Le grand flou des programmes présidentiels
À deux mois de l’élection présidentielle, les candidats mêmes engagés depuis longtemps dans la campagne peinent à dévoiler leur programme. Les candidats préfèrent se concentrer sur les thématiques qui intéressent davantage leur base électorale, tout en délaissant totalement celles qui mobiliseront peu leurs électeurs potentiels. A cela s'ajoute une véritable confusion idéologique entre la droite et la gauche. Bref, le flou règne en maître et n’aide vraiment pas à renforcer une démocratie essorée.
En 2017, Emmanuel Macron avait dévoilé son programme quelques semaines seulement avant le premier tour de l’élection présidentielle. Une carence qui ne l’avait en aucun cas empêché de faire campagne et, finalement, de remporter l’élection. « On se fout des programmes, ce qui importe c’est la vision », affirmait-il sur France Inter en décembre 2016.
De la petite phrase de Macron à la véritable stratégie politique ? La question se pose sérieusement, alors que Anne Hidalgo a publié le 13 janvier seulement son programme après des mois de campagne, que Taubira a du mal à faire émerger des proposition concrètes et qu’Emmanuel Macron, certes pas encore tout à fait officiellement candidat, se contente pour l’instant de vouloir être au-dessus de la mêlée. Même tendance du côté de Marine Le Pen qui, si elle a d’ores et déjà dévoilé certaines mesures, n’a toujours pas dévoilé de programme complet.
Pour autant, de grandes tendances se dessinent avec une recomposition de l’axe gauche – droite, où chaque pôle tend à aborder abondamment ses thématiques et sujets préférés, quitte à délaisser ceux qui intéressent moins leurs électeurs.
L’immigration et la sécurité omniprésentes à droite
Comme on l’avait déjà constaté lors des débats de la primaire, l’immigration et la sécurité sont devenues les deux thématiques les plus importantes à droite, occupant davantage d’espace et de temps de débat qu’en 2017. La candidate Les Républicains (LR) Valérie Pécresse veut ainsi réduire fortement l’immigration à travers des quotas annuels votés par le Parlement et un durcissement des règles encadrant le regroupement familial. Du côté du candidat indépendant Éric Zemmour, la tendance est la même : fin du regroupement familial, limitation du droit d’asile, suppression du droit du sol et de l’aide médicale d’État…
Les propositions économiques libérales sont elles aussi bien présentes à droite, y compris du côté de Marine Le Pen, qui avait été critiquée dans son camp pour des propositions économiques jugées trop « à gauche » en 2017. La candidate du Rassemblement national propose ainsi de réaliser des économies sur diverses allocations ouvertes aux étrangers et d’assainir les dépenses publiques pour réduire la dette.
Si les candidats de droite sont particulièrement bavards sur ces deux grandes thématiques, ils le sont beaucoup moins, voire pas du tout, sur des sujets comme la transition écologique. Marine Le Pen et Éric Zemmour, par exemple, n’abordent ainsi quasiment jamais les sujets liés à l’environnement et l’écologie. À l’inverse, bien sûr, des candidats de gauche.
Une union de la gauche possible sous la bannière du changement climatique ?
À gauche, les désaccords sont comme souvent plus marqués, alors que l’idée d’une union derrière un candidat commun est révolue. La lutte contre le changement climatique, la réduction des inégalités et une opposition franche au président sortant font néanmoins partie des éléments clés de la plupart des programmes des candidats.
Le candidat de la France insoumise (LFI) Jean-Luc Mélenchon et le candidat Europe-Ecologie les Verts (EELV) Yannick Jadot se rejoignent ainsi sur la nécessité d’un grand plan d’investissement pour la bifurcation écologique ou encore la sortie du nucléaire.
De même, concernant les inégalités économiques, l’ouverture du revenu de solidarité active (RSA) aux jeunes de moins de 25 ans, la revalorisation des minimas sociaux ou encore l’augmentation du SMIC se retrouvent dans les programmes de la majorité des candidats de gauche.
De façon diamétralement opposée à la droite, c’est en revanche le silence quasi-absolu sur des sujets comme l’immigration ou l'insécurité.
La stratégie adoptée ici, comme à droite, consiste à abandonner des sujets qui n’intéressent de toute façon pas les électeurs de gauche, au profit de la transition écologique par exemple.
Une faiblesse en la matière qui tend à montrer le changement de paradigme qui s’opère dans la rédaction des programmes présidentiels. Les candidats ne souhaitent plus perdre de temps à parler des sujets qu’ils ne maîtrisent pas ou qui n’intéressent pas leur base électorale. Ils savent que prendre du temps pour établir des propositions et des mesures chiffrées en la matière ne leur ferait pas gagner un nombre substantiel de voix. D’où l’intérêt de se concentrer sur leurs thématiques phares.
Ces carences posent néanmoins problème d’un point de vue démocratique. Les sondages d’opinion montrent que les Français sont particulièrement préoccupés à la fois par le changement climatique et les inégalités et à la fois par l’immigration et l’insécurité. Les candidats à la magistrature suprême devraient donc être en mesure de fournir une réponse complète à l’ensemble de ces préoccupations, et ce même si cela va contre leurs intérêts électoralistes de court terme.
À ces faiblesses programmatiques s’ajoutent, par ailleurs, des rapprochements particulièrement surprenants sur certaines thématiques entre des candidats de gauche et des candidats de droite.
Gauche, droite : la grande confusion
Malgré un recentrement évident des pôles respectifs de droite et de gauche sur leurs thématiques propres, on constate des rapprochements et des regroupements d’idées assez surprenants de la part de certains candidats de gauche et de droite.
Une question semble, par exemple, avoir réussi à mettre d'accord deux candidats pourtant en désaccord sur (presque) tout : Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen sont favorables à la nationalisation des autoroutes. Le sujet est d'ailleurs revenu mi-janvier à l'Assemblée nationale à la faveur d'une proposition de loi insoumise. Le ministre des Transports Jean-Baptiste Djebbari a ainsi indiqué que le coût très élevé de la nationalisation (estimé à 47 milliards d'euros) ne permettrait pas de réaliser des investissements conséquents dans les infrastructures ou de faire baisser les prix des péages. Une réponse qui devrait une nouvelle fois être disséquée, au Sénat – cette fois – mi-février avec la tenue d’un colloque organisé par Jean-Baptiste Vila, universitaire bordelais.
Sur la question des retraites, Anne Hidalgo avait indiqué être favorable à un âge légal de départ à la retraite de 62 ans, alors même que son parti et les militants de gauche s’étaient battus, en 2010, contre la fameuse réforme Fillon. Tous les autres candidats de gauche sont favorables à un âge légal de départ à la retraite à 60 ans. De façon très surprenante, Marine Le Pen est la seule candidate de droite à proposer elle aussi la retraite à 60 ans.
Enfin, Fabien Roussel a particulièrement surpris en affirmant son refus de sortir du nucléaire, mesure qui fait pourtant consensus à gauche à la fois chez Anne Hidalgo, Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot. Le candidat communiste s’oppose effectivement à l’abandon des réacteurs nucléaires et à la fermeture programmée des quatorze réacteurs prévue d’ici à 2035. Il justifie cette position, exactement comme la candidate de droite Valérie Pécresse, par la faible émission en gaz à effet de serre de l’énergie nucléaire.
Ces positions originales tendent à montrer une confusion idéologique et programmatique de la part des candidats. Elles ajoutent au trouble entre la droite et la gauche, trouble susceptible de rendre confus la plupart des électeurs à une période où nous avons besoin de propositions et de positions claires sur un grand panel de sujets.
Enfin, la faiblesse assumée dans des pans entiers des programmes de la plupart des candidats, qu’ils soient de gauche ou de droite, présume malheureusement une recomposition de chaque pôle sur leurs thématiques de prédilection, au grand dam du débat démocratique. Les Français méritent, à quelques mois à peine de l'élection présidentielle, d'avoir à leur disposition des programmes complets répondant à l'ensemble de leurs préoccupations.
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