Le fascisme - Ses origines - Volet N° 2
Dans l’Avanti, Mussolini réclame l’intervention. Poussé en cela par Battisti. Il entame une campagne pour l’abandon de la neutralité italienne. Mais, tout comme pour l’abandon des grèves et la reprise du travail, quelques semaines plus tôt, les partis socialistes italiens encaillotés dans la social-démocratie à l’allemande, refusent de le suivre sur cette voie. Alors, il s’emporte et les accuse d’être des « ideologi evinata » 1 qui seraient bien capables de sacrifier l’Italie sur l’autel des compromissions. Or, l’entrée en guerre pour l’Italie représente pour Mussolini et Battisti une chance unique de se débarrasser de l’occupation autrichienne dans les territoires « irrédentes », à majorité italienne et de les ramener dans le giron de la patrie. La guerre sera aussi le prétexte à une émancipation sociale, en insufflant au peuple une nécessité révolutionnaire.
Ses discours se radicalisent.
Au congrès de Bologne, Mussolini tient une position ferme sur l’intervention, les socialistes présents le font taire, lui retirent la direction de l’Avanti, l’accusant d’être à la solde des Français, avec lesquels il entretient d’excellent rapports. Exclu pour cela du PS, il fonde, avec le soutien financier de l’ambassadeur de France, le journal « Il Popolo d’Italia » où il réclame l’intervention de l’Italie aux côtés de l’Entente2. Privé de tribune, où il pouvait diffuser sa doctrine et ses prises de positions concernant la guerre, ils le pensent ainsi moins dangereux. Erreur de leur part, car Mussolini, loin de se décourager, dans son nouveau journal, il popolo d’Italia, réaffirme ses positions.
L’ambiance, lors de ses discours est toujours houleuse. Les socialistes l’ont pris en grippe et l’accueillent aux cris de : « A bas Mussolini ! ». Droit dans ses bottes, il fait face et déclare, provocateur : « … Je n’aurai aucune rémission, aucune pitié pour tous les hypocrites, pour tous les lâches. Si vous croyez m’exclure de la vie publique, vous vous trompez. Vous me trouverez devant vous vivant et implacable ». Dans son journal, il fait paraître cette déclaration lapidaire : « Le cas Mussolini n’est pas fini. Il commence ».
Exclu du parti socialiste italien, à la tête de ses « faisceaux d’action révolutionnaire », dont il ôtera plus tard le mot « révolutionnaire » pour ne garder que celui de « faisceaux » , il va aller de l’avant, plus rien ne pourra l’arrêter
En 1915, son mouvement compte 5000 adhérents.
Le programme des « fasci » est sans équivoque : entraîner par tous les moyens l’Italie dans la guerre contre les Empires centraux – Allemagne, Empire d’Autriche-Hongrie. Il a à ses côtés, des personnalités de choix l’ayant rejoint : le comte Ciano qui deviendra son gendre, et le poète-écrivain d’Annunzio, deux cautions de respectabilité de premier choix, issues directement de l’intelligentsia italienne. D’Annunzio va jouer un rôle de premier plan, quant au comte Ciano, il s’illustrera surtout lors de la deuxième guerre mondiale, en tant que ministre des relations étrangères.
Qui est d’Annunzio ?
Gabriele d’Annunzio, prince de Montenevaso est né à Pescara en 1863, et mort à Gardone, Riviera-Brescia – en 1938. En 1879, à tout juste 16 ans, il publie son premier livre : « Primavere », vraisemblablement inspiré du célèbre écrivain Carducci. D’Annunzio s’installe à Rome en 1881 et devient rapidement une figure montante de la société littéraire de la capitale italienne. C’est un dandy, il est ambitieux, fortuné, il peut donner libre cours à toutes ses fantaisies, son hédonisme, son goût des loisirs et des conquêtes féminines, son goût pour la beauté, les femmes dont il collectionne les conquêtes, dont l’une très célèbre : la tragédienne, La Duse. Sa vie orageuse et ses amours scandaleuses lui valent de se battre souvent en duel dans les plus pures traditions aristocratiques et mondaines de l’époque.
Il rêve de « faire de sa vie une œuvre d’art, et l’art, le miroir et le confident de sa vie ».
Criblé de dettes à cause de son train de vie dispendieux, il sera forcé de s’enfuir d’Italie pour se réfugier en France et échapper à ses créanciers. Ce non-conformiste nourrissant un goût prononcé pour les actions à caractère violent, tout comme Mussolini, a lu Nietszche et les philosophes. Cela le confirme dans le culte du « Moi ».
D’Annunzio revient en Italie en 1915 et prend langue avec les « fasci », revendiquant son nationalisme en intervenant pour l’entrée en guerre de l’Italie aux côtés des Alliés (l’Entente). Il adhère totalement aux idées de Mussolini. Il rentre à Fiume en héros national, prend la ville, sans verser une seule goutte de sang, se fait proclamer régent de la ville où il va installer un système corporatiste. Ce système durera 16 mois avec des célébrations de rituels spectaculaires propres au mouvement créé par Mussolini avec les défilés des faisceaux. Je reviendrai en détail sur les symboles des « fasci ».
D’Annunzio restera cette figure complexe de l’intelligentsia décadente. Aux côtés de d’Annunzio, nous retrouvons le socialiste syndicaliste Corradoni, écrivain et journaliste fondateur de plusieurs journaux, dont le plus célèbre : « L’idea Nationale », fondé en collaboration avec Rocco et Federzoni.3
22 mai 1915. Mussolini écrit : « Nous avons souffert les dernières années dans le mépris et la commisération générale. Maintenant sonne la belle heure de toutes les revendications, l’heure d’une ère nouvelle pour notre pays, l’heure d’une grandiose épreuve après laquelle, une fois la confiance reconquise en nous-mêmes nous deviendrons les égaux des autres peuples dans la bataille de l’avenir et les compétitions du travail… Nous t’offrons, Ô mère Italie, sans peur et sans regrets, notre vie et notre mort ».
Le caporal des bersaglieri, Benito Mussolini.
C’est sous le grade de caporal des bersaglieri qu’il est incorporé dans les troupes italiennes et guerroie. En février 1917, très grièvement blessé après avoir reçu 24 éclats de grenades dans le corps, il est réformé. Il revient du front « transfiguré par cette exaltante expérience et converti au nationalisme le plus ardent ». Il reprend la direction de « Il Popolo d’Italia », multiplie dans ses colonnes les diatribes furieuses contre les « défaitistes », refuse une paix qu’il juge honteuse et déshonorante pour les Italiens. Le désastre de Caporetto4 en 1917, le marque profondément, mais il refuse de se laisser abattre. « Nous voulons, nous devons vaincre, et nous vaincrons ».
Les anciens combattants. Dans ses éditoriaux, il fustige l’incompétence des gouvernements libéraux et réclame un « régime fort », capable selon lui de restaurer l’État, de réaliser des réformes sociales, de donner aux anciens combattants la place qui leur est due et de promouvoir une politique de grandeur nationale.
Après leur démobilisation, les anciens combattants rentrent au bercail, mais de très nombreux anciens combattants ont perdu leur emploi et se retrouvent au chômage, plongés dans la misère. Le gouvernement Orlando avait promis aux paysans une réforme agraire, sans tenir ses promesses. Les paysans observent par contre une « mévente de leurs produits et une situation pire que celle d’avant-guerre ». Le prolétariat citadin et agricole est en ébullition. Les anciens combattants comprennent que cette guerre n’a été qu’une immense mystification. Alors s’installe en eux « une haine sourde » contre le gouvernement, les classes dirigeantes et contre la classe politique, qui, une fois la paix revenue, reprend « ses vieilles habitudes et se montre incapable de tirer parti de la victoire ».
L’année 1919.
Elle incarne à la fois la prise de conscience du peuple de la tromperie des élites envers lui et une rupture s’opère avec les classes dirigeantes, dans une ambiance pré-révolutionnaire. Mussolini sent ce bouillonnement, cette ébullition du peuple italien, sensible au marxisme et à la révolution d’octobre en URSS. Mussolini est un révolutionnaire, c’est dans ses fibres. Mais de la révolution communiste, il n’en veut pas. Ce qu’il veut c’est autre chose, un mouvement unique, non morcelé entre partis, un courant ancien combattant + un courant populaire d’inspiration socialiste. Il Popolo d’Italia s’occupe de rassembler ces deux courants. Et il explique ceci : « Nous n’avons pas besoin d’attendre la révolution comme le fait le troupeau des gens munis des cartes de partis… Nous, nous avons déjà fait la révolution en mai 1915. »
Ce retour en arrière de sa campagne « interventionniste » de 1915, lui sert à battre le rappel auprès des anciens combattants qui l’écoutent et le rejoignent, revanchards et déterminés. Les « Fasci italiani di combattimento », sont devenus un lieu de jonction d’éléments anti-partis mais qui portent en eux, dans leur ADN, l'appréhension de la droite et des réactionnaires effrayés par tous ces changements, et celle des partis de gauche qui voient en ce mouvement un futur symbole de « destruction ».
500 adhésions, le premier jour, dès la première réunion.
Beaucoup de monde présent : les anciens combattants de tous les grades, officiers, deuxièmes classes, écrivains, étudiants, paysans dont les opinions oscillent entre nationalisme et syndicalisme intransigeants et vont se tourner vers une radicalité politique et de coups de mains violents. Cette seule force politique dans l’Italie d’après-guerre, structurée en service d’ordre. L’incendie du siège milanais du journal socialiste l’Avanti dont Mussolini avait occupé, un temps, les fonctions de directeur, et d’où il fut exclu après avoir tourné le dos au socialisme pacifiste, ne représente par seulement une vengeance personnelle, elle est surtout un premier coup de semonce en direction du gouvernement.
La crise sociale s’aggravant, le coût de la vie passée de 100 à 300 %, en 1919, fait un bon et passe à 400 % en 1920. Le budget connaît un déficit chronique. Les denrées sont très chères et le ravitaillement difficile, l’industrie italienne stagne.
Le Sud de l’Italie et les questions agraires.
Les grands propriétaires, les latifunda exaltent le mythe de la « terre aux paysans », en s’en appropriant de vastes domaines qu’ils occupent et où ils exploitent sans vergogne une main-d’oeuvre soumise et corvéable à merci, dans une misère chronique.
La montée inexorable de Mussolini.
Très tôt, Mussolini met un sérieux bémol à ses propos anti-capitalistes qu’il tenait au début de sa vie politique. Il a compris tout l’intérêt de s’allier pour la circonstance avec les grands industriels italiens qu’il flatte dans le sens du poil et dont il recherche des appuies auprès des forces de l’argent. Gros industriels, gros agrariens (latifunda), les cadres de l’armée, de la police, l’entourage immédiat de Victor-Emmanuel III, le roi d’Italie, lui apportent une collaboration active. Désormais avec, à ses côtés, ces auxiliaires puissants et « généreux financièrement », il peut organiser dans une grande mise en scène théâtrale, la « marche sur Rome ».
Victor-Emmanuel III le reçoit triomphalement et lui confie la direction du cabinet en octobre 1922.
Agé alors de 39 ans, Mussolini, modeste instituteur, est un autodidacte. Il a lu énormément, s’est passionné pour les philosophes, comme Nietzsche, dont il retient « l’exaltation de la puissance du « moi » ! Mais, à la différence d’Hitler, il ne systématise pas ses idées. Mussolini se dit avant tout anti-parlementaire, prône le culte du chef, se dit anti-démolibéral, anti-socialiste ». Il affirme : « Notre doctrine, c’est le fait ! ». Il se veut réaliste.
En apparence, il s’adapte et semble faire preuve d’une grande souplesse dans l’action, mais son orgueil démesuré le pousse à des rêves mégalomanes et se verrait bien dans la peau d’un nouveau César. D’ailleurs tout le ramène aux splendeurs passées de la puissante Rome, dont il est un admirateur fervent, et toute la symbolique des « fasci » tourne autour de la pompe impériale des Cesar ainsi que des légions romaines dont il va adopter les insignes et les devises, façon très efficace de rappeler au peuple italien que cette Italie pauvre où se débat pour sa survie un peuple englué dans la misère, ce n’est pas sa conception à lui de l’Italie. La sienne est flamboyante, grandioso, conquérante et éternelle. Ce n’est pas tant son aura de futur Duce qui est en ligne de mire pour le peuple italien bafoué, humilié par les lendemains de la guerre 114/1918, par les Alliés à la parole de falso, mais tout le destin de l’Italie dont il est persuadé maintenant, il en a l’intime conviction, d’en détenir le grand dessein Ce n’est pas qu’un mégalomane, il se veut aussi et surtout visionnaire. Le destin de l’Italie en 1920 retrouvera plus tard, grâce à son action et à celle de ses compagnons, le destin prodigieux de Rome !
Les « fasci » vont faire un travail de propagande étendu à toute l’Italie. Ils multiplient les embryons « fasci ». Le ralliement de d’Annunzio et l’occupation de Fiume les galvanisent. Et rallument dans la population italienne, une sorte de fierté nationale, qui couvait sous les braises depuis que Garibaldi s’était illustré en tant que nationaliste italien et d’envergure. Le résultat ne se fait pas attendre, ce coup d’éclat retentissant va faire grossir de 20395 membres, les fasci, en terme d’adhésions. En moins de 6 mois.
Avec la décomposition des partis politiques, le nombre de membres va se démultiiplier. Cependant au niveau parlementaire, le nombre de représentants des fascis ne va pas confirmer le succès du mouvement.
Composition de la chambre :
Socialistes : 156 membres élus.
Les « popolari » ou démocrates chrétiens : 100
Les radicaux : 30
Les républicains : 8
Les libéraux : 220
Mussolini qui s’est présenté aux élections comme candidat à Milan n’est pas élu. Les marxistes ont devant eux une voie royale. Ils sont à peu près certains d’accéder très bientôt au pouvoir.
La grève générale.
Le 3 décembre 1920, les marxistes décrètent une grève générale, émaillée d’incidents graves, d’émeutes et d’affrontements sanglants entre les factions politiques, dans toutes les villes d’Italie. L’armée est attaquée, les casernes, les officiers agressés en plein jour, les désordres de toutes parts s’accentuent. Les ministères démissionnent sous la pression de la rue. La révolution monte. Les conservateurs accusent Moscou d’être à la manœuvre derrière les émeutes où « Les morts se comptent par dizaines, les blessés par centaines ». Dans les campagnes, en marge de ces manifestations, quelques nervis se livrent à des exactions, rançonnent, pillent et n’hésitent pas à tuer.
Le cours de la monnaie italienne s’effondre. Le parlement se terre. L’inflation atteint des sommets et le 29 août 1920, la Fédération italienne de Métallurgie décide d’occuper les usines. C’est le commencement d’un bras de fer très dur avec le gouvernement. Les ouvriers séquestrent les cadres et la direction ainsi que leurs familles. Victor-Emmanuel III, le roi d’Italie envoie ses troupes pour mater la grève.
Les ouvriers transforment les usines occupées en places fortes, creusent des tranchées tout autour, placent des rangées de fils barbelés et s’organisent pour résister aux troupes royales. A l’intérieur des usines, les ouvriers ont créé des « sections » en groupes de défense et prises de décisions.
Ils ont pris le soin de se constituer des stocks d’armes très importants et suffisamment pour tenir tête à l’armée, sur la durée. C’est une lutte à mort qui s’engage.
.../..
1Idéologues émasculés.
2L’entente : .
3Federzoni : écrivain et homme politique italien.
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