Le « modèle allemand » : vous avez dit « social » ?
Cela fait un moment que l’on nous entretient du « modèle allemand ».
Le thème est récurrent depuis que la crise a mis en lumière les comportements économiques respectifs de la France et de l’Allemagne. Il a trouvé un surcroît de vigueur à l’occasion de la concertation patronat/syndicats, la référence - et révérence - au modèle « social » allemand venant alors au secours d’une négociation difficile en France. La célébration du cinquantenaire du Traité de l’Elysée vient de couronner l’édifice : la France, légère et inconséquente, comme chacun sait, un genou en terre, fait allégeance à l’Allemagne, sérieuse et opiniâtre, comme nul ne l’ignore.
Qu’il y ait beaucoup à apprendre des expériences de nos voisins ne fait aucun doute. Que l’histoire et la personnalité de l’Allemagne lui aient ouvert des voies que nous pourrions utilement explorer - nous pensons ici en particulier au rôle des PME et de l’apprentissage - c’est très probable.
Mais c’est précisément parce que la qualité des relations entre nos deux pays est un élément clé de la construction européenne qu’il faut en préserver l’équilibre et garder les yeux ouverts sur les forces et faiblesses de chacun d’entre eux.
Le « modèle social allemand » est axé sur la compétitivité à l’exportation, dans un espace économique mondial dérégulé. Le prix à payer est désormais connu : les statistiques sur le développement de la pauvreté en Allemagne ont confirmé qu’une fraction croissante de la population y est passée en mode « survie », au point que les syndicats allemands commencent à renâcler. La crise a aggravé la situation mais le processus de paupérisation, délibérément engagé par les lois « Hartz » sur le « marché » du travail, avait commencé à produire ses effets dès 2005. Il ne faudrait pas croire pour autant que le combat industriel et commercial soit gagné, car les « émergents » montent en gamme : la Chine prévoit un triplement de ses exportations de machines-outils et équipements de transport d’ici 2020 et la Corée du sud, la Thaïlande et l’Indonésie affichent elles aussi de vastes ambitions dans ce domaine. Il y aura toujours des troupes fraîches pour monter au front de la compétitivité ! Ni la qualité de vie, ni la préservation de l’environnement, ni la paix ne peuvent être au rendez-vous de cette logique de compétition, dans laquelle seul Panurge est au pouvoir. Il serait temps d’en prendre conscience et d’agir en conséquence.
Les choix de l’Allemagne correspondent aux orientations longtemps préconisées par la Banque mondiale (les fameux « ajustements structurels »), le FMI et l’OMC mais d’autres organisations internationales appellent désormais l’attention sur les risques sociaux et économiques qui résultent de la pression sur les bas salaires et du développement des inégalités, dans tous les pays. C’est le cas de l’OIT (Organisation internationale du travail) depuis plusieurs années. Dans son rapport 2012, elle recommande de « refuser de laisser la finance donner le ton pour l’élaboration des politiques. » C’est aussi le cas pour l’OCDE lorsqu’elle écrit, début 2012 : « Le creusement des inégalités est l’un des principaux risques pesant sur notre prospérité et notre sécurité futures ».
Voir notre Président, questionné par un jeune allemand sur la question des « charges sociales » françaises (21 janvier), répondre que la France a « un problème de compétitivité », que « l’Allemagne a fait cet effort » et que la France doit rattraper le temps perdu et « rattraper l’Allemagne » augure mal du développement d’un front social en Europe. Il serait piquant que ce sursaut nous vienne de l’Allemagne à l’issue des élections qui y auront lieu au printemps prochain…
http://www.alternatives-economiques.fr/un-modele-qui-ne-fait-guere-envie_fr_art_1079_53364.html
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