Le jour où la jeunesse européenne se lèvera

Le spectre de 1929 et sa longue dépression hantent l’Europe, marquant une différence de chemins empruntés par les Etats-Unis et les nations européennes. Jugez-en par les faits. Les Etats-Unis, plus largement affectés par l’effondrement de l’économie de longues années, se sont employés à se redresser lentement mais sûrement, avec de la sueur et des souffrances mais une solidarité nationale assez répandue, montrant le dynamisme et le patriotisme de ce pays qu’on présente ici comme voué à l’individualisme. L’Europe a aussi été affectée par la crise mais son Histoire est toute autre. Les égoïsmes nationaux se sont transformés en nationalismes déterminés et puissants, surtout en Allemagne. Si la réponse à la crise économique produisit un nouvel élan de solidarité et la mise en place de l’Etat providence aux States, en Europe, cette crise a engendré la plus monstrueuse issue au sein de l’Occident moderne. Nul ne peut dire que le nazisme était un accident de l’Histoire. C’était plutôt le fruit d’un enchaînement de tendances politiques nées au milieu du 19ème siècle, avec entre-temps un premier conflit où les nations ont voué au massacre leurs millions de soldats.
Après la capitulation de 1945, les élans démocratiques ont triomphé et les Etats européens ont mené des politiques dites sociales. Une fois la reconstruction réalisée, il y eut une heureuse parenthèse de vingt ans. Mais à partir de 1980, la globalisation et la financiarisation ont fait que l’Europe ne pouvait suivre le long fleuve tranquille de la croissance soutenue. Les politiques sociales ont été entamées alors que l’Europe se voyait comme un continent promis à la prospérité et la sécurité avec le protocole de Lisbonne instituant l’économie de la connaissance et surtout l’euro, monnaie unique, symbole d’une promesse envoyée par les dirigeants aux peuples européens. On ne connaît pas l’issue mais une étape, celle de mai 2010. La plupart des éditoriaux ont titré avec l’idée d’une fin de l’Europe de papa, inaugurée en mai 1950. Sommes-nous près du seuil des 70 ans, période signant la destruction du temple mais aussi la durée de l’Empire soviétique ? Si l’on situe le tout début de la reconstruction en 1945, alors la date fatidique serait située vers 2015.
Laissons ces élucubrations numérologiques de côté pour aller plus près de la situation européenne qui n’a rien de dramatique mais rien non plus de réjouissant. Difficile de prévoir quelques scénarios. Inventer des hypothèses est le propre des scientifiques, des philosophes et des intellectuels médiatiques. On peut tenter d’anticiper, de prophétiser. En divination, en prospective, comme en politique, les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Ce qui n’interdit pas quelques tentatives d’analyses.
L’Européen pessimiste, mesurant les petits indices disponibles, pensera que les Etats-Unis sont plus dynamiques et réactifs, évoquant la formidable résilience sous les quatre mandats de Roosevelt, alors qu’en observant ce qui se passe en Europe, il vibrera d’un ton maussade en constatant les atermoiements des dirigeants et l’égoïsme des nations et des gens. Il pensera aux vieilles lunes du nihilisme ayant abouti au nazisme.
Mais est-ce raisonnable de penser ainsi, même si on sent une relative apathie chez nos concitoyens, doublée d’une résignation de la jeunesse et d’une frénésie de préserver les avantages acquis chez ceux qui ont acquis des avantages, notamment les seniors des classes moyennes supérieures et leurs droits à la retraites. Aux Etats-Unis, on note une scission pas seulement politique mais générationnelle. Il faut savoir que les jeunes ont voté en masse pour Obama alors que les seniors ont opté pour les Républicains et qu’actuellement, le mouvement conservateur du tea party, dirigé contre l’impôt redistributif et la réforme du système de santé, est le fait des enfants du baby boom qui maintenant, ont passé allègrement la cinquantaine.
En France, en Europe, le schéma est semblable, même s’il n’a pas une transcription politique aussi nette qu’au States. N’empêche que les seniors ont largement plébiscité Sarkozy en 2007 alors que la jeunesse a donné une courte majorité à Mme Royal, et encore, tout dépend de la tranche d’âge car les trentenaires n’ont pas boudé Sarkozy. Mais bon, sans doute parlera-t-on des trentenaires comme d’adultes passés par un âge bête, à leur manière, à l’instar des ados de 12 ans. Le problème des retraites signe une fracture générationnelle d’ordre économique qui pourrait en Europe, avoir une traduction politique pour peu que quelques figures de la politique se prennent à se soucier de la jeunesse. Après tout, ils ne sont pas plus idiots avec leurs cultures de l’ordi, du web, des blogs, de facebook, que les seniors qui se rassemblaient sous la bannière du salut des copains et couraient s’acheter le dernier 45 tours de Sylvie, Johnny ou Claude François.
La France comme l’Europe et les States vit sous l’égide d’une double fracture, générationnelle et économique. J’ai évoqué les seniors qui ont réussi mais derrière ce tableau idyllique se dessinent des millions de vieux sans ressources et qui finiront dans le camp des hospices. Quant aux jeunes, nombreux peinent à vivre mais une frange privilégiée, issue d’une bonne famille, parvient à accéder aux libéralités de l’existence bourgeoise. Alors, si on veut changer la société, il faudra que les jeunes des classes moyennes et défavorisées fassent leur révolution, avec un angle d’attaque résolument démocrate, conquérant, inventif, vertueux, juste. De la monnaie disponible pour travailler et du travail pour gagner l’argent nécessaire pour mener une vie digne et inventive, à hauteur d’homme et non pas d’esclave du système pour rentiers égoïstes.
Les jeunes ont l’avenir entre leurs mains. A eux de savoir et de vouloir dans quelle société ils veulent vivre. Pour ce qui me concerne, pour autant que je doive choisir et devenir un partisan dans cette affaire, je me range du côté de la jeunesse. Et de l’équité. Je suis convaincu qu’il y a une porte de sortie pour l’Europe mais qu’elle se fera sur deux alternatives, deux préférences, les pauvres contre les riches, les jeunes contre les vieux. Je ne crois pas au projet des bisounours de Martine. Comme en 1940, il y aura des larmes mais je ne m’inquiète pas, de ces larmes de seniors frustrés de ne pas pouvoir s’offrir un séjour au Bahamas ou la dernière berline de luxe. Les riches ne sont pas ceux qui ont créé des richesses mais ceux qui ont pillé les richesses. Qu’ils payent !
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