Le frêchisme est un pragmatisme sans idéal
Ce 25 février 2010 Bertrand Delanoë était l’invité de la matinale de France Inter, et comme c’est de coutume depuis plusieurs mois désormais chaque fois qu’un responsable socialiste est interviewé, la moitié de l’entretien a porté sur la personnalité, les propos et le passé de Georges Frêche, président de la région Languedoc Roussillon, de l’agglomération de Montpellier, et ancien maire triomphant de la même ville
L’entretien, sans grande originalité, visa donc une fois de plus à définir l’action visionnaire de Georges Frêche dans sa ville puis sa région, ainsi qu’à tenter d’expliquer, prise de distance incontestable à l’appui, ses positions récentes. Avant Delanoë, Gérard Colomb et François Rebsamen s’était déjà risqués au jeu de la pédagogie, mais de l’autre côté de la barrière : il s’agissait pour eux d’apporter leur soutien à l’homme de gauche, à l’érudit et à l’homme cultivé, ancien allié et frère d’armes. La branche Aubriste du parti socialiste n’avait quant à elle eu de cesse jusque là de fustiger ce traître aux valeurs de la gauche républicaine.
Ces tentatives de définition du personnage à l’aide d’outils standardisés sont plus piteuses les unes que les autres, et n’aboutissent systématiquement qu’à un parti pris supplémentaire dans une mêlée idéologique qui ne sait plus qu’en faire. Car la vérité, c’est que Georges Frêche n’a que faire des grands principes républicains. Son but n’est pas de porter la bonne parole socialiste, républicaine ou humaniste : son but est d’aller au bout de ses rêves montpellierrains d’abord, languedociens ensuite. Pour ce, il a besoin d’être réélu. Or ce ne sont ni les journalistes ni les biens pensants qui voteront en Languedoc.
Il lui faut donc ratisser large. Et pour lui, ratisser large, c’est avant tout rameuter "les cons". C’est en tout cas ce qu’il disait lui-même il y a près de deux ans à ses étudiants montpellierrains. Toute la philosophie frêchiste est contenue dans ces lignes. Verbatim :
" La politique c’est une affaire de tripes, c’est pas une affaire de tête, c’est pour ça que moi quand je fais une campagne, je ne la fais jamais pour les gens intelligents. Des gens intelligents, il y en a 5 à 6 %, il y en a 3 % avec moi et 3 % contre, je change rien du tout. Donc je fais campagne auprès des cons et là je ramasse des voix en masse.
[...] Quand je ferai campagne, dans deux ans pour être de nouveau élu, je ferai campagne sur des conneries populaires, pas sur des trucs intelligents que j’aurai fait. Qu’est ce que les gens en ont à foutre que je remonte les digues, les gens s’occupent des digues quand elles débordent, après ils oublient, ça les intéresse pas, les digues du Rhône, les gens ils s’en foutent, à la prochaine inondation, ils gueuleront qu’on n’a rien fait. Alors moi je mets beaucoup d’argent sur les digues du Rhône, mais ça ne me rapporte pas une voix, par contre si je distribue des boites de chocolat à Noël à tous les petits vieux de Montpellier, je ramasse un gros paquet de voix.
[...] Les gens, ils disent pas merci, d’ailleurs les gens ils disent jamais merci. Les cons ne disent jamais merci. Les cons sont majoritaires, et moi j’ai toujours été élu par une majorité de cons et ça continue parce que je sais comment les « engraner », « j’engrane » les cons avec ma bonne tête, je raconte des histoires de cul, etc… ça un succès de fou, ça a un succès fou. iIs disent, merde, il est marrant, c’est un intellectuel mais il est comme nous, quand les gens disent "il est comme nous", c’est gagné, ils votent pour vous. Parce que les gens ils votent pour ceux qui sont comme eux, donc il faut essayer d’être comme eux.
Là, les catalans me font chier, mais je leur tape dessus parce qu’ils m’emmerdent, mais dans deux ans, je vais me mettre à les aimer je vais y revenir je vais leur dire, "mon Dieu, je me suis trompé, je vous demande pardon", ils diront : qu’il est intelligent, ils me pardonneront, ils en reprendront pour 6 ans. C’est un jeu, qu’est ce que vous voulez il faut bien en rire. Avant je faisais ça sérieusement, maintenant j’ai tellement l’habitude de la manœuvre que ça me fait marrer.
Les cons sont cons et en plus ils sont bien dans leur connerie. Pourquoi les changer, pourquoi voulez vous les changer ? Si vous arrivez à faire en sorte que les gens intelligents passent de 6 à 9 % voire à 11, vous ne pourrez pas aller au-delà.
[...] Toujours 3 ou 4 ans après, ils disent, mais il est pas si con parce que après tout ce qu’il a fait ça marche. Donc vous faites des trucs, vous vous faites élire, 6 ans. Les 2 premières années vous devenez maximum impopulaire, vous leur tapez sur le claque, bec, etc… "ah salaud, le peuple aura t’a peau, on t’aura", moi je dis "cause toujours, je vous emmerde". Ensuite 2 ans vous laissez reposer le flan, vous faites des trucs plus calmes. Et les deux dernières années, plus rien du tout, des fontaines, des fleurs, et des bonnes paroles, "je vous aime", "oh catalans, je vous aime", "oh occitans mes frères, je vous aime", vous faites un petit institut, une merde pour propager le catalan auprès de 4 gugusses, tout le monde est content, tout le monde est content, évidemment ils parlent catalan comme ça personne les comprend à 3 km de chez eux.
Mais ça leur fait plaisir. Moi je m’en fous, je parle l’occitan, parce que ma grand-mère parlait occitan, mais je le parle pas, parce que j’ai peur qu’on pense que je parle patois, donc, en plus bêtement, on m’a pas appris l’anglais, alors moi je parle le latin, le grec, l’allemand, l’italien je suis donc un demeuré, parce que ça sert à rien. Aujourd’hui faut parler anglais, ça prouve rien du tout, ça prouve pas qu’on est intelligent, mais ça prouve qu’on peut communiquer avec les trois quart de la planète. Apprenez l’anglais, mais surtout pas avec les profs d’anglais de Montpellier et de France, qui sont parmi les plus mauvais du monde.
[...] Ceci dit, je vais quand même vous dire un truc, les Anglais c’est un peuple formidable, un des plus beaux peuples qui soit, c’est des gens intelligents, courageux, magnifiques, d’ailleurs c’est comme les juifs. "
Au vu d’une telle définition, le plébiscite annoncé de Georges Frêche par les Languedociens reviendraient ainsi plus, selon ses propres critères, à une étude statistique du nombre de cons présents en Languedoc qu’à l’élection d’un Président de Région. En ceci, la réalité dément la plupart des commentateurs : le frêchisme n’est pas une idéologie politique, c’est un pragmatisme dépourvu d’idéal ou de colonne vertébrale. L’échec de ses détracteurs, c’est qu’il est efficace, et qu’il n’a pas d’autre ambition.
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