Le grand barnum
Il existe une critique complaisante et une autre, plus venimeuse, qui naît de la déception. Mais il serait trop réducteur de la limiter au seul Nicolas Sarkozy. Aujourd’hui, c’est bien le système entier, gouvernement, opposition, syndicats, médias, qui grince, coince, grippe.

Après de trop longues années à quai, le navire « France 2007 », équipage au complet, a entrepris la croisière à laquelle une majorité avait souscrit. Les balises du large sont doublées et, dans le sillage, les derniers amers ont disparu sous l’horizon, il ne reste que la pleine mer, et derrière l’espoir et les promesses de rivages meilleurs, derrière encore. L’équipage de « France 2007 », c’est un président, un gouvernement, une opposition, des syndicats, des médias et... des passagers... Nous ! Décortiquons un peu.
Un président ? Plutôt un formidable concentré d’activité... Ah ! Ce besoin de se montrer, toujours, de se répandre, partout, de faire n’importe quoi plutôt que laisser faire ses ministres, quitte à déraper, à se contredire. Il y a, dans cette présidence, un principe de frénésie absolue, un parti pris de transes... La saturation des masses par l’instantanéité, l’émotion... Voilà le style ! Une infinie sarabande, pas une minute d’intervalle entre deux figures imposées... Un rut ! Mais, peu à peu, il apprend. Ainsi vient-il de déclarer à Bruxelles qu’ « engager un référendum sur le nouveau traité Européen était dangereux et qu’il risquait d’être perdu, en France, au Royaume-Uni et dans d’autres pays », parce qu’il y a un « clivage entre le peuple et les gouvernements ». A défaut de démocratie, Nicolas Sarkozy n’est certes pas dénué de réalisme !
Un gouvernement ? Saperlotte ! Une fricassée d’hommes et femmes aux sensibilités hétéroclites, gauche, centre, droite, bercés par la même fascination, confits en politique, avides de maroquins, de cénacles, de hautes autorités... Englués dans ces quatre-vingt-dix-huit chapelles du pouvoir où ils mijotent, envoûtés microscopiques et serviles ectoplasmes... Bien plus soucieux de leur maintien aux commandes que de valeurs... Pitoyables gamètes accourus haletants au formidable coït républicain, fagotés là, à l’appel du maître, tant bien que mal, débiteurs de tout, fertiles à compromis, ramollis en effroyable mélasse.
Ils sont les féaux serviteurs d’un système aussi strict à réprimer la grande ambition (la présidentielle), qu’habile à stimuler les petits appétits, aviver les besoins de reconnaissance, les amours-propres, les vanités. Ministres, secrétaires d’état, rapporteurs... Petites flûtes... Ils ont au mieux la permission de résonner, en pointillés, creux et sans timbre, de la pensée vibrionnante de leur maître. Et c’est pas tous les jours !
L’opposition ? Le Modem ne pèse pas lourd, faute de financement, d’équipe dirigeante, de colonne vertébrale. De conflits internes en défections (demain Cavada ?), il tâtonne... Les idées ne suffisent pas, il manque un style. Le PS, lui aussi, a renoncé au style et à toute ambition présidentielle, faute de leader, de ligne politique à l’échelon national. Ses élus lorgnent ostensiblement les urnes régionales, municipales, cantonales. C’est la véritable force du parti et de longue date. On se prend à rêver d’un « Blair après Thatcher », on observe, on laisse Sarkozy faire le « sale boulot », on espère le faux pas.
Et puis, ne les a-t-il pas débarrassé de Strauss Kahn, de Lang, de Besson ? Pour quelques mois, personne ne veut la place de François Hollande. Delanoë, Royal ? On verra bien en 2008... D’ici là le PS est résigné aux vénéfices, aux envoûtements, réduit aux coups d’épingle... Brûler Sarkozy en effigie... C’est peu !
Les syndicats ? Il y en a de très révolutionnaires, énormément trotskistes, mais fauchés et trop « romantiques » pour être efficacement suivis. Et les autres, les « officiels » adoubés par le pouvoir, reçus à l’Elysée, financés, en liquide, par la jouvence de l’abbé Gautier-Sauvagnac (bizarre on n’en entend plus parler de celui-là), cet élixir à base d’extraits de planche à billets, utilisé dans le traitement symptomatique des troubles en rapport avec une mauvaise fluidité sociale. Que pas une de leurs voix ne s’élève au-dessus des dix et cent et mille murmures qui font la rumeur attendue, convenue, servile, putassière à l’écho des médias. « Ma petite maman chérie, je vais encore marcher ! Mais sois tranquille, quand tout cela finira, je travaillerai mieux, je gagnerai plus et ta retraite sera assurée ». Ils sont si loin de leurs bases, si peu représentatifs...
Jusqu’aux causes qui sont mal choisies. La France a voté Nicolas Sarkozy pour qu’il fasse les réformes, inévitables, des retraites, des universités (votée sans coup férir en août, après avoir été substantiellement vidée de son sens), du service minimum. C’est donc cela... L’art de la grève ?
Les médias ? La presse n’est plus que l’instrument des partis, le fief des barons d’industrie, fils à papa ou « self-made-men », l’écho des chapelles... Elle se dérobe à toute pensée indépendante. La télévision ? Elle montre... Point final ! Quelle réponse y a-t-il aux images crachées par la télévision ? Habilement pilotée, elle n’est là que pour provoquer les réactions émotives du public afin que celui-ci exige, un jour, « spontanément », qu’on « fasse quelque chose »... Justifié ou pas peu importe, mais qu’on « agisse nom de dieu ! », qu’on intervienne à la régie des autobus, dans les facs, au Tchad, en Irak... Et, pourquoi pas, en Iran demain ? L’opinion a cédé depuis longtemps sa place à l’émotion. « Fournissez-moi les images, je vous fournirai la guerre », câblait William Hearst, le magnat de la presse américaine, à son correspondant à Cuba qui lui annonçait que tout y était calme.
Et nous ? Petit peuple ouvrier, petite bourgeoisie laborieuse, petits entrepreneurs pris à la gorge... Nous ! A l’affût d’un train qui ne vient pas... De prix qui ne baissent pas... Assiégés de charges et de paperasseries. Nous, millions de gens, vous, moi, qui ne veulent plus voir que le petit côté des choses. Le Concret... Le Pognon... Les Avenirs... Qui ne sommes préoccupés, que de notre fragile pouvoir d’achat, d’épanouissement familial, de nos petits lambeaux de bonheur. Nous n’en pouvons plus de contempler nos élites, immenses, inaccessibles, nous régaler d’effets d’estrade, s’abîmer de compromis, rivaliser de ficelles. De voir nos médias nous ravir de spectaculaires arabesques, de balsamiques cataplasmes papelardés en hâte à partir de la moindre cogitation fumeuse de l’Elysée, de Bercy, de Grenelle, du quai d’Orsay, de la place du Colonel-Fabien, crachés par les six faces du même cube, issus d’un système qui tourne en rond.
Tenez, les conflits, par exemple. A pleines manchettes... « Les négociations progressent » ! Sauf que... « Un compromis est trouvé » ! Sauf que... « On se félicite » ! Mille bravos... Accords entre élites... Petits meurtres entre amis... J’en glousse d’extase ! Sauf que ? Eh bien sauf que le système s’est peut-être mis d’accord, que les médias nous en ont chanté les louanges... Mais qu’on continuera à marcher à pied... Cancer du manche ! Que les facs seront toujours bloquées... Bignolles ! Que la « base », l’infâme « base », elle, bloque toujours, mord, serre, ne lâche plus. A ce stade, l’information, c’est de l’art !
Parce que la base elle veut du mieux... Elle peut pas vivre que de jambon beurre et de beaujolais nouveau. Elle a trop subi d’entortillages à la noix, de lugubres malentendus, de pommades lénifiantes. Elle veut des réponses à la hauteur des promesses. Et vite ! Elle l’hurle au système, par le vote, par la manifestation, par la violence, s’il le faut. Les cœurs aussi finissent par se lasser de battre au diapason des gouvernements qui passent et s’en vont.
Alors oui ! Il existe une critique complaisante et une autre, plus venimeuse, qui naît de la déception.
Image : Source FreakingNews.com (et un grand merci à David)
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