Le FN, parti le plus « gay friendly » ?
Marine le Pen et Sébastien Chenu/ DOMINIQUE FAGET/AFP
L’actualité au Front National est désormais people, axée sur les préférences sexuelles (réelles ou supposées) de ses cadres, en particulier les amis et alliés de la Présidente. L’outing de son bras droit Florian Philippot par le raffiné magazine Closer ainsi que la médiatisation du ralliement de Sébastien Chenu, ancien fondateur de Gaylib, font la une des journaux. Doit-on en conclure que le Front National est devenu le parti le plus « gay friendly » de France ?Le Monde publie une très sérieuse enquête intitulée « Le FN pour tous » tandis que Libération conclut que les « tradis anti-gays » ont été vaincus. Dans les rédactions, on débat de la moralité de l’ « outing » de Philippot, supposant que cette « révélation » puisse servir sa carrière politique- Didier Lestrade pensant même que cela puisse n’être qu’un odieux coup monté par Philippot lui-même. Mais c’est Didier Lestrade. La présence de gays au FN est pourtant connue et ancienne. On se souvient de l’outing de Steeve Briois l’an dernier mais aussi, il y a vingt ans, de la déclaration si subtile de Le Pen père après l’assassinat de M. Poulet-Dachary : « Au Front National, on ne fouille pas dans la braguette de nos administrés ». Au sein l’extrême-droite française, les homosexuels ont toujours été présents, en particulier sous le régime de Vichy - que l’on songe à Robert Brasillach ou Abel Bonnard, surnommé « la Gestapette »… Bien entendu, ils n’étaient pas militants d’une « cause » homosexuelle. Dans Pourquoi les gays sont passés à droite publié en 2012, le militant et fondateur d’Act up Didier Lestrade, toujours lui, défendait l’idée que de nombreux homosexuels sont désormais attirés par les sirènes nationalistes et anti-musulmanes, citant pêle-mêle Caroline Fourest (contre l’islamisme), Joseph Macé-Scaron (journaliste dandy) et Renaud Camus (soutien affiché de Marine le Pen et des « identitaires »). C’est plus sûrement un mouvement de fond de « droitisation » du débat et de la société qui est ici en cause que des individus ciblés en fonction de leurs préférences sexuelles : les homosexuels sont des citoyens qui ne votent pas en fonction de leurs seuls « intérêts » supposés, n’en déplaise à ceux qui dénoncent le « lobby gay » à l’instar d’Aymeric Chauprade, le géopoliticien du Front National ou d’Eric Zemmour. Le « lobby LGBT » (terme à la mode même si personne ne parle ainsi dans la vie courante) n’existe pas dans la société française, sauf chez les complotistes.
Il nous semble surtout que cette « affaire » et la mise en lumière de la présence de gays au FN illustre remarquablement deux tendances : la « normalisation » et la « Pim Fortuynisation » – qu’on pardonne cet hideux néologisme – du parti d’extrême-droite. Les deux étant liées. « Normalisation » d’abord puisque le Front National n’est plus le parti des vieux caciques traditionalistes, tendance OAS-ultracatholiques type Saint-Nicolas-du-Chardonnet et Monseigneur Lefebvre. Les grognards de cette engeance, comme Roger Holeindre ou Bernard Antony, ont quitté le navire et rejoint la groupusculaire écurie menée par Carl Lang, le « parti de la France ». Ils ne font plus partie du FN version « mariniste », le FN 2.0. Celui-ci se présente comme une maison commune, un parti de « patriotes » qui accueille chacun, quelle que soit sa vie personnelle voire ses origines dès lors qu’il affirme haut et fort son attachement à la nation, la volonté de son redressement et que Marine le Pen est seule à même de rassembler les Français. Si le Front National compte encore des éléments homophobes et racistes, la ligne officielle a changé. Marine le Pen ne peut être objectivement accusée d’homophobie, elle en fait donc un atout. Face à une UMP qui s’écharpe autour de questions de société et reste divisée sur la question du mariage homosexuel, déchirée entre ceux qui n’en ont cure (Alain Juppé, droit dans ses bottes) et ceux qui ne peuvent s’empêcher, parce que « ça ne coûte pas très cher », de faire des oeillades appuyées à la Manif pour Tous, le Front National apparaît comme un parti ouvert. La stratégie de prestidigitation a fonctionné.
L’analyste politique ou le fin connaisseur du parti sait bien qu’il n’en est rien (d’abord parce que le FN veut abroger la loi Taubira, rien de moins), mais c’est une question d’image. Les grincheux n’ont qu’à quitter le navire, disent les marinistes, car les Français donnent raison à cette ligne politique lors des élections. C’est ce qui explique pourquoi F. Philippot, Marine le Pen ou encore Steeve Briois n’ont pas participé aux cortèges de la Manif pour Tous. Ce n’est pas par militantisme en faveur des droits des homosexuels mais essentiellement par stratégie politique à long terme. Ils ont laissé la droite traditionnelle, catholique, se caricaturer elle-même, avec Alain Escada de Civitas en guest star peu glamour, les fanatiques des Jeunesses Nationalistes amoureux de Pétain ou encore le Renouveau Français et ses royalistes - certes, ceux-là ne composaient pas l’essentiel des cortèges mais on les voyait bien, complaisamment filmés, dans les reportages. Les extrémistes « traditionnels » de l’extrême-droite quittent le Front National les uns après les autres même s’ils y conservent quelques relais. Les militants sont parfois un peu plus « extrêmes » que ne le souhaiterait la Présidente, notamment sur Facebook (comme le site l‘Entente.net le démontre chaque semaine, ce qui aide beaucoup Marine le Pen à faire le ménage dans son parti). Malgré tout, ce que le Pen père n’avait jamais su ou voulu faire, sa fille est sur le point d’y parvenir. Le Front National effectue une mue en terme d’image et non d’idéologie, sa présidente étant persuadée de pouvoir gagner les élections présidentielles de 2022 sur une ligne de rassemblement des « patriotes français » - 2017 viendra trop tôt à moins d’une aide de la providence.
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Pim Fortuyn, amoureux des animaux et leader d’un parti « populiste » au début des années 2000.
C’est ici qu’intervient la « Pim Fortuynisation » du Front National. Non que sa présidente se transforme progressivement en néerlandais chauve ouvertement homosexuel, mais la stratégie de Pim Fortuyn aux Pays-Bas, au tournant des années 2000, apparaît comme un modèle : Fortuyn a mal fini, certes, assassiné par un environnementaliste enragé en 2002, mais il incarnait à merveille cette nouvelle extrême-droite dont rêvent les marinistes. Il récusait d’ailleurs cette appellation. Son rêve était de rassembler les Néerlandais autour d’un parti ouvert sur les questions de société, antieuropéen et, surtout, anti-immigrés et anti-islam. Geert Wilders, l’auteur du « documentaire » anti-islam « Fitna » a repris le flambeau avec son Parti de la Liberté qui a accepté la main tendue du Front National au Parlement européen : il trouve désormais le Front National « sympathique » avec sa nouvelle présidente. Cette amitié nouvelle n’a certes pas permis au Front National de créer un groupe au Parlement européen mais illustre à merveille cette nouvelle donne.
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Marine le Pen et Geert Wilders en juin 2014 (AFP).
Certes, une lame de fond conservatrice traverse une large part de l’électorat européen. Peu s’attendaient à l’ampleur de la mobilisation contre le mariage homosexuel en France. Mais les marinistes font le pari que cette droite-là est minoritaire : bourgeoise, conservatrice et catholique en majorité, elle ne « fait » pas une élection ni ne construit de véritable projet politique, n’en déplaise à ceux qui voyaient un large mouvement « populaire » se lever après les grandes manifestations du printemps 2013. La majorité des électeurs du Front National sont certes plutôt conservateurs et défendent volontiers des positions réactionnaires. Mais ils ne sont pas militants et encore moins ultracatholiques. Ce sont les questions économiques et d’ « identité » (pour être clair, l’opposition à tout ce qui rappelle vaguement l’islam et les musulmans) qui sont au cœur de leurs préoccupations. A notre sens, cette stratégie est potentiellement payante sur le long terme même si le « moment Zemmour » actuel tendrait à la contredire : l’agrégation d’opposants furieusement réactionnaires, du Printemps français aux « anti-gender » en passant par les « identitaires », ne constitue pas un programme politique. Les partisans de la ligne « mariniste » (qui est surtout la ligne Philippot) auront du mal à faire avaler la pilule aux « anciens » mais leur stratégie d’ « union des patriotes », pour creuse qu’elle soit, a au moins le mérite de présenter leur mouvement comme celui de l’ouverture (à ceux qui font allégeance) plus que comme celui de la fermeture (sauf celle des frontières, bien entendu). L’implosion interne du FN étant peu probable dans la dynamique actuelle du parti (sauf résultats électoraux décevants), la ligne mariniste a tout pour triompher : comme le déclare un membre du parti à Libération, « quand certains tentent mollement de s’opposer, elle fait valoir qu’elle a fait passer le FN de 15 à 25%, que jamais le parti n’a eu autant d’eurodéputés, que nous avons des députés, des sénateurs, des maires, des conseillers municipaux et bientôt des élus départementaux ». La quintessence de la « normalisation », en somme.
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