Le martyre refusé à Stéphane Guillon d’une pointe assassine par le PDG de Radio France
Depuis qu’il a éreinté DSK en février dernier pour ses frasques extra-conjugales, Stéphane Guillon a acquis une réputation flatteuse de chroniqueur indépendant (1). Il ne se gêne pas pour dire leurs quatre vérités aux princes qui gouvernent. Ses propres patrons ne font pas exception.
Il n’y est pas allé de main morte, lundi 11 janvier 2010. Le directeur de la rédaction de France Inter, M. Val, l’ancien directeur de Charlie Hebdo qui a beaucoup évolué, s’est fait tancer pour avoir, selon Stéphane Guillon, osé qualifier le président de la République d’ « actionnaire » de la chaîne, alors que sa fonction légale se limite à une tutelle, et que, à ce qu’on sache, il ne perçoit pas de dividendes sur les profits réalisés s’il y en a. M. Val se serait plaint des critiques que la station se permettrait envers « son actionnaire » : « France Inter est une radio qui coûte cher à l’actionnaire, aurait-il dit, et qui n’est pourtant pas très bien traité par la station. » Ce mot « actionnaire », dont avoue user aussi le président de Radio France, en dit long sur l’esprit de Service public qui anime ces « managers ».
Le président de Radio-France, quant à lui, s’est vu reprocher une relation de copinage pour avoir été promu récemment officier de la Légion d’honneur, après sa nomination en juin à la tête de Radio France par le président de la République qui l’a retiré d’un « placard doré » à Radio Classique où il animait une émission matinale.
L’humoriste avait conscience, semble-t-il, d’avoir commis sciemment un irréparable crime de lèse-majesté et joué son va-tout quand il a conclu sa chronique, en héros prêt au martyre, par un « À demain peut-être ! » On pouvait, en effet, légitimement s’attendre à une réplique des autorités brocardées. Le pire est arrivé pour lui ! Le président de Radio France a souri quand DSK avait protesté et assuré le succès de l’humoriste.
L’esquive habile du président de Radio France
Le moins qu’on puisse dire est que l’esquive du président de Radio France est habile. Il a ni plus ni moins réfuté l’accusation de servilité au pouvoir que l’humoriste avait servie, en opposant par sa seule conduite la preuve apparente du contraire. Sanctionner l’insolence de Stéphane Guillon eût été, en effet, illustrer par l’exemple la servilité dénoncée et une intolérance à la critique en attentant à la liberté d’expression. L’accueillir avec le sourire, au contraire, comme l’a fait le président Hees, revient à démontrer l’inanité de l’accusation en la minimisant et en la privant d’objet : « L’humour, c’est l’humour ! a-t-il répondu par une tautologie, selon le Point.fr. Il y a peut-être des limites, mais en l’occurrence, elles ne sont pas franchies. »
Et Stéphane Guillon lui a même offert l’occasion de se payer le luxe de célébrer l’excellence de Radio France sous sa présidence : « Le principe de liberté est entier sur Inter », a-t-il prétendu en bombant le torse. On vient justement de le voir par l’analyse du journal de 13 heures de vendredi 8 janvier 2010 : cette liberté va même jusqu’à prendre des libertés avec la fidélité de représentation de la réalité (2).
Du coup, le héros humoriste, parti combattre sabre au clair la censure d’une présidence servile, se retrouve tout penaud comme Don Quichotte au pied d’un moulin à vent qu’il avait pris pour un chevalier noir de l’Inquisition. Le président de Radio France ne vient-il pas d’enfermer Stéphane Guillon dans le rôle du « fou du roi » autorisé à brocarder le prince dans tous les domaines jugés sans importance ? Autrement plus grave serait d’entendre l’humoriste soutenir que sur France Inter, comme on l’a vu, vendredi 8 janvier, on cherche à manipuler les esprits en stimulant les réflexes de voyeurisme et de peur à l’occasion d’un événement mis hors-contexte dont on sait peu de chose. (2)
La pointe assassine : des bouffons grassement payés pour faire diversion
Mais le président de Radio France ne s’en est pas tenu à cet enfermement de l’humoriste dans le rôle du bouffon. Il lui a porté l’estocade en toute déloyauté. Il a simplement comparé sa conduite envers la direction de Radio France à celle qu’il adopte envers ses patrons de Canal + et a fourni la clé de la disparité de traitement : « J’aimerais aussi rappeler à Guillon, a-t-il glissé perfidement, que je ne l’entends pas souvent dire du mal des patrons de Canal +, ses autres employeurs,. Et pour cause : s’il se le permettait, eux ne réagiraient pas comme nous. Et il perdrait ses 40.000 euros par mois ! » On a bien lu : 40.000 euros par mois auxquels il faut ajouter son salaire de France Inter que le PDG s’est gardé de révéler !
Ainsi apprend-on que ces amuseurs publics, comme les footballeurs, sont payés des sommes folles au-delà de toute raison. C’est qu’ils jouent un rôle précieux : ce pactole mensuel ne leur est consenti qu’en échange d’une autocensure dissimulée sous une apparente liberté de parole allant jusqu’à l’insolence – impertinence est parfois le mot en usage - mais pas au-delà. Leur fonction est à proprement parler de « divertir », au sens où l’entendait Pascal, (dis-vertere, en latin) c’est-à-dire de détourner l’attention de ce qui est essentiel. C’est ce qu’on nomme aussi un leurre de diversion.
Une dernière phrase du président de Radio France dément, en effet, ce libéralisme affiché avec flegme. Selon Sandrine Cochard du site 20 Minutes, le 11 janvier, voici ce qu’il a déclaré : « Je dis souvent aux salariés : "Il fait froid dehors". Regardez l’état de la presse... » Ce sous-entendu glissé dans une métaphore, ne sonne-t-il pas comme une délicate menace pour inviter à la prudence, diront les uns, ou à l’autocensure, dénonceront les autres, et à ne pas prendre le risque inconsidéré d’un licenciement ? On a froid aussi à Radio France, mais… dans le dos ! Paul Villach
(1) Paul Villach, « DSK « dynamité » par Stéphane Guillon sur France Inter, « façon puzzle » : méchanceté ou critique légitime ? » AgoraVox, 23 février 2009
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/dsk-dynamite-par-stephane-guillon-52061
(2) Paul Villach, « Meurtre « à la une » d’un lycéen : la manipulation discrète des esprits par France Inter », Agoravox, 11 janvier 2010.
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/meurtre-a-la-une-d-un-lyceen-la-67980
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