Le France, l’Europe et le mythe du modèle allemand
Certains médias français sous influence politique de droite, y compris une certaine presse allemande de caniveau (Die Bild Zeitung), reprennent le couplet de la maladie française face à la bonne santé allemande qui ferait que l'Allemagne pourrait et devrait imposer à la France et à l'Europe une politique d'austérité et de réduction à 0% de sa dette publique aux dépens de la croissance. C'est méconnaître la réalité des rapports de force en Allemagne et en Europe aujourd'hui et prendre au pied de la lettre certains discours allemands pro-domo sans considération de cette réalité.
La commission européenne n'est plus ce qu'elle a été : le programme de nouveau président Junker est axé sur la croissance et sur la reprise, via les investissement publics (300 milliards), et non plus seulement sur la réduction des déficits publics, le chef de la BCE (Mario Draghi) est sur la même ligne, ainsi que le FMI et le président (Martin Schulz, social-démocrate) d'un parlement européen doté de pouvoirs renforcés. Le premier ministre du gouvernement italien (Matteo Renzi) et le commissaire européen à l'économie et aux affaires financières (Pierre Moscovici), ancien ministre de l'économie français, sont tous deux des socio-démocrates. Autant dire que la nouvelle commission européenne ressemble peu à celle présidée par Manuel Barroso. L'Allemagne ne détenant pour sa part aucun poste majeur.
Qu'en est-il justement de l'Allemagne ?
Madame Merkel elle-même, par l'adoption d'un SMIC en Allemagne, négocié avec son partenaire social-démocrate de la coalition, d'une part, et par la nécessité urgente de grands travaux en Allemagne où les infrastructures et autres services publics se sont très fortement dégradés, d'autre part, sait que son pays est contraint, du fait même de la relative stagnation de la croissance en Allemagne et de la réduction prévisible de certains marchés extérieurs (Asie et Russie), de se recentrer sur le marché intérieur (Adoption du SMIC qui va accroître considérablement le coût du travail) et sur le marché européen. La grande question de l'Allemagne estaussi celle de la transition énergétique, dès lors qu'elle cherche à sortir du nucléaire, mais cela se fait aux dépens de son indépendance énergétique vis-à-vis du gaz russe et de la baisse de production de CO2 , du fait de l'exploitation renforcée du charbon sur place.
De plus il faut toujours voir dans la puissance et la compétitivité industrielles allemandes, le résultats de conditions très peu évoquées par la droite française (et pour cause) : la cogestion paritaire syndicat-patronat des grandes entreprises allemandes, l'importance de la collaboration entre les banques semi-publiques et régionales et les PMI-PME elles même largement soutenues par les grandes entreprises donneuses d'ordre sur le marché extérieur. Les précheurs français du modèle allemand se gardent bien de rappeler que deux conditions permettent en effet de de limiter la participation du capital étranger d'une part, au point que l'on peut parler d'un protectionnisme entrepreneurial allemand, et surtout une politique d'innovation et d'amélioration continue des produits en liaison avec une formation technique initiale et permanente dans les entreprises, sans équivalent en France. Quant au moindre chômage en Allemagne qu'en France, il ne faut pas oublier que l'Allemagne perd plus de 100000 actifs, au contraire de la France qui en gagne autant, du fait de la chute démographique et du fait qu'une bonne partie des femmes sont peu ou prou exclues du marché du travail, sans compter les mini-jobs à 450€ et/ou à 1€ de l'heure. Autant de facteurs qui font mécaniquement baisser le part du chômage dans les statistiques.
Croire que l'Allemagne, dans ces conditions, refuserait radicalement, par pur dogmatisme idéologique, toute évolution dans un sens keynésien relève d'un mythe entretenu par la droite en France pour justifier la baisse du coût du travail, lequel coût n'est pas si haut que cela par rapport à l'Allemagne et qui ne le sera plus du tout après l'adoption du SMIC généralisé dans ce pays...
Il est donc faux de dire :
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Que l'Allemagne refuserait toute politique de croissance et tout report de la réduction de la dette publique. Il faut, sur ce point, distinguer le discours de Madame Merkel (et de son ministre des finances,Wolfgang Schauble) à usage politique interne à son camp et face à la concurrence menaçante des adversaires de l'Europe (Afd) et la réalité de ses décisions politiques, qui, même avec retard, sont relativement souples et pragmatiques.
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Que Madame Merkel disposerait aujourd'hui du pouvoir absolu sur la commission et sur le parlement européens, voire sur la Banque européenne, si tant est qu'elle ait le désir qu'on lui prête d'imposer aujourd'hui à l'Europe une politique d'austérité dont l'Allemagne serait la première victime.
Parler, dans ces conditions, de l'échec de la visite de Manuel Valls en Allemagne, est donc pour le moins prématuré, pour ne pas dire tout à fait erroné.
Hildesheim
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