Le grand troupeau
« Ils s’embrassent au mois de janvier, une nouvelle année commence, mais depuis des éternités, elle n’a pas tellement changé, la France », chantait le barde Renaud Séchan à une époque, les années 1970, où le souvenir de Vichy et de la collaboration était encore suffisamment vivace pour que les idées - ou devrait-on dire les idéaux - de démocratie et de liberté fassent rempart à toute tentative de glissement autoritaire dans les pays d’Europe de l’ouest. La grippe de Hong Kong était passée par là, tuant au passage 31 000 personnes en France, et pourtant pas un politique, pas un journaliste, pas un médecin n’auraient eu l’idée éminemment perverse d’en faire porter la responsabilité sur la société civile. Etait-elle si différente, cette société ? Etaient-ils des criminels, les hommes politiques d’alors, de ne pas embastiller hommes, femmes et enfants pour les protéger d’eux-mêmes ? Etaient-ils fous, inconscients, égoïstes, indifférents, ces Français d’alors qui répandaient leurs miasmes sans se soucier de leurs prochains dans les rues de Rennes, Paris ou Marseille ? Méritaient-ils une amende, un blâme, un couvre-feu, une mise à l’index, ces jeunes qui assassinaient leurs aînés, parents et grands-parents compris, avec un cynisme révoltant ? N’avaient-ils point de cœur, ces fils indignes, ces enfants nés dans l’après-guerre, courant vinyls et jupons au lieu d’aller faire pénitence dans les sous-sols de l’Hôtel-Dieu ? Nul doute qu’au regard des politiques génocidaires actuelles menées par les cerbères de l’Union européenne, ils seraient jugés par contumace pour crime contre l’humanité.
L’empire des médias, alors, n’en était pas encore un. Et pourtant le troubadour de Paname chantait déjà, comme pressentant son avènement : « On leur a dit au mois d’avril, à la télé, dans les journaux, de pas se découvrir d’un fil, que le printemps c’était pour bientôt. » Que l’on s’amuse à changer les mots d’ordre, que l’on remplace « se découvrir d’un fil » par « rester chez soi » et « printemps » par « vaccin », et l’on aura le même message à la sauce mondialo-sanitaire. A autres bergers, autre troupeau. Un troupeau qui ne se contente plus de paître sagement dans son pré, mais qui réclame des barbelés pour le protéger du loup et des miradors pour tirer à vue sur les contrevenants ; ces chèvres de monsieur Seguin qui n’auraient pas encore compris que la liberté c’était la mort, et que c’est dans la peur du loup que résidait la vie éternelle, rebaptisée le « vivre-ensemble » par les tenants du nouveau contrat moral.
Herr Maqueron, comme monsieur Seguin dans le conte d’Alphonse Daudet, n’a lui non plus, jusqu’à présent, « pas eu de bonheur avec ses chèvres ». Depuis la crise des Gilets jaunes, magistrats, enseignants, policiers, infirmiers, retraités, restaurateurs lui ont signifié à tour de rôle leur mécontentement au cours des deux dernières années de son protectorat. Et pourtant, de son propre aveu, il a lui-même été surpris par la docilité avec laquelle ses ouailles se sont soumises au florilège d’imprécations prétendument sanitaires émanant du Ministère du Covid-19. Confinement, port du masque, attestations de sortie, fermetures administratives, interdictions de rassemblements, couvre-feux, censure, traçage et flicage en règle : un vrai Parc Astérix pour dictateurs en herbe qui même en Allemagne au temps de la peste brune aurait fait jaser dans les couloirs du RMVP (Reichsministerium für Volksaufklärung und Propaganda).
Quelle goutte d’élixir magique a-t-on donc mis dans la soupe de ces « gaulois réfractaires » capables de prendre d’assaut trois mois durant les ronds-points et les Champs-Elysées sans décolérer d’un week-end et qu’un microbe aura suffi à mettre au pas ? La formule est toute simple. Demandez-la au Maréchal, celui du discours du 20 juin 1940 :
« Le peuple français ne conteste pas ses échecs. Tous les peuples ont connu tour à tour des succès et des revers. C’est par la manière dont ils réagissent qu’ils se montrent faibles ou grands. Nous tirerons la leçon des batailles perdues. Depuis la victoire, l’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu’on a servi. On a voulu épargner l’effort ; on rencontre aujourd’hui le malheur. J’ai été avec vous dans les jours glorieux. Chef du Gouvernement, je suis et resterai avec vous dans les jours sombres. Soyez à mes côtés. Le combat reste le même. Il s’agit de la France, de son sol, de ses fils. »
Sidération. Culpabilisation. Soumission. Voilà les ingrédients et voilà la recette. La France de 1940, assommée par la défaite, persuadée qu’elle était d’avoir la meilleure armée du monde, a baissé la tête de honte devant le désastre imputé à « l’esprit de jouissance » et s’est pliée, quatre ans durant, à la discipline collective exigée par le régime de Vichy au nom de l’honneur de la nation. La France de 2020, minée par ses divisions, perdue et déboussolée par trente ans d’errance maastrichtienne, conquise de l’intérieur par un gang de braqueurs qui n’en demandaient pas tant, emprunte le même chemin au nom de la « santé » et de la « solidarité ». Comme sa sinistre devancière, elle se voir reprocher d’avoir trop chanté durant l’été et d’avoir attiré le fléau sur elle-même. Comme sa sinistre devancière, elle en est réduite en guise de punition à écouter, se taire et obéir. L’heure du changement a sonné et les cartes de la nouvelle doctrine sont désormais sur la table.
« Il faut arrêter le débat permanent », déclare à la télévision le soir du 14 octobre, en toute décontraction, le fameux chef de guerre. « On s’était progressivement habitués à être une société d’individus libres, nous sommes une nation de citoyens solidaires. » Le regard et les rictus sont ceux d’un sociopathe, mais qu’un score de 66% au deuxième tour de la présidentielle a débarrassé de ses derniers complexes. L’étrange numéro d’équilibriste auquel il se livre devant les deux marionnettes qui lui servent de public se mue rapidement en exercice pur et simple de prestidigitation. Les mensonges et les énormités se succèdent et s’entremêlent avec une grâce presque irréelle, reflétant l’ingénue candeur d’un apprenti magicien encore un peu tendre et qui voudrait sortir en un temps record le plus de lapins de son chapeau.
Exercice de haute voltige où l’on apprend, par exemple, que « nous n’avons pas de lit caché » pour accueillir les nouveaux malades ; étrange formulation qui appellerait maints commentaires de la part de vrais journalistes à qui l’on assurait, mi-juillet, que la France « serait prête » pour une seconde vague. Où l’on nous donne à croire que par la grâce d’un couvre-feu nocturne, la courbe exponentielle de l’épidémie en Guyane a été brisée net. Sans préciser bien entendu que la Guyane française, au pic de la « crise », avait connu 4 morts (le 7 juillet) pour un total de 69 décès (pour une population de 290 000 habitants), et que la forme de sa courbe épidémiologique est similaire à celles des autres pays voisins (Suriname, Guyane, nord du Brésil).
Une interview quasi lunaire où l’on apprend que la stratégie de dépistage massif qui a coûté deux milliards d’euros à la sécurité sociale n’a pas vraiment échoué, mais qu’elle a été, au contraire, « victime de son succès ». Le président, une fois encore, s’est reconnu bluffé par son propre peuple, lequel s’est rué touts âges et tous états de santé confondus sur les Covid-Drive mis gratuitement à sa disposition, saturant les laboratoires et retardant les résultats. On a le peuple qu’on mérite, pourrait lui dire en souriant le général de Gaulle.
Et des moments comiques, aussi - car il en faut- comme avec l’annonce enthousiaste du lancement de la nouvelle appli Tous Anti-Covid en lieu et place de Stop Covid, boudée par les gamers. La joie de l’enfant-roi, à ce moment précis, diffuse dans l’atmosphère comme un parfum de Noël. C’est qu’il les aime, ses petits Français, ce coquin d’Emmanuel, et qu’il voudrait bien pouvoir les autoriser à passer les fêtes en famille.
Mais voilà, nous dit-il, le conseil scientifique, officiellement pérennisé dans son rôle de Cassandre, est plus sévère que lui. « Les courbes sont inquiétantes, il faut garder le contrôle. » Le contrôle de quoi, au juste, c’est ce qu’on ne lui demandera pas. Après sa vraie fausse allocution en trompe l’œil, le Petit Prince clôt l’échange et retourne à ses moutons, invités par ailleurs à poursuivre la soirée sur BFM TV où les invités de plateau confirment « qu’il fallait bien faire quelque chose », « que les Français comprennent l’effort qui leur est demandé » et que « la situation à l’hôpital se dégrade d’heure en heure. »
La propagande bat son plein pendant que la résistance, dépitée, polit une nouvelle fois ses armes. Florian Philippot, André Bercoff, Jean-François Toussaint, Didier Raoult, Martine Wonner et les autres se demandent combien de temps encore ils devront répéter la même chose aux Français avant que ceux-ci impriment la différence entre projections foireuses et constats empiriques, montages de téléréalité et rendus objectifs du réel. Un combat noble, à n’en pas douter, mais épuisant au possible face à la machine de guerre du complexe politico-pharmaceutique gavée de millions et de bonnes intentions.
L’épisode rafraîchissant de la jacquerie marseillaise aura du moins, pour la première fois, ravivé l’espoir d’une prise de conscience citoyenne. Peut-être qu’une rediffusion, à l’heure du couvre-feu et sur une chaîne de grande écoute, du film « Harry, un ami qui vous veut du bien » ferait davantage, en terme d’effet subliminal, qu’une énième interview sur Sud Radio du professeur Christian Perronne. Ou la relecture, pourquoi pas, du Hussard sur le toit de Jean Giono. Où l’on nous parle de choléra, pour le coup, et de quarantaines forcées de malades et de bien-portants à l’issue desquelles tous les bien-portants finissent par tomber malade et mourir sans faire d’histoires. Un lointain écho de cette autre France de 1830 qui avait su se remobiliser le temps d’une deuxième révolution, celle qu’on appelle les Trois Glorieuses, en réaction au coup de force constitutionnel du roi Charles X qui pensait mettre au pas l’opposition et la volonté populaire au moyen d’ordonnances.
Il est vrai que dans la France de 2020, l’opposition ne s’oppose plus à rien et la volonté populaire s’est dissoute dans la grande soupe aux choux de la résignation tranquille. Mais qui sait ? A force de changer sans prévenir la température de la marmite, les chefs étoilés du tout sanitaire pourraient bien finir par exaspérer, aux quatre coins de l’Europe, les 400 millions de grenouilles qu’ils se préparent à servir à la grande table de la vaccination mondiale. Il serait dommage et même coupable que par excès de zèle, la nourriture vienne à manquer au moment même de sortir les assiettes.
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