Le jour d’après

L’intitulé de l’éditorial de Xavier de la Porte sur Rue89 lundi 12 janvier , « Et demain, on fait quoi ? », constitue un condensé des questions que chacun se pose, ou devrait se poser, après les marches de ce week-end.
L’élan collectif, cet unanimisme rare, cette communion et cette fierté, une joie d’être ensemble, n’auront qu’un temps. Quelques jours encore, puis plus grand-chose. Un souvenir ému d’une journée véritablement « historique », mais pour écrire quelle histoire ?
Chacun a pu percevoir, sentir, que la fragmentation de la société française n’était pas une fatalité, que le rassemblement était possible. Mais cette journée, précisément, a été et restera exceptionnelle. Elle paraît surtout un sursaut, un fol espoir que les Français puissent encore « faire société », que le délitement, l’indifférence, la méfiance et l’entre-soi ne sont pas devenus, pas encore, l’indépassable quotidien de chacun. Cet espérance que malgré la fracture, il reste encore une conscience, une envie, un souffle chez les Français, qui leur donne envie d’y croire.
Le marcheur lambda, dont nous fûmes, s’étonnait de l’inédite politesse et jovialité de ses voisins collés à lui dans le métro. De la patience des gens agglutinés devant des barrières, interdits de marche pour cause de trop grand nombre. Des slogans amusants, « Du kevlar au pouvoir, du caviar au peuple », des Marseillaise chantées bien faux et commentées avec ironie : « Assassiner la Marseillaise en plus, c’est un peu excessif ». CRS, gardes mobiles tout sourire, des marcheurs leur parlant sans crainte et ces applaudissements nourris pour des camions de police quittant la place de la Nation. Enfin, ces deux comparses pris en photo par tous, place de la Nation, l’un arborant une pancarte « Je suis juif et j’aime les musulmans », l’autre « Je suis musulman et j’aime les juifs ».
Au fond, chacun a marché pour ses (bonnes) raisons et s’est retrouvé avec d’autres qui avaient les leur. En commun, la volonté de montrer que l’on n’a pas peur (même si on tremble en cachette), que la liberté d’expression est absolument sacrée dans une véritable démocratie et qu’il est possible, nécessaire, d’être ensemble, de vivre ensemble malgré d’évidentes différences et souvent de nombreux désaccords. Comme l’écrit Libération en Une, la volonté de dire, d’affirmer que « Nous sommes un peuple ». Ce slogan, on le connaît : c’est celui des Allemands au moment de la chute du Mur de Berlin, prélude à la réunification. C’est aussi celui, malheureusement, repris par les xénophobes du mouvement Pegida qui manifestent chaque semaine dans de nombreuses villes, essentiellement dans l’ex-RDA. Ce slogan est évidemment simpliste, comme tous les slogans. Il procède d’une volonté autoréalisatrice. Nous pourrions le détourner pour nous demander, le jour d’après : Sommes-nous encore un peuple ? Avons-nous jamais « été » un seul peuple ? Et que doit faire un peuple uni qui, comme le scande un autre slogan militant, « ne sera jamais vaincu » ?
Nous nous sommes rassurés en nous rassemblant. Nous nous sommes repentis, rattrapés de notre indifférence lorsque Charlie menait son combat seul. Nous pouvons bien porter des pancartes « Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux » (citation de Zapata reprise par la « Pasionara » pendant la guerre d’Espagne, puis par Charb donc). C’est s’en tirer à bon compte, que les gens prêts à mourir pour la liberté lèvent la main. Il est à craindre qu’il s’en trouve davantage qui soient candidats au « martyre » meurtrier.
Pour se défendre contre l’obscurantisme et le fanatisme, refuser la récupération politique et les solutions toutes faites que l’on entend chaque jour depuis le drame, il faudra bien plus que des slogans. Il faudra du courage, de l’initiative et une forme d’intransigeance dans le respect des libertés individuelles et publiques. Ou, pour reprendre les mots d’un homme remarquable de courage et de pertinence, « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques ». Vous l’avez deviné, c’est de Jaurès*.
* dans son célèbre Discours à la jeunesse prononcé à Albi en 1903.
Article disponible sur Demosthene2012, blog politique
6 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON