Le fascisme, c’est bien quand ça ne concerne que les autres
Face à son écran de télévision, madame Michu jubile : enfin le gouvernement agit vraiment contre le tabac : plus de cigarette ni sur la plage, ni dans les parcs, ni même dans les voitures. Il y en marre de ces fumeurs, ils polluent, ils finissent avec un cancer du poumon, et les études le montrent bien : le tabac coûte plus cher qu'il ne rapporte à l'Etat. Les statistiques, elle n'y comprend rien, mais peu importe : après tout ces gens qui travaillent là dedans, ils ont des diplômes, ils sont intelligents, elle peut leur faire confiance. Ils ne mentiraient jamais, on est en démocratie, dans un pays libre ; et puis même si un jour ce n'était plus le cas, ils l'expliqueraient à la télé, de toutes façons.
Elle part se coucher, confiante en l'avenir : bientôt le gouvernement s'occuperait aussi des fumeurs de shit qui se prostituent pour payer leur barrette, et qui finissent par mourir d'une overdose (elle a vu un reportage qui expliquait tout ça), il y a les jeux vidéo violents aussi, qui transforment les enfants en tueurs psychopathes (ça elle l'a lu dans voici), et puis il y a aussi tous ces clochards qui trainent dans le métro, eux aussi il y en a marre, il faut que le gouvernement les oblige à bosser, tous ces fainéants !
Les années passent. Un soir, en mangeant ses tartines de nutella comme d'habitude, madame Michu entend frapper à la porte ; bizarre, elle n'attend personne. "Bonsoir madame, brigade policière de surveillance de la santé des personnes, nous venons inspecter votre domicile. - moi ? Il n'y a pas de problème, monsieur l'agent, je bois pas, je fume pas, et je me drogue pas. Par contre, vous devriez voir le voisin de palier, lui je sais qu'il fume des cigarettes chez lui, et c'est interdit, en plus mes copines dans l'immeuble, elles disent même qu'il prend de la drogue ! Mais vous lui dites pas que c'est moi qui vous l'ai dit, hein ? - non, madame, c'est chez vous qu'on vient inspecter, veuillez nous laisser rentrer, s'il vous plait. - bon, très bien, entrez, je vous sers un un café ? - du café ? Vous en buvez beaucoup madame ? - de temps en temps, oui, avec deux sucres. - vous n'avez droit qu'à un seul café le matin, madame, c'est tout, le café, ça provoque des maladies cardio-vasculaires, vous savez pas, ça ? Et avec un seul sucre, à cause du diabète. C'est quoi, que je vois là, du nutella ? - oui, j'aime bien en manger le soir, j'ai mes petits plaisirs ! - bon, il va falloir vous faire une mesure de glycémie, madame, pour voir si vous êtes dans la limite réglementaire. - mais je fais pas de diabète, monsieur l'agent ! Et puis le voisin, il fume chez lui, pourquoi vous y allez pas, le voir lui ? - madame, vous pourrez porter plainte contre lui demain, si vous voulez, pour l'instant, c'est vous qu'on contrôle, allez, ne faites pas d'histoires, on vous fait le contrôle de glycémie...houlala ! Vous en avez mangé combien, de nutella, ce soir ? - ben je sais pas moi, deux ou trois tartines, comme tous les soirs, et puis vous savez aussi, j'ai entendu dire que le fils de madame bronchon, il boit de la bière, trois, ou même quatre avant de conduire, vous voulez que je vous dise où il habite ? - vous êtes en infraction, madame, presque deux fois la limite légale, il va falloir vous sanctionner. Bon, je vais regarder le frigo...et ben...y'a beaucoup d'aliment trop gras et trop salés là dedans...bon, ça suffit, vous êtes en garde à vue, madame, on va vous conduire au poste. - moi ? Mais je bois pas, et je fume pas ! - faites pas d'histoires, s'il vous plait, allez, venez !"
Madame Michu, menottée face au lieutenant de police, est outrée : "ça va pas se passer comme ça, jeune homme, je vais écrire à Julien Courbet, il va faire un reportage sur vous, vous allez voir ! - écoutez madame, vous croyez qu'on en a pas marre des gens comme vous ? Vous savez combien ça coûte à la société, tout ça ? Le diabète, les problèmes cardio-vasculaires, les cancers de l'estomac et de l'intestin, vous savez combien ça coûte à la sécu ? Les gens ils en ont marre de payer des impôts à cause des gens comme vous, qui mangent n'importe quoi !"
Le lendemain, une information passa presque inaperçue : rien à la télé, ni dans voici, seuls quelques journaux sur internet la relayèrent. Le gouvernement pour lequel madame Michu avait voté venait d'accorder à l'industrie de l'agro-alimentaire une hausse de la limite légale de colorants, d'arômes artificiels, de sel, de pesticides, de fongicides et d'aluminium dans les produits alimentaires, et une simplification des procédures concernant la production et la distribution d'OGM.
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