Le mandat du renoncement
Je suis né en 1981. Depuis cette date, je n'ai entendu en France que le mot « crise ».
Alors que le pays dispose d'atouts indéniable, sa population broie du noir. Avec le temps, j'en ai compris les raisons : les français, même s'ils ne partagent pas les mêmes points de vues ou idéaux sont entrés en phase de renoncement, de résignation, voire de défiance au regard d'un pilotage politique totalement hors-sol.
Certes, ce discours n'est pas nouveau, mais qui a osé s'attaquer au mal Français le plus profond, le plus insidieux et le plus pénalisant pour nous qu'est la surpopulation d'élus et de politique à tous les étages qui conduit, in fine, au plus profond des conservatismes, aux reculades, aux non choix et à ressasser éternellement les mêmes sujets ?
Le changement, c'était maintenant. Dorénavant on sait qu'il n'est pas possible de changer sans s'attaquer aux institutions, et donc à la Vème République. Il n'est pas possible de changer si les élus eux-mêmes sont imbriqués dans un système où le seul but réside à sauver son poste plutôt qu'à agir pour la population. Il n'existe pas d'avenir dans ce pays, surtout dans un monde qui change vite, s'il n'y a pas de mécanismes d'accès ouverts à la représentativité la plus large de la population, et notamment des jeunes. Qu'il s'agisse d'une part de proportionnelle, mais aussi du rôle d'institutions comme le Sénat ou l'organisation territoriale, la mère de réforme est bien celle-ci : Réformer l'organisation de l'Etat, ses institutions vers moins d'élus, mais mieux d'élus.
Le renoncement, c'est maintenant aurait plutôt caractérisé l'action de François Hollande.
Dépassé par l'ampleur de la tâche, non préparé, submergé par le désert intellectuel de la pensée de gauche, incapable de « penser » une réforme avant d'en évoquer les conclusions, c'est bel et bien l'absence de vision globale qui sera sa marque de fabrique.
Le marqueur que la France attendait, c'était le courage de renverser la table, de remettre en question les baronies, les féodalités, les avantages acquis et les positions de rentes. Au lieu de cela, F.Hollande n'a fait que reculer, renoncer, oublier les raisons mêmes qui l'ont conduit là où il se trouve. Malgré les désaveux cinglants des élections intermédiaires, malgré des taux de participation aux élections en chute libre, malgré 25% de votes FN, il n'y a aucune prise de conscience « intellectuelle » de l'ampleur du mal à traiter.
Et si Nicolas Sarkozy pouvait toujours compter sur une base de 20% de satisfaits de cadeaux fiscaux et de libéralismes, la gauche elle ne peut réussir que si elle progresse et apporte de l'égalité, de la justice et de l'espoir.
Et c'est bien de cela dont il s'agit et dont je souhaite parler.
François Hollande a déçu. On le savait. Mais surtout, François Hollande a renoncé avant même d'avoir commencé, et, en ce sens, a trahi celles et ceux qui souhaitaient que cela change, vraiment.
Son programme se résume à une vision comptable consistant à respecter le pacte de stabilité Européen. Tétanisé à l'idée de voir les intérêts de la dette remonter, F.Hollande s'est interdit toute réforme structurelle coûteuse, toute innovation, toute prise de risque. Adapte du consensus mou et de la décision débattue mais déjà arbitrée, frustrant de l'opposition à ses propres rangs, démobilisant même les plus fervents, François Hollande croit, comme son ex-femme, qu'il détient seul la vérité, la voie de sortie.
Hors, il n'y a de sortie vers le haut, sans changement structurel. Les patchs, ajustements, rustines et autres curseurs positionnés pour trouver d'improbables points d'équilibres ne peuvent occulter les défaillances systémiques d'une fiscalité d'un autre âge, d'une complexité et lourdeur administrative qui condamne l'innovation à l'exil et de non choix permanents qui repoussent d'autant les décisions stratégiques à plus tard. La réforme ferroviaire en est un excellent exemple.
Depuis 1997 et la séparation RFF/SNCF en ne confiant par à RFF les personnels humains pour exercer ses missions le gouvernement (de gauche) de l'époque, pour ne pas froisser les cheminots, a généré ce que l'accident de Brétigny a révélé avec douleur : sous investissement sur le réseau, surcoûts à tous les étages, inefficacité globale et coûteuse du système.
Il y a bien eu le « patch » du rapport Duron-Mobilité 21 mettant fin à la fuite en avant du tout LGV et du macro déficit, mais sur le fond, une fois encore, rien n'a été tranché.
Veut-on un opérateur national intégré unique ou bien un système ouvert à la concurrence ?
En conséquence, le propriétaire du réseau (réflexion valable pour les autres réseaux, télécoms, électricité, routes...) ne devrait-il pas être l'Etat en octroyant des concessions d'exploitation, système ayant déjà fait ses preuves et d'une rentabilité public et privé indéniable ?
En ne tranchant pas, et en déclinaison, en ne clarifiant pas non plus le statut des cheminots, une menace permanent pèse sur le moral des troupes et la qualité du travail réalisé.
En renonçant, on expose le plus grand nombre à l'incertitude.
En ne choisissant pas, on génère la mollesse, la perte d'énergie et la résignation.
Choisir, c'est renoncer au choix. Mais c'est aussi gouverner.
En réalité, la gauche est incapable de choisir là où la droite fait des choix pour sa clientèle électorale directe. En ce sens, depuis longtemps, la droite a injecté des choix très clairs en vue d'un système libéral pour l'éducation et la santé par exemple.
En face, la gauche n'a rien fait. Les ministres se sont succédés pour ne rien changer.
La jeunesse et la justice devaient être des priorités ? Mais qu'en est-il a mi-mandat ?
-La justice est toujours le parent pauvre du pays, avec des taux de financement public si bas, qu'il place le pays plus bas que des républiques bananières.
- La jeunesse ? Avec 25% de chômage latent depuis plus de 15 ans, avec un système scolaire toujours aussi dual et le mythe du bac à 80% pour une génération conduisant directement les plus fragiles scolairement à pôle emploi via un sas de 5 ans à errer en universités, avec toujours aussi peu de représentants élus à des postes clés du pays et avec le mépris qu'on lui adresse en permanence, quelles ont été les avancées ? Des contrats aidés ?
Le renoncement génère la détérioration, le délitement progressif et continu de la république.
Que personne ne s'offusque que la droite soit noyée dans des affaires mafieuses, que personne ne réagisse formellement à la méconnaissance des français sur l'enjeu Européen et aux joutes actuelles pour la nomination du président de la commission en disent déjà suffisamment long sur le niveau de stérilité et de pauvreté intellectuel des élus de ce pays.
Car il n'y a pas de secret, en nommant trop d'élus dans un système de cooptation, d'interdépendance et de copinage à tous les étages, c'est bien une médiocrité permanente que l'on entretient. Quand des élus passent plusieurs heures à feindre de comprendre les chômeurs et que, dans la minute suivante, ils s'attablent à grands frais (du contribuable) à des tables étoilées devrait générer une « indignation ».
Oui, nous devrions être indignés, révoltés même, quand il existe un aussi grand fossé entre nos soit-disant élites, et le monde réel des 65 millions de français qui, comme ils le peuvent, tentent de franchir les mois les uns après les autres. Mais la situation économique ne semble pas assez grave pour que nous réagissions, collectivement, pour exiger une refonte du système.
Alors, au lieu de nous indigner, nous souffrons en silence. Nous rongeons notre frein, même si la tige d'acier ne semble plus très loin. Nous renonçons nous aussi car « coincés » entre un système si lourd qu'il semble indéboulonnable et notre « peur » d'oser changer, le tout dans un climat où il s'avère si facile d'opposer les uns aux autres pour faire oublier les sujets communs.
Le renoncement, c'est l'expression de notre peur, de notre aversion historique au risque, mais aussi la meilleure façon que le risque se concrétise et devienne catastrophe. La peur n'évite pas le danger.
Si je prends un cas plus terre à terre, on nous vend une réforme territoriale visant à réduire les nombre de régions et à faire des économies. Mais comment sera t'il possible de faire des économies si le nombre d'élus n'est pas réduit ? S'il faut construire de nouveaux sièges pour accueillir 150 élus là où ils sont 50 ? S'il faut faire 500 km pour une réunion là où il fallait une demi-journée ? Si le mille-feuille politique reste en place avec plus de collectivité en France que dans toutes l'Europe réunit ? Comment lutter au « top niveau » mondial avec une organisation aussi féodale et moyen-âgeuse ?
L'avenir, c'est l'urbain, les métropoles. C'est aussi des Régions avec des budgets de taille critique et une capacité à légiférer que l'on pourrait comparer aux « gouverneurs » US dans un Etat Fédéral que l'on pourrait dénommer « Europe ». Nous n'en sommes pas encore là, mais pire encore, le chemin que nous avions pris s'est perdu dans les intérêts individuels locaux au détriment de la vision collective de l'avenir du monde. Nous manquons de leader capable de transcender leur propre petit intérêt personnel pour « conduire » les peuples vers du mieux.
Le renoncement est l'expression du carriérisme qui mine notre société et la politique au sens étymologique du terme. Car, à faire carrière, les élus confondent les fins : sauver sa peau, c'est à dire son job, quitte à bouffer ses convictions. Et à se renier pour espérer mieux, pour obtenir un peu plus ou tout simplement pour plus de pouvoir et de pognon, la caste politique de carrière « verrouille » le pays de l'intérieur, l'étouffant dans ses aspirations, lui coupant l'air nécessaire au déploiement de ses ressources.
La France a besoin de personnes de convictions, de paroles franches, d'exposition des non-dits et de dialogues constructifs sur les sujets qui constituent son avenir. Il ne s'agit pas de discuter de la position des trottoirs, mais bel et bien de tracer une feuille de route commune dans le temps. D'autres pays y sont parvenus, d'autres ont encore une partie de route à réaliser, mais tous aspirent à ce que les choses changent et que le pouvoir ne soit plus uniquement la consécration d'une personne ou d'un parti, mais bel et bien le moyen d'agir pour « progresser » et « vivre mieux ».
Certains me diront qu'il s'agit là d'une vision idéaliste des choses. Que je suis loin du compte. Hé bien c'est précisément parce que je connais bien les limites du système actuel, que j'en connais les arcanes et les dérives, qu'il m'apparaît urgent de ne pas renoncer, de ne plus accepter, et en un mot d'exiger des comptes à ceux qui nous font la morale mais ne montrent aucune exemplarité.
Encore un gros mot, l'exemplarité. Mais comment donner du crédit à des actions si ceux là mêmes qui devraient être en première ligne (des économies) sont ceux là mêmes qui préservent voire accroissent leur privilèges (cf retraite des députés, mais aussi toute la galaxie d'avantages des élus, de leurs équipes et autres sbires) ?
On nous dit qu'il ne faut pas attendre l'homme providentiel. Certes. Mais dans un système qui consacre la personnalité d'un Président, comment pourrait-il en être autrement ? Que dire de l'ascension de Matteo Renzi qui, avec la même logique que celle que j'expose, est en train de transformer un pays réputé in transformable comme l'Italie en d'en faire un espoir pour l'Europe ?
Le renoncement, c'est le confort et l'illusion de la garantie de ne pas perdre ce que l'on a. Mais c'est aussi refuser ce que nous sommes, au plus profond de nous, c'est à dire des humains dont l'histoire réside dans le fait de toujours chercher à avancer. En renonçant, nous mangeons nos roubignolles et nous laissons précisément place à l'arbitraire et aux logiques des « plus forts » que théoriquement une société civilisée est sensée combattre.
Le PS a depuis longtemps sombré (cf le grand corps à la renverse), machine à broyer les talents pour consacrer la médiocrité dans la non prise de risque et la langue de bois (Najat). Sans idées, un parti est mort. Le PS est mort depuis plus de 20 ans. Et, à date, il n'existe pas d'alternative viable sur le marché. En se fourvoyant, F.Hollande enterre la gauche pour une durée qui sera longue, et, en face, personne ne semble en capacité à porter un message nouveau, solide, crédible.
Faudra-t-il attendre un nouveau 21 avril ? Faudra-t-il que la société en soit à ce point délité pour qu'un jour nous réagissions et exigions des réformes qui impliquent les élus eux-mêmes (non cumul des mandats/rémunérations en durée et en nombre, exemplarité, transparence, contrôles etc...) pour qu'enfin ce pays puissent valoriser ses potentiels ?
C'est tout l'enjeu de cet article et surtout de l'obstacle à franchir, alors même que nous passons d'une société de consommation à une société de l'usage : sommes-nous capables de ne plus être résignés et d'exiger les réformes qui s'imposent ?
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