Le Maître d’Armes
Le maître d'Armes
Je suis un grand fan de bandes déssinées. Que ce soit Tintin, Lanfeust, Edika, Gotlieb, Gaston, Spirou et Fantasio, le Joe Bar Team, la Quête de l'Oiseau du Temps, Corto Maltaise, Asterix, même les Schtroumpfs, j'adore tous les styles : aventure, humour, absurde, sci-fi, heroïc fantasy ...
Récemment, j'ai découvert un nouvel album : "le Maître d'Armes" par Xavier Dorison et Joël Parnotte. Contrairement à d'autres albums, il ne s'agit pas d'une série mais d'un ouvrage unique, avec un début et une fin. Les auteurs n'ont pas l'air d'avoir prévu de suite, ce qui est une nouveauté rafraîchissante. Cet bande dessinée a de beaux dessins, une histoire avec rebondissements, des personnages hauts en couleurs, une atmosphère prenante, bref, je vous invite à la lire. Je n'ai aucune action chez l'éditeur, mon avis est purement personnel.
L'histoire se passe à la fin du moyen-âge, en 1531, dans la France de François Premier, et parle de Hans Stalhoffer, un maître d'escrime. En fait, cet individu a vraiment existé mais a vécu un siècle auparavant, l'album utilise le personnage pour brosser une fresque de l'époque. Dans ces temps reculés, à en croire la BD, tout se règle par les armes, et donc l'expertise du maniement des armes est un savoir-faire important. Quelqu'un qui est passé maître dans cet art peut alors devenir un professeur, un maître d'armes, et enseigner ce savoir aux nobles ou même le roi, ce qui le mène au pouvoir et à la richesse. Je ne vais pas dévoiler le scénario, lisez l'album.
J'écris ici de cet œuvre car, outre sa qualité intrinsèque, il évoque 2 concepts dont on parle peu : l'honneur et la connaissance.
L'Honneur
Cette notion d'honneur n'existe plus de nos jours. Personne n'en parle jamais, ni en public, ni dans les médias, ni au travail, mais pas non-plus dans la vie quotidienne.
Mais c'est quoi l'honneur ?
Dans "Le Maître d'Armes", un des personnages définit l'honneur par : L'Honneur, c'est tout ce qui reste quand on n'a plus rien.
M'ssire ... Quand on n'a plus rien, l'honneur, c'est tout ce qui vous reste
On comprend très bien pourquoi l'honneur n'est plus à la mode : quand un président s’adresse à un de ses concitoyens par "Alors casse-toi pôv'con" et ignore le résultat d'un referendum populaire, ou qu'un autre prétend se battre contre la finance et exécute toutes leurs demande tout-en menant une guerre en soutenant des terroristes contre un président invité par la France auparavant, il est difficile de se regarder dans un miroir. Quand des banques prônent la dérégulation et les privatisations, et demandent l'aide des états quand leurs spéculations tournent mal, l'honneur est un handicap. Quand on fait campagne en disant "Imagine-t-on le Général de Gaulle mis en examen" et continuer à faire campagne une fois qu'on est mis en examen, l'honneur devient une notion gênante. Quand on se prétend le champion de la fabrication de voitures mais que pour ce faire on est obligé de tricher, l'honneur est juste une question de prix. Quand on veut gagner le tour de France et qu'il existe des produits pour aider, l'honneur est négociable. Quand on est journaliste avec un poste bien payé dépendant du bon vouloir de ces personnages, et qu'il faudrait leur poser des questions sur ces contradictions, l'honneur devient un concept à oublier.
On pourrait aligner les exemples pendant des heures, toute la société moderne est à l'opposé de la notion d'honneur.
Et je le vois aussi dans la vie professionnelle : moins on a d'honneur, moins on est gêné par les petits arrangements et copinages entre gens bien introduits dans le système ; moins on a d'honneur plus les grandes-gueules qui disent ce qu'ils pensent deviennent encombrants. On le voit aussi ici-même, sur AgoraVox : quand on pourrit une discussion sans même prétendre vouloir y participer, en n'ayant soi-même jamais écrit un seul article, en postant des messages stériles voire injurieux, juste pour faire ch****er, l'honneur ne doit pas être la première des considérations.
Se pose alors la question : comment en est-on arrivé là ? Comment avons-nous fait pour abandonner la question de l'honneur dans la société ? Pourquoi ne parle-t-on jamais de l'honneur ? Mais peut-être que cela a toujours été ainsi et qu'on idéalise la société passée ? Est-ce même un problème, ou est-ce que l'abandon de l'honneur est en fait une avancé de modernité ?
Dans le film "47 Ronins", des samouraïs se font hara-kiri pour des raisons d'honneur. Ça nous parait, à nous Européens modernes, totalement stupide et je ne pense pas que des gens ici iraient jusqu'à un suicide atroce pour une question d'honneur. Il y a aussi les rumeurs de meurtres pour l'honneur dans certains pays rétrogrades, ou des filles qui subissent un viol collectif dans un village pour laver je-ne-sais quel affront. Dans ces cas, nous sommes bien contents d'être débarrassés de cette notion stupide d'honneur.
Et donc, la question demeure : l'honneur est-il encore une idée moderne ? Comment définirions-nous, aujourd'hui, l'honneur ? Une définition de l'honneur est le respect de la parole donnée ... mais, malheureusement, tout le monde peut se tromper, et si on donne sa parole à un escroc, on n'est plus lié par l'honneur. L'honneur peut aussi être vu comme la glorification du courage et de la vertu ... mais là, on tombe facilement dans la manipulation, qui se rapproche de la stupidité. L'honneur peut aussi être vu comme une distinction sociale (la légion d'honneur) ... mais alors, c'est plus proche de la vantardise, qui est en réalité antinomique avec l'honneur. L'image que j'ai de l'honneur est le sentiment que j'aurai, en gravissant les marches vers les cieux, de St Pierre ouvrant son grand livre, disant : "Voyons, mon cher Zolkó, les choses que tu as faites dans la vie". Et là, il n'y aura aucune possibilité de mentir, aucune possibilité de trouver des excuses, on ne peut pas se mentir à soi-même. En ce sens, l'honneur se rapproche de la sagesse. Sur le lit de mort, quand on n'a plus rien, il ne reste que l'honneur.
La Connaissance
Un autre thème dont parle le livre est la traduction de la Bible en Français. La première traduction complète de la Bible à partir des textes originels est fait en 1535, et en cela Le Maître d'Armes est fidèle à l'histoire.
L'idée qui est véhiculée par la BD est que si la Bible est écrite en latin, et que seuls les gens d'église comprennent le latin, l’église peut interpréter les écritures à sa guise, en tordant le message de la Bible pour lui faire dire ce qui les arrange, tout en appelant la damnation éternelle sur ceux qui oseraient se dresser contre la Bible. On comprend comment une telle société peut fonctionner : ceux qui savent lire la Bible en ressortent, hors de leur contexte, les passages qui disent qu'il faut obéir à Dieux et à ses représentants sur Terre, en insistant sur les miracles et les souffrances. Les gens simples auront peur, et quelques tours de passe-passe les convaincront de la puissance des paroles d'évangile. L'église s'appuie sur la structure féodale pour, à la fois donner la légitimité aux nobles qui en retour protègent l'église, et à la fois convaincre le reste de la population - les travailleurs et les travailleuses - à obéir sans se révolter. Le tout assorti de paroles qui paraissent savants, en expliquant que tout-ça est très compliqué. L'église forme quelques ressortissants de nobles qui, donc, profitent des connaissances et font partie du système.
Là encore, regardons notre société moderne. Rassurez-vous, je ne vais pas parler de religion, ce que dit le Coran ou la Torah m'indiffèrent totalement. En effet, concernant le moyen-âge et l'église catholique, la question n'était pas spirituelle mais purement pécuniaire : ça permettait au gens de l'église de vivre grassement sur le dos de la société. La Bible et le langage incompréhensible permettait à certaines personnes de vivre richement de l'oisiveté.
Molière avait aussi étudié cette idée dans "Le Médecin malgré lui" où Sganarelle use de mots paraissant savants pour décrire la médecine et ses charlatans ( de l'époque). L'idée est toujours qu'il y a des corporations qui utilisent un langage compliqué pour cacher, en fait, leur banalité. Mais comme seuls les membres de la corporations pourraient démasquer l'imposture, et que bien-entendu ils n'ont aucune raison de scier la branche sur laquelle ils sont assis, la situation peut perdurer longtemps.
A l'époque de la BD la corporation en question était l'église catholique, à l'époque de Molière c'était la corporation des médecins .... et aujourd'hui, existe-t-il une corporation qui use d'un langage particulier pour vivre en parasite sur le dos de la société ?
Le langage des banquiers et financiers est tout aussi incompréhensible au premier abord que le latin pour celui qui ne le parle pas : LBO, IPO, Libor, TEG.... et quand quelqu'un pose une question un peu précise, on lui réponde que "houlà, c'est compliqué".
Comme disait Henry Ford : "Si la population comprenait le système bancaire, je crois qu'il y aurait une révolution avant demain matin".
Alors que le système est, en fait, parfaitement simple. Mais comme ce sont les banquiers qui tirent les ficelles, ils veillent à ce que personne ne sache que, d'une, le système est très simple, et de deux, qu'ils arnaquent le reste de la société. Tout comme l'église du moyen-âge, ils se sont alliés au pouvoir en place, qui sont les politiciens et les journalistes dans notre société. En effet, les 2 sont complices dans la même tromperie envers la société : les uns pour prétendre à la démocratie et les autres pour prétendre à la liberté d'expression. Les médias font élire les politiciens, et les politiciens subventionnent les médias. Les médias refusent de démasquer la finance, et les politiciens refusent de la taxer. Avec une petite guerre en prime quand il faut détourner l'attention. Ou la désignation de boucs-émissaires, c'est aussi une recette toujours efficace. C'est exactement comme au moyen-âge entre l'église et la noblesse
Alors, que pouvons-nous faire ? A en croire "le Maître d'Armes", une solution est la diffusion de la connaissance, c.à.d. dans notre cas l'explication du fonctionnement de la finance.
Je ne vais pas détailler ici ce fonctionnement, je l'ai déjà fait dans un autre article, et on peut trouver les explications un peu partout sur Internet. Les lecteurs qui ont lu jusqu'ici savent déjà probablement tout cela.
La finance a le droit de faire des choses qui sont interdites dans le reste de la société. Par exemple, ils ont le droit de vendre des titres qu'ils ne possèdent pas. Ils ont le droit d'emprunter un titre, le vendre, puis le racheter avant de le rendre. Essayez-donc de faire cela avec une voiture de location ou un appartement ! Ils ont aussi le droit de vendre de l'or qu'ils ne possèdent pas, des titres sur de l'or. Mais alors que vous aussi pouvez acheter et vendre de l'or physique, vous, vous n'avez pas le droit de vendre des titres sur de l'or que vous ne possédez pas. Ainsi, il existe 100 fois plus de titres sur l'or en circulation que d'or physique réel. Le système financier n'a plus rien à voir avec l'investissement, et encore moins avec l'entreprenariat : le système financier n'existe plus que pour lui-même, et ponctionne les richesses de la société productive en asservissant cette société par la dette. Le tout, justifié par un langage que eux seuls comprennent. La finance occupe exactement la même place de nos jours que l'église catholique au moyen-âge.
Quand la population comprend le langage de la finance et le dénonce, comme Cantona qui disait que faire la grève ne servait à rien et que si on voulait renverser la système il fallait retirer ses sous des banques, on le tourne en ridicule :
Ce qui prouve qu'il avait raison.
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