Le jour où la civilisation s’effondrera

Etrange que cette idée de « bulle de civilisation » introduite par Fred Foldvary, chroniqueur de premier plan sur le site progress report. Le néologisme anglo-saxon « civilisation bubble » n’est guère usité. Une requête Google livre une dizaine d’occurrences. C’est donc un néologisme. Une bulle de civilisation, cela évoque une bulle spéculative et d’ailleurs Foldvary introduit son papier en évoquant les bulles financières, très connues de l’opinion publique autant que des économistes ; puis il parle de « bulle empire » pour désigner comment des grands ensembles humaines ont occupé des territoires imposants pendant des périodes pouvant durer des siècles. Exemples classiques, les Mayas, les Romains. Bulle, cela signifie clôture mais aussi gonflement, expansion, bref, le trait spécifique de tout empire dont on a connu quelques épisodes récents, avec les conquêtes napoléoniennes, les colonisations effectuées par les nations européennes au moment de la révolution industrielle. A peu près quand l’empire austro-hongrois, puis l’empire ottoman sont découpés, l’empire soviétique signe en 1917 un pacte avec l’Histoire, un pacte non renouvelé en 1990 alors qu’entre temps, d’autres empires ont marqué leurs prétentions avec l’usage de la force. Allemagne nazie en Europe, Japon impérialiste en Asie. Du grand conflit mondial naissent deux blocs aux visées impérialistes. Il ne reste que les Etats-Unis mais en Asie, après le Japon, un empire économique est en pleine expansion, la Chine.
Mais malgré les tensions perceptibles au niveau géopolitique, il semble acquis qu’une seule civilisation a pris l’ascendant sur cette planète, la civilisation du productivisme et du consumérisme. Certes, les observateurs s’efforcent légitimement de pointer des différences culturelles, religieuses, pouvant même générer des conflits mais qui peut croire à la vieille thèse de Huntington sur le choc des civilisations, ce livre aussi daté que le fut celui de Spengler dans les années 1950. C’est plutôt de concurrence des civilisations dont il faut parler. D’ailleurs, toutes les nations ayant quelques prétentions culturelles développent pour leur propre compte des industries culturelles pour rayonner certes, mais aussi pour ne pas laisser passer ce filon qui peut rapporter gros. Le monde est à vendre. Les financiers sont à l’affût. Américains, mexicains, brésiliens, saoudiens, indiens, chinois, russes, allemands, australiens… Un monde global et une immense bulle de civilisation dont la stabilité repose sur la bulle monétaire et les flux financiers. Une bulle qui envahit tout pour l’acheter, faire du profit. Mais un petit détail, la planète est un monde fini. Son immense taille a pu laisser un instant la croyance en un développement économique indéfini. Ce temps est révolu.
Les intellectuels médiatiques continuent à discuter des vieilles lunes opposant la gauche à la droite, le néo-libéralisme dérégulé au capitalisme tempéré social-démocrate. Il faut bien qu’ils s’occupent, justifiant aux passages leur rémunération et assouvissant quelque désir de paraître sur la scène des débats. Combien de think tanks et de fondations politiques pour agir dans un monde où il n’y a plus rien à fonder mais peut-être tout à sauver ! A moins que la fin ne soit inéluctable comme l’envisage un Foldvary s’improvisant visionnaire en évoquant quelques peuplades d’Amazonie ou ailleurs destinées à perpétuer le séjour humain sur terre après le grand clash de la bulle civilisationnelle. Mais, souligne-t-il avec fort à propos, l’aventure humaine ne recommencera pas comme il y a dix mille ans, lorsque les hommes inventèrent l’agriculture et l’élevage, avec une quantité de progrès et de transgression illimitée car la terre était vierge. Ce qui ne sera pas le cas de notre planète dont les eaux sont empoisonnées, les océans gavés de déchets plastiques à durée indéterminée et les terres polluées par toutes sortes de substances chimiques, certaines étant radioactives. Le volet environnemental s’avère sérieux. A cela s’ajoute une autre menace selon Foldvary. Le terrorisme international pratiqué par des groupements sectaires inspirés par la religion. Mais contrairement à ce qu’on pourrait penser en lorgnant du côté du sommet actuel à la Maison Blanche, ce n’est pas de l’arme nucléaire mais de la bombe à effet électromagnétique dont il faut nous méfier, une bombe dont le résultat est de détruire l’information stockée sur des supports numériques. Laissons cette question aux experts pour nous informer s’il y a lieu.
Le changement climatique ne mérite pas une minute d’attention, en regard de ces questions précédemment soulignées, auxquelles s’additionnent un lot de problèmes relatifs à la raréfaction des ressources et donc au renforcement de la concurrence, à la tension inflationniste sur le marché des matières premières, de l’énergie, avec les prétentions de la Chine. Le niveau de vie pourrait stagner, voire légèrement décliner et ce, pour les classes dites moyennes. Des crises sociales en perspective. Aucune solution en vue. Comment les nations avancées vont-elles réagir ? Avec autant de zénitude que le Japon depuis 1990 ?
Des psychologues ont décelé une épidémie d’anxiété dans la ville de New York depuis le traumatisme des tours jumelles effondrées. Cette anxiété se propage par des vecteurs non viraux, pas tout à fait identifiés, conversations, mimiques, regards échangés, médias… le monde est en fait parsemé de vecteurs anxiogènes. La peur est un sentiment utile quand elle fournit un élément cognitif utile à l’action et à la finalité de préservation. L’anxiété par contre n’est pas un sentiment utile. C’est un phénomène parasite. H5N1, H1N1, les experts de l’OMS ont reconnu avoir eu peur du nouveau virus grippal de 2009. Climat, finance, dette, Grèce en possible cessation, faillite des Etats, voracité des marché, pollution, tout cela crée de l’anxiété. Pandémie d’anxiété. Osons un néologisme. Panxiogénie ! Mauvaise nouvelle, sauf pour les labos pharmaceutiques. Il y a de quoi être anxieux. La menace est d’une tout autre nature que pendant la guerre froide où tant que les chefs n’appuyaient pas sur le bouton nucléaire, il ne se passait rien et d’ailleurs, il ne s’est rien passé. Par contre, le processus de la bulle ne peut que s’intensifier. Il n’y a pas de moyens démocratiques pour freiner son expansion. Les élites et les masses ne jurent que par la croissance illimitée du pouvoir d’achat.
Il existe plusieurs moyens de calmer l’anxiété. Hormis les substances anxiolytiques, il existe le divertissement. Occuper son esprit, se faire occuper son temps de cerveau par des débats futiles, des émissions de divertissements, des informations sans intérêt. On comprend pourquoi les petits scandales et autres polémiques occupent tant le cerveau des Français. Tant qu’on pense à la rumeur, aux robes de Rachida, aux blagues de politique troupier de Frédéric Lefebvre, aux cuisiniers de Kouchner, au salaire de Proglio, aux montres de Julien Dray… on oublie le reste mais on se sent citoyen, avec une petit colère ou un amusement passager après tant de frasques et de cirque. Bienvenue au théâtre post-moderne. Le manque de vergogne des politiques est flagrant. Il paraît que certains ministères font office de restaurant. Eh bien oui, un personnel d’intendance composé de dizaines de personnes dont nombre de cuisiniers. Bref, comme un restaurant de luxe sauf qu’il n’y a pas la carte et le prix des menus affiché. Qui se régale aux frais du contribuable ? Après tout, ils ont bien raison d’en profiter, les gens continuent à voter pour eux. Si la démocratie ne peut empêcher ces écarts et cette gabegie, alors on ne voit pas comment elle pourrait régler des problèmes planétaires. L’inertie des masses démocratiques, voilà un boulet, selon Foldvary !
Pas plus certain que le temps du refroidissement du fût du canon sera la date de péremption de la civilisation productiviste. Passé cette date, il ne sera plus possible de consommer comme avant. Nul ne sait quel sera le climat social. Si ce sera vivable, et si oui, dans quelle zone et quand. S’il n’y aura pas eu quelques conflits dévastateurs ou alors une guerre planétaire doublée d’un holocauste mondial. Ou alors par on ne sait quel miracle d’une sagesse advenue d’on ne sait où, la divine lumière pourrait conduire la civilisation vers un autre destin que le chaos. Les choses devraient se décider dans quelques décennies… Mais l’hypothèse sombre reste la plus plausible, ce qui n’empêche pas un pari pascalien. Après tout, autant croire que tout ira comme avant. Surtout quand on a 70 balais !
C’est donc un fait à noter. Il se murmure et il se pense dans les milieux visionnaires qu’un effondrement de la civilisation, global, planétaire, est envisageable et doit être pris comme hypothèse. C’est nouveau, bien que ces scénarios aient été déjà suggérés par quelques énergumènes confondant la science fiction et la vision. Ce qui est nouveau, c’est le ressort du collapse généralisé. Un ressort systémique. Alors qu’il y a 40 ans, ce qu’on redoutait, c’est qu’un chef n’appuie sur le bouton nucléaire. Monde en suspens. L’incertain gouverne les esprits, et d’ici quelques décennies… La bulle de civilisation consumériste doit être crevée. Oui mais quels scénarios ?
Ce qui n’empêche pas quelques savants énarques de préciser qu’en 2050 le déficit des retraites sera compris entre 70 et 150 milliards d’euros. Ces gars sont des génies de la prospective. Ah, que ferions-nous sans nos énarques si doués pour donner des indications sur l’avenir. Allez, osons demander plus. Quel sera le déficit de la Sécu en 2060 ? Et le PIB de la France en 2070 ? Les Français ont droit à la vérité !
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