Le mépris des femmes en Hongrie
L’exhibition sexuelle publique par le leurre d’appel sexuel est limitée par la morale du groupe. En revanche, celle du malheur d’autrui par le leurre d’appel humanitaire ne l’est quasiment pas. Les autorités hongroises viennent de le montrer à quelques mois d’intervalle. On a analysé, le 23 septembre, une publicité visant à attirer l’attention sur le recensement de la population hongroise au mois d’octobre (1). Voici l' affiche qui était diffusée en mai dernier pour combattre l’avortement (2).
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Le gouvernement hongrois use de toutes les ressources perverses du leurre d’appel humanitaire pour stimuler les réflexes susceptibles d’empêcher une femme de recourir à un avortement.
1- Le mécanisme du leurre d’appel humanitaire
1- Exhibition du malheur d’autrui et réflexe de voyeurisme
L’exhibition du malheur d’autrui - ou de son simulacre - vise d’abord à capter l’attention puisque elle stimule, comme celle du plaisir d’autrui, le réflexe de voyeurisme. La photo échographique d’un fœtus remplit la moitié de l’affiche : on a pris soin de le choisir vers la vingtième semaine de grossesse, au moment où il a pris désormais forme humaine.
2- L’exagération de la mise en scène
Mais, en elle-même, cette photo ne dit rien du malheur du fœtus. C’est la mise en scène où elle s’inscrit, qui y pourvoit.
- Un premier procédé dérivé de l’image mise en abyme est utilisé. Ne pouvant, selon l’usage, instaurer un simulacre de relation interpersonnelle, yeux dans les yeux, entre le fœtus et le lecteur, et pour cause, il a été imaginé de le faire parler. C’est un premier procédé d’exagération qui prend ses aises avec une représentation fidèle de la réalité : un fœtus à cet âge ne parle pas, il en est bien loin. Seule la socialisation de l’enfant lui fera accéder à cette propriété humaine : il faut attendre les deux ou trois premières années pour qu’il prononce ses premières phrases. Quant à être capable d’énoncer la supplication que prête le gouvernement hongrois à ce fœtus, il ne le sera que plus tard.
- C’est le second procédé d’exagération qui consiste par quiproquo à parler à sa place et à lui faire tenir des propos qui ne peuvent être les siens et qui ne sont que ceux des auteurs de l’affiche : on les lit en incrustation sur la photo. Leur traduction du hongrois est la suivante : « Je comprends bien que tu n'es pas encore prête pour moi. Mais donne-moi au service d'adoption, LAISSE MOI VIVRE ! »
On comprend bien que les auteurs de ce quiproquo entendent poser en défenseurs de l’orphelin. Mais qu’en savent-ils de la pensée du fœtus ? A-t-il demandé à naître ? On connaît le mot de Chateaubriand quand il parle dans « Mémoires d’outre-tombe » de « la chambre où (sa) mère (lui) infligea la vie » (3).
3- Une distribution manichéenne des rôles arbitraire
Le fœtus est donc présenté en victime innocente dans une distribution manichéenne des rôles qui passe pour évidente : il supplie son bourreau de mère de l’épargner.
4- Le réflexe de compassion et d’assistance à personne en danger
- Dans ce contexte, il ne peut que susciter un réflexe de compassion et d’assistance à personne en danger.
- Dans le même temps, les auteurs de l’affiche qui prennent sa défense, entendent stimuler un réflexe d’approbation et d’estime en leur faveur pour le secours qu’ils apportent à une victime innocente sans défense, conformément à la morale en vigueur.
- Il s’ensuit logiquement et symétriquement le déclenchement d’un réflexe de condamnation envers le bourreau de mère qui ose tuer le plus faible parmi les plus faibles.
- Mise devant ses responsabilités tandis qu’elle se prépare à commettre son crime, elle devrait logiquement être la proie d’un réflexe de culpabilité qui la dissuade de passer à l’acte.
2- Un leurre tirant de la mise hors-contexte son efficacité
Seulement, comme tout leurre d’appel humanitaire, celui-ci use de la mise-hors-contexte pour abuser le lecteur.
1- Une métonymie masquant la cause de l’effet exhibé
Une métonymie montrant l’effet pour la cause commence par l’égarer. Le fœtus exhibé est à l’évidence l’effet d’une cause, l’union sexuelle d’un homme et d’une femme. Mais rien ne permet de connaître les circonstances de celle-ci. S’agit-il d’un viol, d’un accident faute de contraception ?
2- Un quiproquo par amalgame
Plus généralement, cette affiche impose un amalgame où le fœtus est présenté d’office comme victime et la mère comme son bourreau. Or, que sait-on de la situation de la mère pour en juger ? N’est-elle pas la première victime d’une servitude biologique et d’une grossesse non désirée ? Les femmes l’ont subie depuis l’origine de l’humanité. Ce n’est que tout récemment depuis les années 1960 – cela fait tout juste 50 ans - qu’elles en ont été libérées par l’invention d’une contraception scientifique efficace. Or, que cherche à faire cette affiche, sinon à rétablir cette servitude ancestrale des grossesses à répétition à chaque relation sexuelle ou presque ?
Plutôt que d’offrir aux femmes l’abandon de leur enfant à des parents d’adoption, le mieux n’est-il pas de favoriser leur accès à la contraception puisqu’il est désormais possible de choisir d’avoir ou non un enfant ? Car l’avortement n’est qu’une solution de détresse et n’est jamais anodin dans la vie d’une femme. Les promesses d’adoption de l’enfant qu’elle ne souhaite pas garder, ne sont pas davantage une issue souhaitable à une grossesse non désirée : le traumatisme psychologique peut être même supérieur à celui qu’un avortement peut provoquer, surtout quand la relation de la mère à l’enfant est de façon perverse empoisonnée, comme le fait le gouvernement hongrois, par la stimulation du réflexe de culpabilité. Paul Villach
(1) Paul Villach, « Devinette : quel produit hongrois vante ce leurre d’appel sexuel ? », AgoraVox, 23 septembre 2011.
(2) Cité par « HULALA, l’actualité hongroise la plus piquante », « Le gouvernement hongrois lance une campagne contre l’avortement », 9 mai 2011.
(3) F.-R de Chateaubriand, « Mémoires d’outre-tombe », Livre 1, chapitre 3.
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