Le Mirage perdu de Sarkozy, ou la tentation de se prendre pour le cowboy Reagan
Personne ne l'a remarqué. Tout s'est fait discrètement. Un ministre pourtant (Gérard Longuet !) a pris la peine de se déplacer, pour saluer la mémoire de Xavier Cazalbou et Nicolas Papadacci-Stéphanopoli, le pilote et le navigateur d'un Mirage 2000N qui s'est écrasé le 1er mars dernier dans la Creuse. Il leur a même remis la légion d'honneur à titre posthume, ce qui peut paraître étonnant pour un accident lors d'un simple "exercice d'entraînement" comme cela a été présenté officiellement. L'avion volant à très basse altitude et à grande vitesse avait percuté le sol avec une force inimaginable, broyant littéralement ses deux passagers. Au sol, l'avion était devenu invisible, enfoncé dans un cratère de 25 m de diamètre qu'il avait lui-même créé à l'impact, qui avait été effroyable, les gens du coin ayant senti le souffle créé, selon les témoignages relevés. Officiellement, l'engin était en mission "nucléaire". Officieusement, il répétait une opération de bombardement classique qui en rappelait une autre. Souvenez-vous, c'était le 15 avril 1986 pour l'opération " El Dorado Canyon ", visant.... Mouammar Kadhafi. On pensait jusqu'ici que Nicolas Sarkozy se prenait pour G.W.Bush, le voilà qu'il prétend aujourd'hui enfiler le costume de Ronald Reagan, le cowboy d'Hollywood devenu président.
A l'époque, les USA ont déjà eu maille à partir militairement avec la Libye, notamment lors de l'épisode du golfe de Syrte, le premier du genre, lors de manœuvres navales de la VIe Flotte US. Accrochés à plusieurs reprises par des avions libyens jugés un peu trop entreprenant, un des Tomcats VF-41 "Black Aces se dirigea le 19 août 1981 vers deux Su-22 Fitter-J. , dont un des deux largua à sa rencontre un missile Atoll en guise de bienvenue. En réponse, le Tomacat largua deux missiles air-air AIM-9L Sidewinder, qui abattirent chacun un des deux avions d'origine soviétique. Un des deux pilotes libyens ne réussit pas à s'éjecter. Les Etats-Unis ont alors déjà fait fermer l'ambassade libyenne à Washington, et Reagan déclaré que "Kaddafi est l'homme le plus dangereux du monde". Lors de l'accrochage aérien, Kadhafi affirme que "Reagan est fou". Cinq ans plus tard, en Allemagne, un attentat dans une discothèque fait 3 morts, dont 2 soldats américains, et 229 blessés, et très vite c'est Kadhafi qui est accusé. Les services secrets allemands et américains ont intercepté des câbles émanant des services libyens préparant l'attentat : l'implication ne fait aucun doute. Il a revendiqué un soutien direct aux attentats précédents en Europe, notamment ceux des attaques sur les aéroports de Rome et Vienne en décembre 1985, qui ont tué 19 personnes et fait plus de 140 blessés. Pour Reagan, c'en est trop. Une opération de représailles est aussitôt envisagée. Elle sera massive : le cow-boy, ulcéré par ce colonel d'opérette qui ose le défier, va y mettre la dose. Ce ne sera pas un seul bombardement ciblé, mais toute une série, visant des endroits clés du régime, dont la résidence privée connue du dictateur.
Sont visés (de nuit) les hangars d'Aziziyah, près de Tripoli, censés être les quartiers généraux des terroristes libyens, ceux des Gardes de la Jamahiriyah de Benghazi, où stationnent les Migs Libyens, la base de Murrat Side Bilal, où s'entraînent les plongeurs de Kadhafi, l'aéroport de Tripoli où se trouvent les gros porteurs IL-76 Candid qui servent à transporter le matériel des terroristes, et l'aéroport militaire de Benina, également près de Benghazi, pour y atteindre les Migs susceptibles de pouvoir décoller en cas d'alerte aérienne. Bref c'est une opération d'ampleur délicate, car ces cinq cibles devront être bombardées au même moment si l'on veut garder l'effet de surprise. La Navy n'a pas été retenue pour l'opération de bombardement à très basse altitude. Elle a bien un appareil pour se faire, l'Intruder A-6 qui a fait ses preuves au Viet-Nam, mais ses deux porte-avions méditerranéens, l'America et le Coral Sea n'ont à bord que dix A-6 chacun, alors qu'il en faudrait 32 pour réussir l'opération, l'A-6 emportant moins de bombes que l'énorme F-111 (de 44 tonnes à pleine charge, contre 16,5 tonnes pour le Mirage 2000 !). Elle proposer son aide électronique seulement, via ses Prowler et ses Hackeye. L'armada réunie est donc plutôt conséquente : outre les 24 FB-111 retenus , il y a déjà avec eux 5 EF-111 Raven ECM (Electronic Countermeasure), plus la bagatelle de 28 ravitailleurs, des KC-10 et des KC-135, venus des bases de Fairford et de Mildenhall, et du côté des porte avions 14 A-6E d'attaque, plus 12 A-7E et F/A-18 équipés de pods de contre mesures, assistés de F-14 Tomcats chargé du Combat Air Patrol (CAP), et au dessus de tout ça 4 E-2C Hawkeye chargé de la veille radar. Au total, on est à plus de 87 appareils sans compter les Tomcats de protection en cas de décollage de Migs.
Deuxième difficulté : atteindre la Libye à partir des bases anglaises disposant de F-111 choisis pour la mission : et pour cela, il faut donc survoler la France, ce que refuse d'accorder François Mitterrand. Il faudra aussi éviter l'Espagne, qui elle aussà décliné la demande... pas simple. Le trajet s'allonge d'autant à faire le tour des côtes. Ce n'est pas une petite opération militaire, et le but inavoué est clairement d'éliminer Kahdafi sous les gravats d'une de ses résidences, visée également lors du raid. Les premiers avions à décoller seront les ravitailleurs, suivis de près par les F/EF-111s. Quatre ravitaillements et quelques heures plus tard, ces avions abordent la pointe de la Tunisie et sont rejoints par un KC-10 spécial qui a été modifié pour fonctionner comme centre de coordination de commandement volant.
Un jeune retenu pilote racontera ainsi plus tard sa mission au ras des bâtiments : "J'étais probablement le pilote le plus jeune choisi pour la mission. Je n'avais jamais volé à moins de 400 pieds, la nuit, notre mission nous assignait un trajet vers la cible à 200 pieds et 700 mph. Je n'avais jamais largué des munitions réelles ; mon appareil était armé de quatre bombes de 2000 livres à guidage laser. Ma plus longue mission précédente avait été de 4,5 heures, l'itinéraire prévu autour de l'Espagne et pour le retour en prendrait plus de 13. Par ailleurs, je n'avais jamais fait le plein de carburant à partir d'un navire-citerne KC-10, fait le plein de carburant en total silence radio, ou éjecté de paillettes ou des fusées éclairantes (des contre-mesures pour déjouer les guidages radar de missiles à tête chercheuse thermique)". Un autre plus âgé donnera le compte rendu précis de l'attaque, tenue par nuit noire et à basse altitude. "Souvenez-vous, il est absolument hors noire, et la seule référence que nous avons pour éviter le terrain est ce qui restait du TFR , surnommé "la ligne à suivre". Ç'était été une simple ligne sur l'écran de contrôle définie à l'altitude programmés par ordinateur pour l'INS à partir d'une position précise.
A cette époque, l'INS dérivait, il y avait donc beaucoup de place laissée à l'erreur. "Donc, à 1.000 pieds, en passant de 600 noeuds, nous utilisions plutôt le TLAR (traduit par “that look’s about right” signifiant "ça doit être ça" la bonne direction) pour nous empêcher de frapper n'importe où. "Comme nous passions au dessus de l'île de Lampedusa, notre dernier correctif pour mettre à jour nos systèmes de ciblage, nous l'avons également utilisée pour vérifier notre altitude. Il y avait là une antenne de 1000 pieds, là-bas, et si nous étions passés au-dessous, nous aurions renoncé parce que cela aurait montré montré notre INS était totalement fichu. Nous sommes passés à côté de l'antenne, à la bonne altitude, mais on a remarqué un autre problème. Les coordonnées qui nous étaient données pour l'île ne correspondaient pas à celles où nous étions, et si une des équipes avait utilisé ces mauvaises coordonnées, leurs bombes auraient été hors cible. Comme nous étions sous silence radio, nous ne pouvions pas l'indiquer aux autres, en espérant donc qu'ils auraient eux aussi détecté cette erreur. De retour sur notre mission, nous étions juste une minute derrière le premier largage, et tout était sombre jusqu'à ce que les bombes du leader ne tombent. Ensuite, l'enfer s'est déchaîné. Un jet de traçantes a arrosé le ciel ainsi qu' un bon nombre de leurres de magnésium qui ont ajouté beaucoup de lumière au spectacle. Une fois que nous en avions terminé, nous repartîmes au nord pour survoler le bateau "perdu", une frégate de la Navy qui nous regardait approcher sur son radar à la hauteur désignée. Si nous n'étions pas à cette hauteur, l'avion de combat en orbite autour de la PAC aurait intercepté pour nettoyer tous les combattants libyens qui auraient essayé de nous rattraper" raconte Big Al” Wickman, pilote du F-111 Jewel 62 (bijou 62). Bref, on le voit, ce genre d'attaque en group ou par duo d'appareils demande une sacré maîtrise du vol de nuit à basse altitude. Ce à quoi s'entraînait le Mirage qui s'est crashé, justement.
Lors de l'attaque surprise des 18 F-111 (il en avait manqué 6 à la liste initiale de 24 prévus), les libyens auront le temps de lâcher quelques SAM, les missiles qui avaient fait leur preuve au Viet-Nam. L'un d'entre eux atteindra le F-111 N°70-389 du Capitaine Fernando L. Ribas-Dominicci et du Capitaine Paul F. Lorence, dont on ne sait s'il avaient réussi ou non à faire éjecter leur capsule de survie (le F-111 étant doté de ce système étrange à la place de sièges éjectables conventionnels). Leurs corps seront retrouvés échoués sur une plage libyenne, ou au moins celui de L. Ribas-Dominicci, dont les restes seront remis bien plus tard aux américains grâce paraît-il à une intercession... du pape. Une étude dentaire prouvera qu'il s'agissait bien de lui, Lorence n'ayant semble-t-il jamais été véritablement retrouvé.
Les deux malheureux occupants du Mirage n'ont semble-t-il rien pu faire. On a parlé de "fragments" de corps, à leur égard, les deux hommes s'étant peut-être éjectés mais bien trop bas. C'était le 38 eme crash de Mirage 2000, sur les 315 livrés. Le précédent remontait au 11 mai 2010, le pilote ayant réussi à s'éjecter sain et sauf loin des habitations. Le 8 avril 2010 c'était près d'Orléans, à Gidy, et avec un Mirage F1, avec un pilote venant de Reims, retrouvé sain et sauf. Le 11 juin 2008, un Mirage 2000N de la même base de Luxeuil (le N°363/4-BK de l'Escadron de chasse 2/4 La Fayette) s'était écrasé en Bretagne près de la commune de Laurenan sans faire de victimes. Le 12 février c'était en Gironde, dans les Landes, avec une éjection réussie pour l'occupant du Mirage 2000N N°315/4-BF de l'Escadron de chasse 2/4 La Fayette, basé sur la Base aérienne 116 et donc lui aussi venu de Luxeuil, en raison d'ne manœuvre de ravitaillement ayant mal tourné, l'avion ayant ingéré le panier de ravitaillement en vol du KC-135... en 2007, le 12 juillet 2007, un Mirage 2000N de la Base aérienne de Luxeuil rencontre en plein vol un avion de tourisme (son pilote est tué, et le Mirage réussir à rentrer à sa base). Le 19 février 2007, c'est un des Mirage 2000C, le N°116/12-KT de la Base aérienne 103 Cambrai-Épinoy qui s'abîme en Méditerranée au large de Bonifacio, la mission étant partie de la Base aérienne 126 de Solenzara. Les crashs ne sont donc pas rares, et parfois même dus à autre chose que des problèmes techniques. Il faudra attendre près de 8 ans à des familles pour que l'on reconnaisse que la mort de deux pilotes le lieutenant Vernat et le lieutenant Coeffin était dû à une erreur de préparation de leur mission d'entraînement à la voltige pour le programme de présentation 2003. Le Mirage F1 C avait été retiré du service 3 mois à peine après l'accident. La sécurité étant alors sous la direction du général Hervé Longuet, commandant la Force aérienne de combat, aux avis parfois bien tranchés. L'homme faisant partie des "autorités chargées du contrôle de la figure aérienne fatale aux pilotes" indique le Parisien.
Une seule question me taraude, à la lecture de nombreux accidents et de ce qui s'en est suivi : d'autres pilotes français sont décédés en mission d'entraînement sans pour autant recevoir une médaille comme la légion d'honneur (au titre de chevalier) : le risque faisant partie de leur métier. La venue du nouveau ministre de la Défense et cette décoration posthume ne serait-elles pas les signes d'une reconnaissance de l'importance de la mission qu'ils tentaient de réaliser ? N'a-t-on pas par là révélé que leur mission était bien davantage qu'un simple exercice d'entraînement traditionnel ? La petite équipe de militaires proches du pouvoir et à la gâchette facile n'auraient-elles pas en ce cas déjà envisagé ce genre d'opération risquée avant même que Nicolas Sarkozy n'en parle à quiconque, y compris à son propre ministre de la Défense ? C'est fort probable. Le 24 février "le meilleur d'entre nous" affimait à qui voulait l'entendre qu' "il n'y a pas d'intervention militaire" en prévision" ... rappelait le Point. Pour celui qui venait juste de quitter la Défense, il paraissait fort mal informé ! "Sarko semble vouloir abattre Kadhafi tout seul" , titre le Monde ! qui ajoute : "Le président français Nicolas Sarkozy est pris de folie", s'inquiète Thorsten Knuf, dans le Berliner Zeitung !" Jusqu'ici,on pensait que le seul fou de l'histoire était de l'autre côté de la Méditerranée ! Après avoir mis ses pas dans ceux de G.W.Bush (et de sa famille !), voila Sarkozy emboîtant ceux de Ronald Reagan ! Finalement, le coup du cheval de manadiers de sa campagne électorale, c'était bien pour nous montrer le cow-boy qu'il a toujours rêvé d'être !
Parmi les dégâts constatés en Libye par le raid US, et parmi les cibles qui avaient été sélectionnées, il y a l'un des palais préférés de Kadhafi. Celui-ci été prévenu à la dernière minute du raid par le premier ministre Maltais, Karmenu Mifsud Bonnici, dont le pays avait pourtant autorisé le suvol de l'armada US, mais il n'a eu que le temps de se réfugier dans un de ces bunkers sous son palais de Bab al-Azizia. Certains affirment que c'est plutôt Bettino Craxi qui l'aurait prévenu (c'est la thèse de Giulio Andreotti (premier ministre italien) et d'Abdel Rahman Shalgham (ministre des affaires étrangères de Kadhafi). Kadhafi clamera avoir perdu "une de ses filles adoptives" dans le raid, mais dont personne n'avait jamais entendu parler auparavant. Toujours aussi adroit politiquement, il retournera le raid en transformant ce qui reste de son palais en mausolée anti-américain, avec devant une assez grotesque sculpture censée évoquer l'attaque des F-111 de Reagan. C'est de ce site qu'il a fait récemment l'une de ses déclarations surréalistes, là également ou sa vraie fille a fait de même. Au même endroit ! Gag absolu, c'est devant ce bâtiment qu'aura lieu la conférence de presse commune lors de la visite de Nicolas Sarkozy au dictateur libyen : s'en est-il rendu compte, au moins, notre président désirant aujourd'hui faire la même chose que Reagan ? Si ça tentative réussit ou échoue, aura-t-on droit à une deuxième sculpture ??? Et lui la sienne ?
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