Le ghosting, cette tendance qui fait fureur

Parmi les nombreux bouleversements sociaux qu’engendre l’usage des nouvelles technologies, qui s’immiscent d’ailleurs dans nos vies à un rythme que l’on pourrait peut-être comparer à celui, effréné, du taux de disparition des espèces - 1000 fois plus élevé que la normale- une nouvelle étonnante coutume semble s’installer profondément et dangereusement dans nos vies, une de plus me direz-vous, mais pas des moindres...Vous n’en avez peut-être jamais entendu parler, mais vous l’avez sûrement vécue, si vous ne l’avez pas fait vivre vous-même à d’autres personnes : il s’agit du ghosting.
Ghosting, ou l’art de couper les ponts avec une autre personne sans explications, ou de ne pas répondre à ses sollicitations de manière inopinée (partenaires, ex, amis, famille, inconnus, ou autres connaissances), avec l’aide, souvent, des zéros sociaux1, qui portent en ce cas d’ailleurs bien leur nom, puisque la communication se retrouve pour le coup du jour au lendemain réduite à néant.
Initialement utilisée pour les ruptures sentimentales, la pratique consistait tout simplement à faire le mort, c’est à dire disparaître soudainement sans donner de nouvelles, et devenir pour ainsi dire ni plus ni moins qu’un fantôme...
Le terme est apparu dans le Urban Dictionnary de 2006, mais aurait pris son envol dans les années 2010 avec les ruptures médiatisées de célébrités, comme celle de Charlize Theron en 2015 qui quitta Sean Penn en refusant de répondre subitement au téléphone.
Selon une étude menée auprès de 1 000 personnes par le Huffington Post et YouGov, 11% assuraient avoir déjà fait le mort pour se débarrasser de leur moitié. Le nombre de ghostés s'élevant quant à lui à 13%.
Mais une journaliste du magazine américain « Elle » qui a mené sa propre enquête allait beaucoup plus loin, avec 50 % de sondés qui auraient déclaré déjà avoir ghosté quelqu’un d’autre au moins une fois dans leur vie, notant qu’il n’existait à ce titre pas de différence de comportement entre les deux sexes, bien que les jeunes générations semblaient les plus touchées par le phénomène.
Cela semble énorme, surtout s’il on prend en compte le caractère extrêmement violent d’une telle pratique…
Psychologie du ghoster affectif
Un expert en séduction du site artdeseduire.com déclarait ainsi que « c’est vraiment la pire des manières de rompre » pour les deux personnes, la compréhension nécessaire au deuil ne pouvant s’opérer et le silence radio s’avérant « pire que les injures, le mépris » et celui qui abandonne devant faire face un jour ou l’autre aux conséquences de ses actes.
Dans la même veine, pour Jean-Charles Bouchoux, psychanalyste interrogé par le nouvelobs, le ghosting est bien plus difficile et plus violent qu'une rupture classique car là-aussi ne permettant pas de terminer une relation normalement. Cela émanerait ainsi « des personnes incapables d'assumer une décision », traduisant un comportement « lâche » et « infantile ».
Selon le magazine anglo-saxon psychologytoday, qui reprend des études sociologiques : « en dépit du fait que le ghosting soit courant, les effets émotionnels peuvent être dévastateurs et particulièrement préjudiciables pour ceux qui ont par ailleurs une faible estime de soi. Le ghosting est l’utilisation ultime du mutisme et de l’indifférence, une tactique qui a été souvent perçue par les professionnels de la santé mentale comme une forme de cruauté émotionnelle. »
Goujaterie
Géraldyne Prévot Gigant , auteure, conférencière internationale, spécialiste -entre autres- de la relation et de la question amoureuse, voit ainsi dans le ghoster la marque :
1 . du « pervers-narcissique » qui peut ainsi contrôler l’autre personne à distance, en lui faisant miroiter une réponse qui ne parvient jamais, les anglais appellent ce comportement le silent treatment, ou stonewalling behaviour, qui traduirait une action passive-agressive, mais aussi une forme de punition par le silence dont le côté sadique pourrait-être plus ou moins conscient selon les personnes. Ne sous-estimons d’ailleurs pas cette propension à vouloir faire du mal, que nous connaissons tous lorsque nous cherchons à nous venger pour faire passer un message à l’autre personne, même si nous ne percevons pas forcément comme tels le plaisir et le soulagement malsains que cela procure … Avec l’avènement des réseaux sociaux, un tel comportement peut d’ailleurs dévier vers l’orbiting, ou breadcrumbing, variante du ghosting mais consistant en plus à tourner avec ostentation autour de sa « victime » à travers les réseaux une fois qu’elle a été ghostée, et en lequel Terrafemina.fr voit le « jeu pervers des enfoirés affectifs ».
2. du « séducteur », autre forme de narcissisme, consommateur de l’amour, qui n’a pas de temps à perdre, de prendre des gants et surtout de se justifier.
3. de l’ « abandonnique » , qui quitte par peur d’être quitté, non pas pour faire du mal, mais plutôt pour se protéger.
4. du « contre-dépendant » , qui à l’inverse de l’abandonnique a peur d’étouffer et préfère fuir.
Certains se sont aventurés à formuler quelques causes circonstancielles, comme une histoire démarrée sur un mensonge, des sentiments qui n’existent pas ou plus, une double-vie, ou des obstacles perçus comme étant insurmontables, par exemple une profonde vexation…Autant de raisons qui sembleraient trop compliquées, ou impossibles de pouvoir assumer en face de l’autre personne, la fuite paraissant alors en ce cas la solution de facilité envisagée…
Certaines raisons, parmi les milliers possibles, paraissent par ailleurs complètement improbables et ardues, il est vrai, à exposer en l’état, ou sans creuser la chose un peu plus en profondeur, comme le rapporte le témoignage de notre psychanalyste qui nous racontait comment une de ses patientes qui se disait « très amoureuse » de son compagnon ne ressentit plus rien après l’avoir simplement aperçu « avec du persil entre les dents ». De quoi en effet se poser quelques questions métaphysiques...
Pour Emily Kellogg, auteure canadienne, le ghosting féminin (qu’elle a pratiqué elle-même) serait une protection contre l’insistance abusive de certains hommes, par ailleurs incapables de comprendre un « non », et la peur de représailles violentes en cas de conflit. ( wikipédia)
Pour d’autres femmes, cela pourrait aussi être un moyen d’éviter de devoir gérer une relation problématique avec leur ex devenu agressif après l’avoir quitté alors qu’elles auraient encore besoin secrètement de leur affection…
Pour Carolyn Bushong (« Les 7 erreurs à ne pas commettre dans un couple »), une erreur commune faite en communication serait celle de croire que l’autre personne lit dans nos pensées... Un silence radio serait-il ainsi plus ou moins perçu, à tord, par son émetteur, comme un message implicitement compréhensible ?
L'angle psychiatrique
Bien que l’ « inconscience » du mal qui est fait est aussi parfois évoquée, tout autant que la léthargie mentale, la procrastination, et la faiblesse de caractère, le DSM-5, bible internationale de la psychiatrie, recense certains troubles de la personnalité, parmi la dizaine établie, qui pourraient expliquer en fait de tels comportements.
Si selon les données américaines seulement 6 à 9 % des individus en seraient affectés de manière pathologique, c’est à dire excessive, ces troubles s’exprimeraient tous en réalité sous forme de tendances plus ou moins marquées et « bénignes » en fonction de notre caractère, ce qui toucherait ainsi chacun d’entre nous à des degrés divers. Les personnalités antisociales et narcissiques caractérisées par un manque d’empathie et d’intérêt pour les autres, retiendront ainsi notre attention, mais les individus schizoïdes, aux émotions et liens sociaux émoussés, voire inexistants et les personnalités borderline, effrayées par leur impulsivité ou même les personnes phobiques, ou évitantes, qui auront tendance à fuir les conflits et les confrontations pourront figurer aussi parmi les principaux ghosters affectifs.
Nous penserons aussi à des maladies comme la dépression, à des chocs psychologiques, ou même certains complexes paralysants touchant jusqu’à la capacité même à les exprimer qui pourront aussi figurer parmi les explications…
Nous n’oublions pas les biais cognitifs, qui tendent à distordre notre perception de la réalité, à des fins d’auto-protection, parfois allant même jusqu’au déni de nos propres actes et émotions.
Pour ceux qui voudraient aller plus loin, des études de grande ampleur parues en septembre 2018 à partir d’un panel de 1,5 million de personnes aux Etats-Unis mettraient en évidence, à partir du modèle psychologique des « cinq traits » (« big five »), 4 grands types de personnalités : moyenne, réservée, modèle et auto-centrée, cette dernière, qui nous intéresse, étant caractérisée par des niveaux d’ « agréabilité », de « consciencieusité », et d’« ouverture d’esprit » plus faibles, voire très bas. Évolutive avec l’âge, cette catégorie serait surreprésentée chez les garçons adolescents, tandis que les personnes de type « modèle », présentées comme fiables, ouvertes et digne de confiance se manifesteraient de plus en plus en grandissant et/ou avec l’appartenance au sexe féminin, dont ces derniers sujets seraient néanmoins plus enclin au « neuroticisme », qui pourrait se traduire ainsi en un ghosting différent … Plusieurs études spécifiques sur les personnalités de type « auto-centré » ont été par ailleurs publiées ces dernières années ("triade noire", "tétrade noire", noyau sombre de la personnalité en 9 critères), mettant en évidence nos aspects psychopathique, sadique, machiavélique ou narcissique notamment.
(source : psychomédia)
Comment se sent un ghosté ?
Les termes issus des témoignages d’abandonnés recueillis par Psychologytoday sont forts : du « manque de respect », et du sentiment d’avoir été « utilisé », « jeté », « pas respecté », « balancé » ou « abusé » même, à celui de se sentir « idiot » , ou comme s’il avait été reçu « un coup de pied dans le ventre », d’autant plus percutant que la relation était vécue comme intense et établie dans le temps. Sont relatées, aussi, une sensation de « très profonde trahison », « douloureuse », une atteinte à l’ « estime personnelle », amenant à une « immense déception ». Certains ghostés parlent d’un « mépris insultant », et même d’une « forme de torture », induite par l’absence claire et compréhensible d’une fin à l’histoire, chose qui irait jusqu’à « rendre fou ».
Une des explications psychologiques avancées à de telles réactions, toujours selon le site américain, est que nous ne serions pas fait pour supporter l’incertitude, a fortiori sur de longues périodes et en particulier pour des sujets aussi viscéraux. Le fait d’imaginer tous les scénarios possibles à une absence de réponse, des plus triviales aux plus insensées, et de demeurer dans un état d’attente indéfinie serait ainsi très stressant et énergivore, tout en nous rendant incapable de pouvoir agir ni de nous positionner. Nous serions donc dans l’impossibilité de pouvoir faire notre deuil, pourtant nécessaire et par ailleurs déjà souvent difficile. De plus, la sensation de rejet social produirait des effets physiologiques proches de ceux induits par la douleur physique. La baisse d’estime de soi et l’auto-questionnement qui s’imposent suite à un tel traitement ajouteraient encore à la difficulté de faire face, sans compter sur les fortes émotions contradictoires, pouvant alterner entre la haine et l’amour, donnant la sensation d’être littéralement hanté par l’autre personne.
Nous verrons dans le prochain article les formes subtiles que prennent la rupture 2.0*, mais explorerons surtout les raisons pour lesquelles vos amis, vos collègues, ou même des inconnus s’y mettent aussi, jusqu’à nous rendre tous fous…
*en référence à l’article des inrocks sur le sujet
1anagramme de réseaux sociaux
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