Le fléau abstentionniste ou De la nécessité de recréer un terreau démocratique réel
Parmi les nombreux chiffres dont les médias ont encore abreuvé les Français ces derniers jours, l’un d’eux mérite, peut-être, plus l’attention que d’autres : celui des prévisions de l’abstention aux prochaines élections présidentielles qui atteint un niveau record. Suivant les estimations, c’est à peu près un tiers des Français qui serait prêt à ne pas se rendre aux urnes, un chiffre jamais vu pour une élection présidentielle et qui dépasserait nettement celui de 2002. Bien entendu, ce ne sont que des prévisions, mais tout de même, elles veulent dire quelque chose, à fortiori lorsque chez les jeunes ce chiffre s’envole plus haut encore, à près d’un électeur sur deux qui bouderait les urnes.
Plusieurs raisons sont invoquées pour expliquer ce chiffre. Le contexte international tendu invisibiliserait la campagne présidentielle après la covid qui en a saboté le départ. La faiblesse des candidats qui ne feraient pas vraiment campagne pour certains d’entre eux, à l’image du président sortant, tandis que d’autres se marcheraient dessus en sosies au point de ne pas rendre leurs différences clairement explicites aux Français. La faiblesse des programmes sur des sujets d’aujourd’hui, comme l’écologie, ou des sujets très concrets permettant aux Français de se dire « ah oui, avec cette mesure je vais pouvoir gagner un peu de pouvoir d’achat ». Ce sont là certaines des raisons invoquées, et il y a sûrement du vrai, mais il faut aussi dire qu’elles n’expliquent pas tout. Quoiqu’on en dise, l’effort sur le contenu des programmes de plusieurs candidats est réel, seulement, ils ne sont pas forcément lus. Le contexte international invisibilise sûrement la campagne, mais 38 pct des Français disent ne pas s’y intéresser de toute manière. Plusieurs candidats se marchent sûrement dessus et ne font pas campagne, cela ne signifie pas que ce soit le cas de tous.
Une autre raison qui est souvent invoquée est celle de l’impuissance des politiques, les Français ne croyant plus à la force du politique pour faire changer les choses. La politique, rongée par ses rouages pléthoriques, par ses administrations paperassières ressemble à un ordinateur vieux de vingt ans au disque dur fragmenté. Tout est trop long dans un monde toujours plus rapide, tout est trop lourd dans un monde où tout est toujours plus facile, la politique n’apparaît plus comme de son temps. Les Français préfèrent compter sur d’autres moyens d’action, soutenir de façon plus ciblée des initiatives en mesure de faire avancer le monde dans le sens qu’ils souhaitent. Ce sentiment d’impuissance de la politique vient bien sûr de sa nature même, lourde, apathique, presque bovine en profond décalage avec ce que les Français attendent d’elle, à savoir des réponses rapides, voire immédiates à des difficultés qui ne finissent plus de s’accumuler. Les réponses politiques arrivent toujours en retard, et de fait, le déclassement de la France n’en finit plus de se poursuivre. Cependant, ce sentiment vient également d’une politique qui ne permet plus aux Français d’agir en son sein. Qu’est-ce que la politique en France ? Le droit d’aller voter une ou deux fois l’an. Voilà l’implication des Français dans la politique de nos jours. De référendum, il n’y en a jamais. Une fois à leur poste, les élus font leur petit train-train, les Français sont priés de retourner payer la grande machine étatique avec leurs impôts alors même que le pouvoir c’est eux. De surcroît, si ces élus étaient vraiment représentatifs des citoyens, on pourrait considérer cet état de fait comme un moindre mal. Mais ce n’est pas le cas. Des millions de Français ne sont pas incarnés par leurs élus, à cause d’un système électoral obsolète. L’échec démocratique récurrent lors des élections législatives par exemple, pendant essentiel de l’action du président de la République, amène nécessairement les Français à se demander pourquoi ils vont voter. Cela commence par les corps d’élus les plus invisibles, comme les conseillers régionaux, puis petit à petit les Français ne se font plus d’illusion sur l’escroquerie du système électoral dans leur pays et ils finissent par décrocher totalement de ce même système. Les jeunes eux, décidant même pour une bonne part de ne jamais y entrer. Puisque mon vote n’est toujours qu’une voix perdue qui ne pèse jamais, pourquoi devrais-je croire que la politique peut changer mon avenir ? Pourquoi la politique devrait porter mes espoirs, alors que la politique me dit « va jouer ailleurs, cette cour n’est pas la tienne » ? Ce sont là des questions que beaucoup de Français se posent, qu’ils se posent de plus en plus, car d’années en année le déni démocratique forci.
Aussi, plutôt que le vote obligatoire, plutôt que de proposer des programmes de cent pages que personne ne va lire car plein de promesses qui ne seront pas tenues et de plans sur la comète rarement réalistes, plutôt que de courir les plateaux et les meetings 25 heures sur 24, le préalable fondamental pour inspirer aux Français l’envie d’aller voter, c’est de leur montrer que la politique leur appartient et non aux candidats qui se présentent. Cela signifie d’établir le référendum national, régional et municipal comme une norme de la décision politique en France, de supprimer les élections à deux tours et/ou de mettre en place la proportionnelle intégrale, de faire en sorte que les Français soient partie prenante des décisions politiques et que leurs élus ne soient plus tant les décisionnaires que les exécutants. Attention, cela ne signifie pas de promettre, car malheureusement, trop de promesses en ce sens n’ont pas été tenues et ont fini de décevoir des Français qui croient de moins en moins en ces Arlésiennes démocratiques. Il est trop tard pour sauver cette élection, mais ces mesures doivent être les premières de chaque candidat pour restaurer le lien avec les Français et doivent être prises quoiqu’il en coûte, car sinon, il viendra un temps où le système démocratique sera définitivement mort. De là à dire que c’est le souhait des candidats à la présidentielle, il n’y a qu’un pas !
Alexandre Page, écrivain et docteur en histoire de l’art.
Twitter @page_alexandre
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