Le management d’Orange tue, le gouvernement complice


Dernier réquisitoire paru, Orange stressé d’Ivan du Roy : "France Télécom est devenue un géant mondial des télécommunications. L’ancienne entreprise publique est présentée comme le modèle d’une privatisation réussie, dans un secteur qui connaît une extraordinaire mutation technologique. Mais il y a un grave revers à cette médaille, beaucoup moins médiatisé que les profits records de la firme : parmi ses 100 000 salariés hexagonaux, deux sur trois se déclarent stressés. Un mal-être généralisé qui a pour symptômes la banalisation du recours aux anxiolytiques, la progression des arrêts maladie de longue durée, l’augmentation des démissions et la multiplication troublante de suicides. C’est cette réalité méconnue que dévoile ce livre, fruit d’une enquête auprès de salariés, de syndicalistes, de médecins ou d’experts en santé au travail. Et qui s’appuie également sur les travaux de l’Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom, créé à l’initiative d’organisations syndicales. Ivan du Roy y montre comment le « management par le stress » a été érigé en système par les dirigeants de l’entreprise, dans le but notamment de pousser vers la sortie des milliers de salariés. Ce management « sournois » et « vicieux », selon les mots des salariés, s’est progressivement déployé avec la privatisation, alors que les profits s’accroissaient. En ce sens, le cas de France Télécom est tristement exemplaire : c’est un laboratoire pour la gestion du personnel par la souffrance au travail, une expérimentation de ce qui peut se produire demain dans d’autres grandes entreprises et services publics, de La Poste à l’Éducation nationale."
Les dirigeants d’Orange, au premier rang desquels le PDG Didier Lombard, qui a confessé avoir ressenti "un petit choc" et a osé parler de "mode du suicide", sont coupables, c’est indubitable. Le péril pour les salariés de ce management par le stress était déjà dénoncé il y a cinq ans ; c’est donc qu’ils ont préféré la logique du capitalisme libéral, celle du profit, à l’application du code du travail. Lisez ce que dit la loi : "Liés aux conditions générales de travail, les risques professionnels font peser sur les salariés la menace d’une altération de leur santé qui peut se traduire par une maladie ou un accident. Il appartient à l’employeur de supprimer ou de réduire ces risques afin d’assurer la sécurité des salariés et de protéger leur santé physique et mentale." La faillite de la direction d’Orange est patente. "Plusieurs médecins du travail ont démissionné après que la direction leur a demandé de supprimer certains paragraphes faisant apparaître des maladies professionnelles", accuse Ivan du Roy dans 20 minutes. Gravissime. Tournons-nous à nouveau vers ce qu’écrit le site gouvernemental consacré à la prévention des risques professionnels : "La responsabilité pénale et/ou civile de l’employeur peut être engagée en cas de manquements à ses obligations en matière d’hygiène et de sécurité." Nier que ce soit le cas est intenable. Pourtant, celui qui est désigné comme le principal responsablede cette situation, le directeur exécutif d’Orange France, bras droit de Lombard, Louis Pierre Wenès, refuse de façon autiste de remettre sa stratégie en question : "On a fait parler les morts !", proteste-t-il dans L’Obs.com. "Redoute-t-il de perdre son poste après la vague de suicides ? « Je considérerais alors que je suis victime d’une monstrueuse manipulation », répond-il, glacial. Droit dans ses bottes, Wenès, 60 ans, semble plus furieux qu’embarrassé ou peiné. Pour lui, apparemment, cette affaire a été montée en épingle par les médias, instrumentalisés par les syndicats avant les élections au conseil d’administration le 15 novembre prochain. Dans son groupe, en effet, on ne se suicide pas plus qu’avant, et pas plus qu’ailleurs. En revanche, Wenès sous-estime gravement la crise que traverse sa maison. « Le climat social n’est pas si épouvantable que cela, affirme-t-il. Au cours de la période 2006-2008, 14 000 personnes ont changé de métier et près de 22 000 personnes sont parties sans que l’on ait de grèves massives dures... » Il semble ne pas comprendre que les récents suicides ont révélé un profond mal-être chez l’opérateur. (...) Après le plan Thierry Breton, qui avait déjà fait partir 20 000 salariés de 2003 à 2006, Didier Lombard en remet une couche : son plan NExT prévoit 20 000 départs supplémentaires. Et Louis-Pierre Wenès l’exécute avec les méthodes musclées dont il n’a jamais fait mystère : « Je mets la pression tout le temps, je ne laisse pas de marge de manoeuvre », explique- t-il en mai 2007 à La Tribune." Voilà donc un homme qui s’estime victime d’une cabale et assume parfaitement ses méthodes, alors même qu’elles conduisent des salariés directement au tombeau ! L’Etat va-t-il réagir ? Ce serait oublier que nous sommes gouvernés par des libéraux qui ne jurent justement que par la loi du profit et se fichent comme d’une guigne des dégâts humains. Illustration : après avoir reçu Lombard hier, l’inénarrable Christine Lagarde, ministre de l’Economie, lui a renouvelé "sa pleine et entière confiance". Le management d’Orange tue, le gouvernement complice !
PS : le cas d’Orange est emblématique mais il n’est évidemment pas unique. C’est la logique libérale qui tue. Un ouvrage signé Paul Moreira et Hubert Prolongeau détaille le processus, de nombreux exemples à l’appui : Travailler à en mourir, à paraître le 14 octobre chez Flammarion.
PS bis : nous avons consacré coup sur coup en juillet 2007 deux billets au démontage de la tarte-à-la-crème sarkozyste de la "valeur travail", Le travail rend libre... définitivement et Le travail, source de souffrance.
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