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Accueil du site > Tribune Libre > Le lancer de nain et la schizophrénie de la société libérale (...)

Le lancer de nain et la schizophrénie de la société libérale libertaire

Une boîte de nuit de la région Vannetaise a décidé d'organiser prochainement un lancer de nain. Cette actualité interroge sur la notion de dignité humaine et au-delà sur les paradoxes de la société libérale-libertaire dans laquelle nous vivons dont les deux dimensions constitutives sont le libéralisme sociétal et économique.

En 1995, le Conseil d’État donnait raison à la mairie Morsang-Sur-Orge et à son célèbre arrêté interdisant le "lancer de nain". Les pouvoirs publics estimaient ainsi que la dignité humaine devait prévaloir sur la liberté individuelle de l'intéressé. Ce dernier alla jusqu'au comité des droits de l'Homme des Nations Unis à Genève dans l'espoir d'obtenir l'annulation du jugement mais l'instance confirma à son grand regret l'interdiction, arguant que celle ci était fondée sur des critères objectifs et raisonnables.

Manuel Wackenheim invoquait quant à lui sa liberté ainsi que sa difficulté à trouver un emploi du fait de sa petite taille, le tout dans une région victime aujourd'hui de la désindustrialisation et des politiques ultra-libérales, où il n'est déjà pas aisé de trouver un emploi. Il est aujourd'hui nostalgique de sa gloire d'antan, allocataire du rsa et souhaiterait reprendre son activité.

Il ne s'agit nullement ici de remettre en cause le jugement dans l'absolu, le lancer de nain portant bien évidemment atteinte à la dignité humaine, rappelant les jeux du cirque, les fameuses foires bien illustrées par le célèbre film « elephant man » de David Lynch ou encore l'Allemagne nazie qui reléguait le « nain » au statut d'untermensh comme beaucoup d'autres populations. On peut en revanche s'interroger sur la notion en elle même ainsi qu'à son champ d'application. Que vaut en effet la dignité humaine dans une société réduite à un spectacle permanent, omniprésent et omnipotent, réifiant l'humain, niant par essence l'être avec la marchandise comme support de la relation sociale ?

C'est là où le bât blesse. Quelle différence entre un homme de petite taille voulant gagner quelques sous un samedi soir en se mettant en spectacle devant des masses alcoolisées et/ou déconscientisées et une bimbo décérébrée participant à une émission de télé-réalité afin de vendre du temps de cerveau disponible à des hommes libidineux, le tout pour enrichir les féodalités financières ? Avec une jolie fille travaillant pour le mannequinat ou pour une agence de publicité ? Avec un jeune homme brillant vendant son intelligence à une firme transnationale ? Avec des footballers courant après un ballon, sponsorisés par ces mêmes féodalités cosmopolites, permettant en vendant du rêve aux populations précaires du tiers monde ou même du quart monde, d'annihiler par la même occasion toute vélléité de contestation sociale ? Quel est l'avis de ces entrepreneurs de morale sur la Gpa dont la légalisation permettrait à des couples des classes moyennes supérieures de louer un ventre appartenant probablement à des femmes des catégories populaires ? La sémantique enseignée dans les écoles, les agences d'intérim ou par pôle emploi ne donne-t-elle pas comme injonction la nécessité absolue pour le jeune précaire de « savoir se vendre » sur un marché du travail précarisé ? Cette loi hypocrite n'est-elle pas au final un moyen inconcient pour la société et les décideurs d'acheter une conscience qu'elle a perdu depuis bien longtemps en cédant aux forces du marché ?

On pourrait arguer qu'au final Manuel ne désire que transformer un désavantage de naissance en avantage comparatif comme n'importe qui cherchant un emploi et non un métier, notions il est vrai trop souvent confondues mais pourtant bien distinctes. Dans une société où le surhomme est l'entrepreneur, le sous homme l'allocataire des minimas sociaux, où l'ubérisation devient une finalité et l'alpha et l'omega de l'accomplissement et du devenir soi, peut-on lui faire grief de désirer (re) fonder lui aussi sa start-up ?

 


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14 réactions à cet article    


  • Ciriaco Ciriaco 19 mai 2018 14:17

    Nous raisonnons trop souvent en réponse au temps rapide, sémantiquement entièrement segmenté.


    Un livre qui présenterait le détail d’une analyse sociologique du pays, en terme de composition de classe, distribution de revenus, habitude de consommation, détails des praxis sociales, ... serait intéressant pour y voir plus clair concernant les fossés que creusent le libéralisme et les tendances présentes et en gestation.

    Peu de choses trouvées à ce sujet. « La France périphérique » de Christophe Guilluy et « Nous » de Tristan Garcia.

    • Paul Leleu 19 mai 2018 19:07

      @Ciriaco @l’auteur

      Tu as raison, Camarade, le monde capitaliste est par escence une indignité pour l’homme... Tu t’en rends compte toi-même... Je partage tout à fait ton point-de-vue... 

      « Le prolétariat a besoin de son courage, du sentiment de sa dignité, de sa fierté et de son esprit d’indépendance, beaucoup plus encore que de son pain. » (Karl Marx, 1861) 

      La société capitaliste, dans ses moindres rouages quotidiens, instrumentalise les besoins vitaux de l’homme (le pain, la sécurité, l’amour), afin de l’asservir. C’est l’essence même du logiciel capitaliste. 

      Du coup, la morale capitaliste enseigne au prolétaire le mépris de soi-même, l’acceptation de cette prostitution vécue comme inévitable. Et de son côté, le prolétaire humilié préfère aussi ne pas trop y réfléchir, ce qui est logique (chacun de nous peut le comprendre). 

      Par cette phrase, Marx encourage le prolétaire à affronter, et surmonter, la blessure narcissique de sa situation d’exploité. A ne pas fuir dans les paradis artifiels d’hier et d’aujourd’hui (drogue, alcool, prostitution, violence domestique ou banditisme, dépression, suicide, auto-mutilations, jeux de hasards, croyances religieuses, etc.). Tous les psychologues savent : il est très dur d’admettre que l’on est un victime. On voit l’exemple dans les faits-divers, où les victimes de viol mettent des années à se l’avouer à elles-mêmes. 

      Le prolétaire, humain, a faim, froid, besoin de sécurité et d’amour : ces besoins vitaux ne doivent pas être instrumentalisés. Le prolétaire peut, et doit, être fier de sa condition d’être humain. Et ses besoins vitaux ne sont pas honteux. Dès lors, c’est sur l’exploiteur que doit retomber la honte


    • axalinencele axalinencele 19 mai 2018 19:29

      @Paul Leleu
      Beaucoup d’individus cherchent à se légitimer, à se dire qu’au fond leur activité dans le tertiaire par exemple a une finalité alors qu’elle n’en a parfois . il sait parfois inconsciemment que son activité est inutile, voir a une désutilité, il trouve alors des boucs émissaires plus faibles qu’il accuse d’être des assistés, des parasites....


    • Paul Leleu 19 mai 2018 19:57

      @axalinencele


      oui... ça arrive... mais les parasites (au sens objectif du terme) dans le circuit économique sont les capitalistes... qui se gorgent de flux à certains points du circuit, en bloquant l’harmonie naturelle des choses... ce sont eux qu’il faut évacuer... 

    • Ciriaco Ciriaco 19 mai 2018 22:16

      @Paul Leleu
      Etre modéré est un parcours du combattant. Comprendre ce qui s’exerce dans ce combat non voulu le long d’une vie volée n’a en effet rien à voir avec la paix, le confort - même l’amour. Seul le temps (vieillir n’est pas un mal) apaise quelque peu le coût des efforts permanents ; il donne une sagesse à la solitude sans compromis vis-à-vis de cette rencontre avec la réalité.


    • axalinencele axalinencele 19 mai 2018 14:42

      Oui l’analyse de Guilluy en terme de dichotomie métropole/ périphérie est très intéressante et parait aujourd’hui plus pertinente que l’analyse traditionnelle en terme de classe sociale. La classe moyenne disparaît sous les effets conjugués du fiscalisme que permet leur immobilité sur le marché du travail et d’autre part du recul de la demande de travailleurs qualifiés (voir stratégie de Lisbonne). C’est un autre sujet.


      • Ciriaco Ciriaco 19 mai 2018 15:12

        @axalinencele
        Je ne parlais pas d’une analyse en terme de classes, mais de ce qu’il y a en amont ; distribution de la richesse et inscription sociale et culturelle.


        Il n’est pas impossible cependant qu’une analyse intersectionnelle, très pertinente en l’occurrence, puisse permettre de voir surgir des catégories plus larges que des groupes segmentés, faisant ainsi apparaître les critères nécessaires à une meilleure visibilité de la société contemporaine.

        Ceci dit Guilluy participe à cette lisibilité, mais je reste sur ma faim.

      • Paul Leleu 19 mai 2018 19:53

        @axalinencele


        la « classe moyenne » est un mythe social-démocrate, commencé fin 19ème sous la pression socialiste dans toute l’Europe, puis largement lié au contexte d’après 1945, avec une forte menace communiste (interne et externe). 

        Il s’agissait de donner une « légitimité » à l’exploitation, une assise sociale élargie, un « capitalisme à visage humain » pour paraphraser... 

        Cette nécessité n’est plus : le communisme a reculé, l’URSS n’est plus là, les ouest-européens sont avachis devant leur télé-poubelle... Qui plus est, on a transféré les usines (et bientôt les marchés) en Asie... Donc, la « classe moyenne » occidentale va morfler grave sa race... 

        La classe moyenne est une illusion en terme d’analyse marxiste : elle regroupe le haut-du-panier du prolétariat. Mais fondamentalement, elle n’a pas de Capital, elle ne pèse pas sur la décision économique. Elle vit essentiellement de son travail, et de l’économie laborieuse. Même si elle a une culture « bourgeoise » (jolie maison, moeurs, culture, érudition, etc.), économiquement elle est prolérarienne. 

        Un exemple tout récent ? L’ISF supprimé, sauf sur la « fortune immobilière » (sous des prétextes fallacieux de soutenir l’investissement productif). En vérité, l’ISF mélangeait 2 strates sociales : les gros patrimoines capitalistes placés dans les actifs financiers, et les petits patriomoins de la classe moyenne placés dans l’immobilier. Macron a fait un cadeau à la classe capitaliste et frappé délibérément la classe « moyenne », lui rappelant qu’elle ne fait pas parti du « happy few »... un leçon à méditer. 

        Salavdore Allende et Fidel Castro furent (chacun en leur genre) largement soutenus par de nombreux secteurs de la classe moyenne de leur pays (médecins, ingénieurs, phramaciens, petits-patrons, journalistes, avocats, professeurs, etc.) qui savaient malgré tout que leur sort était plus lié à celui du peuple qu’à celui de l’oligarchie. 

      • Paul Leleu 20 mai 2018 00:52

        @arioul


        10 millions de morts chaque année de la faim dans le monde capitaliste (chiffres ONU). Ca fait plus de 250 millions de morts depuis la fin de l’URSS juste à cause de la famine (et je parle pas des guerres et des génocides) : l’autre jour, un zélateur du capitalisme et du monde libre m’a fait cette réponse délicieuse « oui, mais c’est pas pareil... ils ne sont pas mort de la famine mais de la malnutrition »... j’espère que vous appréciez la nuance ! 

        En attendant, vous ne répondez pas à mon propos sur la notion de « classe moyenne »... c’est une paresse intellectuelle qui ne sert à rien. 



      • Zolko Zolko 19 mai 2018 17:35

        Je ne sais pas si c’est toujours le même auteur indécrottable qui veut faire croire que les idées – et mouvements – libérales et libertaires sont identiques, mais je signale aux autres lecteurs que les 2 n’ont rien à voir, même si ils sont désignés par un mot ayant la racine « liberté ». J’ai essayé d’argumenter sur un autre fil, mais l’auteur est bouché à tout débat (blanc est noir, la guerre est la paix, et les ennemis sont en fait des amis qui s’ignorent).
         
        Sans intérêt.


        • axalinencele axalinencele 19 mai 2018 18:50

          @Zolko

          Tu confonds avec un autre, première fois que je fais référence à ce terme. En effet les notions à la base sont distinctes mais avec la société de consommation actuelle, les deux ont fusionné d’une certaine manière. Le progressisme sociétal est nécessaire au capitalisme afin de solvabiliser la demande, trouver de nouveaux marchés, et contourner la baisse tendancielle du taux de profit. Il ne faut ainsi une intégration totale des individus et pas de groupes exclus du processus. En France mai 68 fait la jonction entre les deux comme l’a expliqué Clouscard, c’est la victoire de Cohn Vendit (le libertaire devenu libéral-libertaire) et Pompidou (le libéral économique) sur De Gaulle.

        • Zolko Zolko 22 mai 2018 13:01

          @axalinencele : « Tu confonds avec un autre, première fois que je fais référence à ce terme. »
           
          pardon alors. Mais vous reprenez pas mal de ses théories sans plus de preuves argumentées (« avec la société de consommation actuelle, les deux ont fusionné d’une certaine manière »)
           
          Pour résumer :

          - libéral est une théorie économique, dont les défenseurs sont majoritairement des conservateurs sur les questions sociales

          - libertaire est une théorie sociale avec des implications économiques, dont certaines en opposition avec les politiques économiques des libéraux (le rôle des banques centrales et le sauvetage du système financier en 2008 étant l’exemple le plus facile à comprendre)


        • zygzornifle zygzornifle 20 mai 2018 10:11

          Lancer de nains , ça y est Sarkozy reste planqué chez lui , faut pas qu’un juge le lance au tribunal .....

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