques adaptées, que les gens le pensent « par eux-mêmes » et aient une mauvaise opinion des contradicteurs. Et l’on détourne l’attention sur des faits divers, on privilégie certains sujets , on paraphrase le discours officiel, et l’on organise en continu des spectacles de personnes (souvent les mêmes). Qui, du matin au soir sur les mêmes sujets, sont invitées à prédire ce que les dirigeants feront ou diront, ou à commenter ce que lesdits dirigeants ont décidé ou ont dit. (NB. Ce qui pose la question, à côté de la « liberté » de la presse – qui est en réalité celle des propriétaires des médias- , de l’organisation du « droit à l’information » - qui appartient aux citoyens. Droit à l'information qui conditionne l’usage, libre ou non, de leurs droits constitutionnels, comme le droit de suffrage - ).
(4) On sait que le centre du pouvoir que subissent les Français n’est plus à Paris, mais au siège des institutions européennes. Où l’on met en œuvre des règles ( que certains politiques se sont accordés pour mettre dans des traités hors de portée des institutions nationales) que les peuples ne peuvent pas réformer. Ni avec leurs parlementaires, ni avec leur chef de l’Etat (pour le cas où il ne voudrait pas / plus jouer ce jeu) ) . Les députés européens sont élus sur une liste nationale. Les électeurs se sentent d’autant moins « représenté » par ceux-ci qu’ils ne les connaissent pas toujours ; députés qui se sont trouvés sur la liste concoctée avec leurs amis pour leur procurer, faute de place ailleurs, un job d’attente ou de consolation dans la politique. Electeurs qu’ils ne savent pas ce que ces gens font au « parlement européen ». On connaît le vœu d’E. Macron selon lequel les listes ne seraient plus nationales, mais européennes. Le lien théorique entre les Français et les députés européens serait alors complètement rompu. L’élection n’étant plus alors comme la démocratie, selon leur acception traditionnelle, qu’une « farce ».
(5) Les parlementaires ne contrôlent plus les élections. Quand il le faisaient, ils le faisaient plutôt mal ( d’où la création du Conseil constitutionnel en 1958) .
(6) Exemple amusant : à l’occasion de certains recours visant à l’annulation de décisions qui avaient interdit aux médecins de ville de prescrire certaines substances aux malades du covid, la personne qui signait les mémoires en défense pour le Premier Ministre et pour le ministre de la santé, était l’ancien porte parole du Conseil d’Etat ( ex. Conseil d’Etat, affaires n°440129, n° 441038 ).
(7) On ne sait jamais si une idée, émise qui plus est dans un contexte particulier, sera –plus tard- mise en œuvre dans la logique qui présidait à sa formulation. Imaginons cependant, en pensant –un peu- au Conseil constitutionnel, une institution composée de neuf membres.
On pourrait envisager de confier des postes à des magistrats en activité ou en retraite élus par leurs pairs parmi les magistrats ayant fait preuve de leur indépendance, de leur courage et de leur désintéressement. Un magistrat de l’ordre administratif, et un magistrat de l’ordre judiciaire.
Deux associations spécialisées dans la lutte contre la corruption pourraient envoyer un délégué.
L’ « université » pourrait désigner, soit en son sein soit à l’extérieur, des chercheurs ayant étudié le « dessous des cartes » : par exemple un spécialiste des sondages, un spécialiste des techniques de manipulation spécialement dans les médias, un spécialiste des questions économiques (dont les théories économiques).
Ces personnes pourraient désigner deux auteurs ( journalistes d’investigation, essayistes, auteurs de thèses, …) d’ouvrages portant sur l’analyse des réseaux ayant porté certains personnages au pouvoir.
NB. D’autres formules peuvent être étudiées qui seraient préférables.
(8) Ce qui pose incidemment d’autres questions, comme la réforme des conditions d’éligibilité, la définition des activités possibles ou interdites après la sortie de mandat,… etc…
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