Le dossier migratoire s’invite à l’agenda politique
Le dossier migratoire s’invite à l’agenda politique
Moab
Garder les deux branches de l’alternative, et rejeter dos à dos les positions de la gauche et de la droite sur l’immigration. Là comme ailleurs, Emmanuel Macron est tenté de dépasser un clivage traditionnel : oui à l’accueil des migrants avec humanité, oui à la maîtrise des flux migratoires. L’art de la synthèse pour réconcilier les Français sur un sujet sensible, sinon polémique ? Non, au fond, le nouveau pouvoir ne fait que prolonger une politique migratoire qui ne peut sortir d’un cadre de plus en plus contraint. La gauche assouplit, la droite durcit, mais les fondamentaux demeurent, ainsi que leur… contournement. En cela, et alors que la pression migratoire reprend sur la frontière sud de l’Europe, le gouvernement Philippe fera-t-il mieux que ses prédécesseurs ?
D’abord, en parler à Bruxelles et à Berlin…
Le sujet migratoire avait été plutôt esquivé par le candidat Macron. Le président, lui, ne peut faire l’économie du sujet : abordé dans les conseils européens, il est devenu préoccupant sur la scène politique intérieure : Calais, Vintimille, Porte de la Chapelle, Grande-Synthe, etc. les premières déclarations tant du président que du ministre de l’Intérieur restent assez vagues.
Dans sa dimension européenne, le dossier migratoire progresse difficilement. Les flux en provenance du Sud ont repris de plus belle cette année, caractérisés désormais par une prééminence des Africains ne relevant que minoritairement du droit d’Asile. La frontière entre l’Europe et la Turquie étant désormais mieux contrôlée, la route des filières clandestines dérive vers l’Ouest, notamment à travers les territoires appauvris ou hors contrôle étatique, comme en Libye. L’incapacité de l’Union européenne à assurer la stabilité de ses marges se paie cher… « En Italie, les débarquements de migrants sont en hausse de plus de 40 %, soit 61 234 hommes, femmes et enfants depuis le début de l'année » (Figaro 14 juin).
L’Italie est en première ligne et sa déception sur le manque de soutien nourrit un sentiment eurosceptique croissant. Cette débandade de la solidarité européenne se retrouve dans la répartition des demandeurs d’asile entre les Etats membres : la défection de certains pays de l’Est pourrait provoquer des sanctions de la part de la Commission, mais c’est le couple franco-allemand qui devra – là encore serait-on tenté de dire – susciter une position majoritaire pour contraindre les récalcitrants à revenir à la raison. Or, au-delà des déclarations d’usage, le Conseil européen de la semaine dernière n’a pas vu d’avancée notable.
Sur le front intérieur
Sur le front intérieur, la question migratoire n’est pas pour le moment une priorité, mais elle connaît des points de fixation qui ennuient le nouveau ministre de l’Intérieur. Ah, Calais…encore Calais. Les forces de l’ordre font la chasse au touriste afghan, de long séjour mais sans papier, entre le plat pays et les dernières dunes avant la Manche. Tout sauf revivre la jungle des années 2000. Il faut donc réexpédier dans le reste du pays les candidats à l’expatriation vers l’Angleterre– qui elle-même semble gagnée par un sentiment anti-migrants. A la frontière italienne, un militantisme honorable mais néanmoins illégal tend à compliquer le contrôle d’une frontière fermée par exception aux règles de Schengen.
Enfin, la grande convergence habituelle des ballotés du siècle s’achève dans les rues de la grande métropole, et donc Paris est confrontée de manière récurrente aux campements sauvages (plutôt dans le 18 et le 19ème arrondissement, dont la population locale est, si la preuve était nécessaire, moins efficace dans le lobbying que celle du 7ème). Le centre d’accueil de la Porte de la Chapelle ne parvient plus à faire face à l’afflux qui a constitué une zone de campements où se regroupent un millier de personnes, dans des conditions très précaires.
Hidalgo interpelle le gouvernement
La mairesse de Paris a saisi le gouvernement pour qu’une solution soit trouvée globalement à l’accueil des migrants : camps de premier accueil dans les grandes villes, pôles régionaux d’enregistrement et de traitement d’asile avec hébergement directif réparti sur tout le territoire, et enfin gestion nationale des jeunes majeurs et des mineurs isolés. Ce plan combine la prise en compte de la réalité de la situation (les déboutés du passage outre-mer se concentrent dans les métropoles) et la nécessité d’une répartition équitable du problème entre les territoires. Pas sûrs que les élus locaux sautent de joie face à ce genre de proposition, le CADA (centre d’accueil des demandeurs d’asile) entrant dans la panoplie du parfait nimbyste[1].
Le président de la République comprend bien qu’il faut réformer le traitement de l’asile. Bien que ce dernier ait bénéficié d’un effort significatif de la part des pouvoirs publics au cours du mandat précédent, les résultats demeurent consternants[2] : allongement démesuré des procédures, très faible taux de retour des déboutés, conditions difficiles d’hébergement, etc. « J'ai donc demandé une réforme en profondeur du système d'asile en France, pour le déconcentrer et pour accélérer considérablement les délais d'instruction des demandes d'asile. L'objectif est que nous divisions ces délais moyens par deux, en passant à six mois toutes procédures comprises (Emmanuel Macron, dans le Figaro du 22 juin).
Un plan global ?
Un plan global pour l’immigration doit être présenté le 12 juillet prochain au Conseil des ministres. Les membres du Comité Carnot attendent avec intérêt les propositions du gouvernement pour répondre à la promesse du président, car d’autres avant lui se sont cassés les dents : il faudra soit augmenter considérablement les moyens des préfectures et des juridictions (plus de fonctionnaires ? Pas dans l’air du temps, semble-t-il), soit tordre le cou aux normes en matière de procédure (ah, ça, l’Europe, elle n’aime pas, et les magistrats non plus), soit modifier la législation… ou un cocktail des trois. Et puis, une fois le verdict prononcé, il faudra procéder selon les cas, à l’accompagnement social des réfugiés pour une intégration réussie (or, les crédits en matière de cours de français ont été laminés ces dernières années) ou à la reconduite à la frontière des déboutés : avec qui le président jupitérien va-t-il négocier ses vols charters ? vers l’Afghanistan ? vers l’Erythrée ? vers la Chine ? Notons d’ailleurs que l’afflux actuel concerne essentiellement des Africains subsahariens. Or, le candidat Macron avait affirmé qu’il proposerait une stratégie pour l’Afrique : Renvoyer massivement chez eux des jeunes désespérés et sans avenir pour renverser des présidents autoritaires et corrompus, c’est indéniablement une introduction originale aux discussions pour renforcer le partenariat franco-africain.
Notre président aura sans doute apprécié l’initiative de la chancelière allemande, qui elle aussi songe qu’il est temps d’apporter une aide globale à l’Afrique : appuyée sur la force de frappe germano-européenne, une approche équilibrée pourrait peut-être avoir une chance de faire progresser le dossier migratoire. Car pour le reste… on en reparlera.
[1] Not in my backyard (NIMBY) = pas chez moi.
[2] Rapport de la Cour des comptes, 2015. https://www.ccomptes.fr/fr/publications/laccueil-et-lhebergement-des-demandeurs-dasile
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