Le fascisme - Ses origines - Volet N° 4
L’ascension, la consécration.
De retour de San Rossoro, le roi Victor Emmanuel III qui a refusé les demandes du gouvernement Facta de déclarer l’État de siège, alors que le Mont Mario à Rome était l’objet de quelques canonnades, et vraisemblablement pas mécontent de voir le régime social-démocrate italien s’écrouler, décide que le destin de l’Italie passera à l’avenir par le Duce qu’il convie au Palais du Quirinal, la résidence royale italienne. Mussolini accourt. Le roi lui confie le Ministère. Le fascisme triomphe. Les élections de 1924 rapporte aux « fasci » 5 millions de suffrages, contre 2 millions de voix à ses adversaires. La rupture est consommée. Le Duce annonce dans la foulée, dès son investiture, par une circulaire, l’instauration de la « dictature ». Elle sera absolue. Toute espèce d’opposition sera muselée, les opposants pourchassés. La liberté d’expression sera « supprimée » par décret, mais plus sûrement à la force des baïonnettes. Car, l’autorité du Duce surpasse désormais celle des César romains. Sa politique réaliste laisse de côté ses premières doctrines ; son rêve est enfin accompli. L’italie sera la « nouvelle Rome ». Il restaurera le prestige de l’État, et pour s’assurer le succès escompté, tel un oracle, il en appelle à la collaboration du peuple italien tout entier, quoi qu’il en coûte, à participer à ses rêves mégalomanes, au prix de tous les sacrifices. Mussolini couche sur le papier, cette sentence :
« La vie telle que le fascisme la considère doit être sérieuse, austère, religieuse, soutenue par la force morale ».
Or, cette religiosité et cette force morale dont il parle sont tournées essentiellement vers sa personne, le culte du chef porté au paroxysme ; il s’affuble des oripeaux d’un « fanatisme » politique. Et là est le grand danger, à commencer pour lui-même. Si son ascension ressemble plus à une grande épopée, bientôt les écueils vont se multiplier. Sa révolution (car le fascisme est sans conteste, une révolution), elle contient les poisons pour abattre et son créateur et sa créature. J’y reviendrai.
L’affaire Matteoti.
Le 30 mai 1924, le député socialiste Matteoti dénonce publiquement le trucage des élections, la violence des milices mussoliniennes. Le 10 juin 1924, Matteoti, député socialiste est assassiné par la milice. Or, Matteoti est en Italie une figure, une personnalité connue et respectée du monde politique. C’est l’indignation générale. Mussolini qui ne s’attendait sans doute pas à une telle réaction, désemparé, craint de voir son prestige vaciller sous le coup de l’émotion générée par cet assassinat, exprimée par tout le peuple italien, y compris dans ses propres rangs.
Mussolini qui a une part non négligeable de responsabilité dans le crime de Matteoti, laisse l’enquête se dérouler, sans intervenir personnellement. Dans ses rangs, plusieurs chefs fascistes, ulcérés, démissionnent, persuadés qu’il va trop loin. En réaction, il renforce ses pouvoirs dictatoriaux, déjà bien installés, en interdisant les partis politiques et les syndicats non fascistes. Il ordonne la chasse systématique de leurs chefs et donne tous les moyens à la disposition de ses milices pour y parvenir
L’Église et Mussolini.
L’assassinat de Matteoti, passant très mal dans l’opinion publique, y compris dans le monde catholique italien, l’Église se montrant à son égard assez frileuse, le athée qu’il est, décide de la brosser dans le sens du poil. Très opportuniste, il va tisser des liens avec le Saint-Siège et se concilier le soutien du Pape Pie XI. Car il sait le poids immense que représente le Vatican, s’il veut la tranquillité avec cette Institution et le pape. Pie XI faisant patte de velours, (et n’ayant aucun traits communs avec le légendaire pape Jules II qui combattit mordicus les Borgia, au XVe siècle, surnommé le « pape guerrier »), prêtera au Duce, une oreille attentive devant la submersion des « fasci » aux dernières élections. On n’est jamais assez prudent !
Les accords du Latran.
Le 11 Février 1929, Mussolini et le Saint-Siège se réunissent et signent les « accords du Latran ». Ces accords politiques comportent plusieurs clauses, dont trois séries très importantes :
1/ La souveraineté papale sur la cité du Vatican.
2/ Un dédommagement financier pour la perte des États pontificaux en 1860-1870,
3/ Un concordat normalisant les relations entre l’État fasciste et l’Église ;
Ces accords arrangent les deux parties, Vatican et Mussolini. Et assurent à l’Église d’importants privilèges, le premier de tous : le catholicisme « religion d’État », religion officielle. Le mariage religieux reconnu consécration officielle au même titre que le mariage civil, l’enseignement religieux devient obligatoire dans toutes les écoles.
Pour Mussolini, ces accords sont le fruit d’habiles tractations et dénotent pour ceux qui en douteraient encore la marque de son « génie » politique, car tout athée qu’il fût, l’Italien ne pouvait ignorer qu’un tel appui lui ouvrirait toutes grandes les portes d’un pouvoir sans partage. Et que Pie XI, le saluant officiellement comme « l’homme de la Providence », une telle caution lui rallierait un nombre incalculable de catholiques, pourtant très réticents au départ.
L’exercice du pouvoir.
Si l’on prétend que le pouvoir use, le pouvoir galvanisera Mussolini tout en le rendant de plus en plus cynique, amoral, mais… solitaire. Son entourage constate la transformation progressive de sa personnalité, de son caractère, de son comportement. Les conseils des autres ? Il n’en a cure. Seul, compte son avis. Il intervient « souverainement » dans tous les domaines, accablé par l’immensité des taches qu’il s’impose. Il est aussi sujet à de nombreuses volte-face inattendues.
Il y a du baroque dans Mussolini.
Certains ont beaucoup glosé sur son éloquence dite « superficielle ». On peut le penser, mais force est de constater qu’il sait émouvoir les foules, lorsque, tombant la veste, il se met à labourer un champ devant les caméras, multipliant les mises en scène, pour appuyer sa « grande bataille de la production », par des postures emphatiques, ou justifiant l’expansion coloniale avec les guerres éthiopiennes, ou bien pour exalter la fierté des Italiens dans le domaine des relations internationales avec les autres puissances. Mussolini dans ce domaine est assez contradictoire, à plus d’un titre. S’il réussit dans le domaine de la politique intérieure, par des mesures coercitives ou diplomatiques, nous l’avons vu avec ses génuflexions stratégiques envers Pie XI et le Saint-Siège, envers le grand Patronat, la grande bourgeoisie en leur déroulant le tapis rouge, en matière de politique internationale, il va montrer ses limites en entraînant l’Italie dans la guerre aux côtés d’Hitler, qu’il admire. Le chancelier du IIIe Reich, par un jeu de dupes lui fera miroiter que de le suivre dans sa folle aventure, assurera à l’Italie l’hégémonie italienne en Méditerranée.
Mussolini, chef révolutionnaire.
La société occidentale découvrait le modernisme, avec la deuxième industrialisation, tandis que l’Italie restait en décalage par rapport aux autres pays européens de l’ouest.
Les « masses » italiennes constituaient un mélange de toutes origines sociales, où le monde ouvrier et paysan assuraient la majorité de la population. Un monde paysan, vivant en quasi « autarcie ». La social-démocratie malgré un détachement progressif des anciennes valeurs, des valeurs traditionnelles de la société italienne, allait à pas très lents vers le « modernisme » sur lequel se jetait avec engouement, le reste de l’Occident. La social-démocratie, en pleine possession de contraintes « bien conçues », était aux yeux des élites italiennes et de Mussolini, un appareil d’État « suranné », dans l’immobilisme et considérablement affaibli par la corruption, coupé des masses laissées pour compte et confrontées de manière brutales à un gouvernement et des politiciens italiens prétendant se porter garants des institutions et de la grandeur traditionnelle italiennes. L’’industrie naissante italienne avait peine à franchir les frontières. Les élites issues de la grande bourgeoisie de la botte, formées à l’étranger, exclues de leur propre pays des postes politiques ou économiques, très conscientes des tares du régime en place, stoppées dans leurs aspirations au modernisme tant décrié par les réactionnaires de tous bords, arguaient que Mussolini était « leur » homme. Car il donnait le sentiment de détenir un « plan d’action » pour se lancer contre le pouvoir en place, mu par la force mécanique des choses.
Très vite, Mussolini apparut à la bourgeoisie comme un chef révolutionnaire, comme le « prophète armé » s’appuyant sur une organisation – la milice – une armée véritable, avec son État-major, ses cadres, ses troupes. Ce qu’il démontrera dans sa grande parade de la marche sur Rome, avec brio. Il ne s’agissait plus d’une simple révolte populaire, mais d’une « organisation de combat » rationnellement conçue, axée sur un seul but, dégager le régime et transformer le pays de fonds en comble.
Que l’on ne s’y trompe pas : Mussolini, sous des dehors de défenseur des traditions, visait une augmentation de la production industrielle de son pays, d’où son adoubement aux industriels italiens et visait aussi, la productivité, c’est-à-dire un rendement industriel capable de concurrencer les autres pays européens. En général, lorsqu’un chef révolutionnaire vise la modernisation d’un pays, « la révolution ne suit pas l’industrialisation », c’est tout le contraire : elle la précède. Elle accélère le processus, en quelque-sorte. Et… Impose à la masse, une concentration dans les villes, en vidant les campagnes pour créer de la main-d’oeuvre à vil prix, un prolétariat.
Au yeux de Mussolini, tout entier coulé dans son rôle de chef révolutionnaire, ce genre d’objectif sous-jacent de son action présente et à venir, en plein accord avec les grands propriétaires fonciers et les grands industriels particulièrement, ne pouvait être dévoilé franchement aux masses italiennes qui attendaient tant du Duce. L’élite révolutionnaire mussolinienne ne pouvait afficher publiquement ces plans, sans risquer de s’aliéner les masses concernées. Lorsque Mussolini s’entendit avec les latifundia, les « agrariens », pour l’appropriation des terres, il s’adressa d’abord aux masses, en parlant de retour à la terre, de réformes agraires, sans préciser en faveur de qui. Mentait-il aux masses ? On peut le supposer. Mais il ne faisait qu’exprimer par des formules adaptées, la traduction inconsciente de principes incompréhensibles en projets, mais accessibles et acceptables par les masses, dans une dialectique parfaitement adaptée. Il savait aussi que le pouvoir qui s’accompagne souvent de luttes intestines avait besoin des voies légales (les élections) techniquement organisées par un savant calcul, seul accès au pouvoir en question. Les élections, à fortiori truquées, constituaient les facteurs dominants d’une marche vers des desseins que les masses accepteraient, mais s’apercevraient à leur détriment, (mais trop tard pour revenir en arrière), toute la portée et la direction voulues par Mussolini, en faveur des forces de l’argent.
Après les élections qui le portèrent au sommet, les parlementaires n’étant là que pour le décor, il était impératif pour les « fasci » de défaire le parlement italien qu’ils jugeaient poussiéreux et qu’ils balayaient d’un revers de main. Mais craignant avant tout les scissions, Mussolini ne tolérerait l’unité politique qu’à travers un seul parti, le sien. Un parti s’appuyant sur une nouvelle « aristocratie » aux commandes. Il devait absolument garder son influence, sa main mise. Car le révolutionnaire, bien qu’il les détestait et les ait combattus, était un homme de parti, l’homme de l’appareil révolutionnaire qu’il avait créé, comme le furent également dans un tout autre contexte révolutionnaire, Lénine ou Mao Tsé Toung.
Il était conscient, également, que le peuple jouait un rôle central dans l’affaire. Quel révolutionnaire aurait pu résister à une poussée des masses, telle la force d’une marée en action, une fois trahies ? Son rôle de chef était à la fois celui du padre, du padrone, devant les foules désemparées, infantilisées par une propagande massue, un rôle de dispensateur de « justice », un peu redresseur de torts, qu’il s’octroyait, sachant défendre les couches les plus défavorisées, s’attaquant à la corruption, etc. Mussolini, à grands renforts de publicité/propagande, s’attaquera aussi à la Mafia. Ce qui confortera l’appui de la Bourgeoisie, souvent entravée par les actions illicites et concurrentielles de la Mafia.
Peut-être ses vieilles habitudes d’instituteur, il y a aussi chez lui un côté « maître à penser ». Dans sa clairvoyance, il avait parfaitement ciblé quelles « fautes » ou « fauteurs de troubles », il fallait dénoncer aux masses, lui, le détenteur de vérité.
Cependant, son cheminement est fort sinueux. Il prend des chemins de traverse, pour revenir toujours au point central : les masses ont un sens aigu de la justice, et des besoins moraux. Mais ne jamais non plus perdre son objectif principal : tout passe par l’État, un État prodigieusement puissant, dont il sera l’épicentre. Car comme beaucoup de dictateurs, il s’identifie à l’État, à l’Italie.
Mussolini possédait un don : celui de se présenter comme un homme d’action, et à travers sa doctrine, rendre ses ennemis haïssables. Mussolini réussissait par là, sa révolution de chef omniscient. Tout son travail avait une fin : il devait rester supérieur à toute pensée dans son mépris des velléitaires incapables de comprendre l’Italie, ce grand peuple. Or, toute grandeur d’un État doit s’accompagner d’une grandeur militaire, et, comme le démontraient les leçons passées de l’Histoire : ne jamais s’allier à des régimes du même type. Cette erreur lui sera fatale.
36 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON