Le libéralisme par Pascal Salin
J’ai interrogé Pascal SALIN, professeur d’économie et intellectuel libéral, sur différents sujets d’actualité. Ses réponses mesurées et circonstanciées permettent d’entretenir la réflexion. La mienne considère - entre autres - que le libéralisme ne peut s’implanter en France, car sa matrice se montre éloignée de la nôtre. En effet, avancer qu’il y eut des grands intellectuels libéraux français ne permet pas d’oublier qu’ils s’inspirèrent majoritairement d’intellectuels anglo-saxons et protestants. Ainsi donc l’argument initial n’est point et ne pourra être levé…
Selon Pascal SALIN, les accusations à l’endroit du libéralisme sont souvent infondées, car elles pointent du doigt des idées ou des acteurs qui ne sont point libéraux. Les libéraux s’organisent pour faire entendre leurs voix, mais ils sont en butte à l’hostilité. Mon invité lui-même a du subir les attaques de la presse dans un contexte bien particulier que je vous laisse découvrir.
Tout changement de l’opinion publique est issu d’un changement intellectuel préalable. Les Français savent-ils encore réfléchir ? Vaste question à laquelle je ne peux répondre maintenant.
Quoi qu’il en soit, je remercie Pascal SALIN d’avoir participé à mon enquête intellectuelle.
Franck ABED : Bonjour. Pourriez-vous prendre la peine de vous présenter en quelques mots ?
Pascal SALIN : Je suis actuellement Professeur honoraire d'économie à l'Université Paris-Dauphine, Université où j'ai enseigné pendant près de 40 ans. Je suis spécialisé, en particulier, dans la théorie monétaire, la théorie fiscale, la théorie des marchés, l'analyse du libéralisme. Economiste libéral, j'ai été président de la Société du Mont Pèlerin, l'association internationale des intellectuels libéraux qui a été fondée par Friedrich Hayek. J'ai publié un certain nombre de livres, par exemple Libéralisme en 2000. Mes livres les plus récents sont : Revenir au capitalisme pour éviter les crises, La tyrannie fiscale, Libérons-nous, Concurrence et liberté des échanges, Competition, Coordination and Diversity-From the Firm to Economic Integration ; Frédéric Bastiat, Père de la science économique moderne ; et je dois publier prochainement The International Monetary System and the Theory of Monetary Systems. J'ai par ailleurs publié un assez grand nombre d'articles dans des revues, magazines ou journaux ; j'ai prononcé un grand nombre de conférences.
Franck ABED : Comment expliquez-vous les controverses qui existent sur la définition du libéralisme ? Est-ce un mot aujourd’hui piégé dans le discours et le débat politique, d’autant que beaucoup expliquent le chômage, les délocalisations, la crise économique par le libéralisme voire ultralibéralisme ?
Pascal SALIN : Il est vrai qu'il y a beaucoup de controverses autour de la définition du libéralisme. La définition en est pourtant simple : un système libéral est un système de définition des droits légitimes des individus et de défense de ces droits. Certes, un tel système repose sur la discipline de la responsabilité : chacun est responsable de son sort et il a un devoir strict, celui de respecter les droits des autres. Or, il se peut que beaucoup de gens aient peur de cette discipline et préfèrent vivre aux dépens d'autrui en utilisant la force coercitive de l'Etat. Il y a par ailleurs des conceptions très erronées du libéralisme qui résultent de l'ignorance ou de l'intérêt. Ainsi, les politiciens ont évidemment intérêt à critiquer le libéralisme puisque celui-ci réduit ou supprime leur rôle. Et dans un pays comme la France où l'Etat est depuis longtemps très puissant, les hommes de l'Etat ont les moyens de faire prédominer des conceptions erronées du libéralisme (par exemple au moyen des écoles et Universités qui constituent en France un monopole d'Etat). C'est ainsi que l'on fait croire que la libéralisme consiste à privilégier les capitalistes par rapport aux salariés, ou les riches par rapport aux pauvres, etc. De telles présentations ont évidemment un impact fort dans une grande partie de l'opinion publique. Mais il est aberrant de constater que tous les échecs des politiques économiques menées depuis des décennies sont régulièrement attribués au libéralisme (ou même à "l'ultra-libéralisme", comme l'a dit, par exemple, Marine Le Pen !!), alors que tous les présidents, tous les gouvernements – qu'ils soient de droite ou de gauche - ont fait des politiques anti-libérales de manière croissante (ce qui explique les échecs économiques).
Franck ABED : Pourquoi les libéraux en France n’arrivent-ils pas à faire entendre leurs voix ? Certains considèrent que la création d’un parti libéral serait une trahison envers les grands principes fondateurs du libéralisme. Qu’en pensez-vous ?
Pascal SALIN : Les libéraux n'arrivent pas à faire entendre leurs voix parce qu'ils se trouvent dans un environnement particulièrement hostile. Devant une opinion rêtive il faut à la fois de fortes convictions et beaucoup d'efforts et de courage, pour essayer de faire entendre un message différent de la pensée dominante. Je l'ai éprouvé par exemple lorsque j'ai été nommé président du concours d'agrégation d'économie et que j'ai été la cible – avec mes collègues du jury - d'une effrayante campagne de presse parce qu'on considérait qu'un libéral ne pouvait pas avoir la responsabilité de recruter les nouveaux Professeurs d'économie. Je ne considère pas que la création d'un parti libéral serait une trahison envers les grands principes du libéralisme. Certes, le programme politique d'un parti libéral ne peut pas être parfaitement conforme aux principes dans tous ses aspects. Mais il faut précisément distinguer le rôle d'un intellectuel libéral qui a pour devoir de rappeler les principes et de pousser les raisonnements jusqu'à leurs extrêmes limites, et le rôle d'un politicien libéral qui consiste à essayer d'appliquer au mieux ces principes, mais en tenant compte des obstacles qu'il rencontre. Or, actuellement, le plus grand obstacle est précisément celui de l'état de l'opinion et je ne pense pas qu'un parti libéral pourrait véritablement réussir s'il n'y a pas eu auparavant un changement important dans l'opinion. Le problème français est un problème intellectuel et c'est pourquoi tout ce qui peut contribuer à une meilleure compréhension du libéralisme est important.
Franck ABED : Ontologiquement l’Angleterre est plutôt un pays politiquement de gauche, et la France – malgré 200 ans de jacobinisme et de républicanisme – reste un pays fondamentalement de droite. De même, traditionnellement les Anglais sont religieusement protestants voire anglicans, alors que les Français sont majoritairement – encore à ce jour et malgré la percée de l’islamisme – catholiques romains. Dans ces conditions, vouloir importer en France une doctrine politique reposant sur des concepts religieux et philosophiques étrangers à notre corps social n’est-il pas incohérent voire utopique ?
Pascal SALIN : Je ne crois pas qu' l'on puisse dire que l'Angleterre serait fondamentalement à gauche, contrairement à la France (d'autant plus d'ailleurs que les notions de "gauche" et de "droite" sont contestables et d'autant plus que l'état de l'opinion a évolué et fluctué au cours de l'Histoire). Et il ne faut pas oublier que la France a connu certains des plus grands penseurs libéraux, ce qui devrait conduire à considérer qu'en cherchant à implanter le libéralisme en France, on ne va pas à l'encontre de concepts étrangers. Quant à la religion, elle ne joue pas non plus un rôle univoque. Même si, souvent, l'Eglise catholique est tentée de se situer à gauche sous prétexte d'assurer la "justice sociale", on peut aussi penser que c'est précisément le christianisme qui a permis l'émergence de la notion de liberté individuelle et de responsabilité personnelle, de telle sorte qu'il ne devrait pas y avoir d'incompatibilité entre une tradition chrétienne et la libéralisme. Mais encore faut-il le faire comprendre à l'opinion concernée.
Franck ABED : D'une manière générale comment expliquez-vous le peu de succès des monnaies locales qui tentent de coexister avec l'Euro, tandis que certains estiment qu'elles pourraient même le remplacer en cas de grave crise monétaire ?
Pascal SALIN : Je serais presque prêt à inverser la perspective et à dire qu'il est intéressant de constater le succès des monnaies locales. En effet, créer une nouvelle monnaie est toujours difficile parce qu'une monnaie est d'autant plus utile qu'elle est utilisée par un plus grand nombre de personnes. Une nouvelle monnaie a donc un handicap par rapport aux monnaies existantes. Mais il y a par ailleurs et surtout le fait que les Etats font tout leur possible pour préserver leurs monopoles de création monétaire (L'Etat américain a ainsi réussi à faire disparaître des monnaies privées définies en termes d'or). S'il existe néanmoins beaucoup de monnaies locales, en France, en Allemagne et dans d'autres pays, c'est qu'elles répondent à un besoin. Ces monnaies ont pour l'instant des espaces de circulation très limités, mais nous ne pouvons pas préjuger de l'avenir (en particulier, effectivement, si l'Euro devait apparaître comme une très mauvaise monnaie).
Franck ABED : Depuis quelques temps, devant la montée relative du Front National, ses adversaires politiques pointent les « erreurs » de son programme économique. D’un point de vue purement économique ces critiques sont-elles justifiées ?
Pascal SALIN : Ces critiques sont justifiées car le programme économique du Front National est proche des idées de l'extrême-gauche (j'ai été un des premiers à le souligner, dans une interview du Figaro-Magazine). J'en prends deux exemples : le Front National voudrait accroître la progressivité de l'impôt sur le revenu, alors que la progressivité est déjà en France une des plus élevées (et des plus destructrices). Le deuxième exemple concerne l'Union Européenne. Il est bien connu que le Front national souhaite une sortie de l'euro, ce qui en soi n'est pas d'une importance fondamentale, mais on a vraiment le sentiment que le but serait de permettre aux autorités monétaires françaises de pratiquer une politique monétaire autonome qui serait en fait plus expansionniste (ce qui serait une catastrophe) et qui permettrait de pratiquer des dévaluations (autre catastrophe, d'ailleurs liée à la précédente). Mais il y a surtout un désir de reconstruire les frontières avec les autres pays. Pour ma part, je suis hostile à la centralisation européenne et aux efforts faits pour construire un super-Etat européen, mais je souhaite non seulement le maintien de l'ouverture des échanges en Europe, mais aussi son élargissement au monde entier.
Franck ABED : Vous défendez, entre autres, l’idée qu’il convient de supprimer le SMIC. Dans une période de crise économique comme nous le vivons, le propos, aussi pertinent soit-il sur le plan politique et économique, n’est-il pas finalement « invendable » aux masses dans le cadre d’un discours politique ?
Pascal SALIN : Il est sûr qu'une telle proposition n'est pas facile à « vendre ». Mais c'est le problème de toute transition : il y a des situations intermédiaires qui peuvent être difficiles en attendant l'amélioration de la situation. Si on supprimait le SMIC et qu'en même temps on réformait (ou même supprimait) le Code du travail on aurait nécessairement des effets positifs sur l'emploi (et à terme sur le pouvoir d'achat des salariés, surtout si simultanément on baissait ou supprimait les impôts les plus destructeurs. On pourrait alors obtenir l'adhésion d'une grande partie de la population.
Franck ABED : Vous avez écrit : « Prélevé en fonction d'une norme décidée par les détenteurs du pouvoir étatique, sans respect de la personnalité de chacun, l'impôt pénalise la prise de risque et est foncièrement esclavagiste, allant à l'encontre de son but recherché, bafouant les droits fondamentaux de l'être humain et la propriété de l'individu. » Un Etat légitime n’a-t-il pas l’obligation de prélever l’impôt (dans des proportions raisonnables) pour assurer ses différentes missions ? Selon vous, qui serait légitime pour définir qui paie l’impôt et pour quel montant ?
Pascal SALIN : Bien sûr, dans la mesure où il existe un Etat il faut des impôts. Mais l'Etat peut être plus ou moins important. De toutes façons il faut voir que, par principe, l'impôt représente une atteinte aux droits de propriété légitimes (de telle sorte qu'il faudrait toujours essayer de le minimiser) et que, par ailleurs, il est nécessairement destructeur dans la mesure où il punit les efforts productifs. C'est pourquoi il conviendrait de permettre aux activités marchandes de concurrencer les activités publiques, de décentraliser au maximum les activités publiques pour que les citoyens puissent mieux apprécier l'adéquation entre les "services publics" et les impôts et de rechercher des méthodes pour rendre l'impôt "volontaire" (comme l'est une cotisation à une association).
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