Le mépris du Front National pour ses jeunes électeurs

Une distribution manichéenne des rôles brutale

Une brutale distribution manichéenne des rôles capte l’attention : deux univers antinomiques s’opposent comme le noir et le blanc, le mal et le bien, l’Enfer et le Paradis.  Perçue au premier coup d’œil, la charge culturelle des couleurs accentue d’entrée l’opposition violente entre deux univers : à gauche, le rouge, le blanc, et le noir d'un incendie d'insurrection dans l’obscurité de la nuit sont les couleurs du malheur, et, à droite, l’azur et la lumière qui russelle sur les êtres et les choses, celles du bonheur.

L’image est ainsi partagée en deux parties symétriques.

- À gauche, tant au sens spatial qu’idéologique, deux images sont les métonymies du Mal absolu : l’une montre un vagabond/immigré, tête baissée, sur un banc public à côté de son maigre baluchon et l’autre juste au-dessus, une scène nocturne d’émeutes de banlieue en feu.

- À droite au contraire, au sens tout autant spatial qu’idéologique, la scène choisie est au contraire la métonymie du Bien absolu : sous un ciel d’azur se tient en arrière plan un marché sur la place tranquille d’une ville, avec un clocher sur la colline, tandis qu’au premier plan deux amoureux affichent une mine épanouie en goûtant la douceur de vivre, sur le même banc public où le vagabond-immigré, effondré, dissimule son visage. 

Une stimulation de réflexes paralysant toute réflexion

Cette présentation manichéenne est censée, selon le Front National, être le symbole de la situation française. Le slogan se réduit dès lors à une injonction sommant les jeunes électeurs à qui il s’adresse, de prendre parti : « Choisis ta France  ». Or existe-il un choix entre l’Enfer et le Paradis ?

- Quels autres réflexes que la répulsion, l’aversion, la condamnation, voire la haine, peut stimuler la France de gauche, symbolisée par les émeutes de banlieue dont le vagabond-immigré, accablé sur son banc, apparaît par une autre métonymie comme la cause de cet effet désastreux ?

- Et quels autres réflexes que l’attirance, la convoitise, l’envie et l’approbation enthousiaste peut déclencher cette image d’un village heureux sous un ciel radieux où les gens commercent et s’adonnent à l’amour en toute sécurité ?

Mise hors-contexte et caricature de farce

Seulement, l’outrance dans la représentation des deux Frances ainsi confrontées est telle qu’elle verse dans la caricature de la farce. Cette distorsion entre ce qui est montré et ce qui devrait l’être, est même le ressort du rire qui en éclatant rétablit l’équilibre rompu.

Comme on aimerait que les choses soient si simplistes ! À l’évidence, en usant d’une telle mise hors-contexte pour offrir cette caricature de farce, le Front National prend les électeurs pour des demeurés qui, incapables de replacer les faits dans leur contexte, ne réagiraient que par réflexes viscéraux et n’auraient qu’un petit pois pour toute cervelle.

Il n’est pas question de nier la réalité de banlieues devenues des zones de non-droit ni d’une immigration encouragée par l’ultra-libéralisme pour comprimer les salaires et attiser la division des salariés dans le contexte de concurrence sauvage instaurée par des échanges mondialisés avec des pays comme la Chine qui ignorent toute protection sociale.

La confusion de l’effet et de la cause

Mais la France de ces amoureux assis sur un banc public et des commerçants d’un marché de village que l’on voit derrière eux, est-elle aussi idyllique qu’elle y paraît sous ce ciel d’azur au pied d’une église ? Sans doute, objectera-t-on, n’est-ce que l’ objectif que propose le Front National aux électeurs. Le problème est que le diagnostic posé qui confond par amalgame l’effet et la cause, augure mal du remède : les banlieues de non-droit et l’immigration sont les conséquences désastreuses d’un ultra-libéralisme qui ne recherche que le profit maximal d’une minorité ploutocratique. Où trouve-t-on, sur cette affiche, trace de cette ploutocratie ultra-libérale qui se goinfre et qui est à l’origine de ce désordre ? On songe à ces fauves, tous plus criminels les uns que les autres, qui, dans la fable de La Fontaine, « Les animaux malades de la peste », désignent à la vindicte de tous l’âne comme responsable de la colère des dieux qui ont fait s’abattre sur eux la peste.

Il reste que si le Front National ose, pour tenter d’attirer les jeunes électeurs, présenter cette image pieuse dont l’outrance confine à la farce, il sait que nombre d’entre réagissent par réflexes et non par réflexion. Combien d’entre eux seront capables de se rendre compte que ce parti les méprisent en leur offrant un choix aussi caricatural et en masquant les responsables des effets désastreux qu’il exhibe ? Paul Villach