Le monde a-t-il besoin de l’Arabie Saoudite ?
Mohammed ben Salman (MbS pour les amis) a pris le risque de déstabiliser l’équilibre régional en s’attaquant à un système de consensus établi depuis des décennies.
Depuis qu'il a remplacé son cousin Mohammed ben Nayef en juin dernier pour succéder au roi Salman ben Abdulaziz Al Saud, le prince, nouveau monarque de fait, a mené une action au pas de charge pour consolider son pouvoir, en défiant même la famille royale et les dignitaires religieux.
En septembre, la police saoudienne avait déjà arrêté des dizaines de personnalités religieuses, dont les prédicateurs Salman al-Awdah et Awad al-Qarni, qui sont toujours en prison. Mais samedi dernier, au nom d’une « lutte contre la corruption », l'héritier du trône a opéré une nouvelle avancée en limogeant des ministres et en faisant arrêter plusieurs dizaines de personnes parmi lesquelles figurent son cousin et l'un des hommes les plus riches du monde, Alwaleed ben Talal, mais aussi 11 autres princes, quatre ministres, plusieurs anciens ministres, ainsi que des magnats de la presse et du BTP.
On n’a pas de nouvelles de Mohammed ben Nayef, le prédécesseur de MbS en tant que prince héritier. Il serait en résidence surveillée, et personne ne l’a vu depuis le mois de juin. Ce ciblage de l'élite traduit une modification des règles du jeu pour passer d’un patriarcat tribal paternaliste à un style de gouvernance plus autoritaire basé sur un seul homme.
Sur le plan intérieur, le prince héritier a promis une série de réformes économiques, dont la mise en Bourse de Saudi Aramco, la plus grosse société pétrolière au monde, colonne vertébrale de l’économie saoudienne, et de réformes sociétales (mais surtout pas sociales) avec la fin de l'interdiction de conduire des femmes dans le royaume.
Il a également lancé Vision 2030, un plan de réforme visant à réduire la dépendance de l'économie saoudienne vis-à-vis du pétrole et à développer les secteurs du tourisme, de la santé et de l'éducation.
Mais la transgression de la règle du consensus qui présidait aux destinées de la dynastie depuis deux générations pourrait surtout avoir des implications au-delà des frontières, en particulier en ce qui concerne les relations saoudiennes avec son rival régional, l’Iran.
Après l’accession de MbS au poste de ministre de la défense et au titre de vice-roi en 2015, puis au rang de prince héritier, Riyad n’a cessé de pratiquer une politique étrangère agressive envers Téhéran. Depuis mars 2015, l'Arabie Saoudite mène au Yémen une guerre contre les Houthis qui seraient soutenus par l'Iran. Début 2016, le pays a annoncé la rupture des relations diplomatiques avec l'Iran.
Mardi dernier 7 novembre, MbS a accusé Téhéran d'avoir fourni au groupe Houthi un missile qui aurait été tiré sur Riyad mais intercepté par les forces de défense aérienne saoudiennes, ce qui pourrait être "considéré comme un acte de guerre". L'Iran a qualifié l'accusation saoudienne de "malveillante, irresponsable, destructrice et provocatrice".
Les tensions entre l'Iran et l'Arabie Saoudite existent depuis la révolution iranienne de 1979, qui a transformé l'Etat Impérial d’Iran en une république islamique. Depuis cette date, l'Arabie Saoudite et d'autres états arabes accusent les Iraniens de vouloir renverser leurs gouvernements respectifs et de vouloir exporter leur révolution.
Jusqu’ici, l'approche consensuelle de la famille royale saoudienne était d’éviter une guerre avec l'Iran, mais la purge effectuée par MbS remet en couse cette position. Or, l'Iran n'est pas un petit pays, c’est une puissance économique réelle qui a sa propre identité et le soutien de sa population.
"Le monde a besoin d'une Arabie saoudite stable et prévisible." a déclaré récemment Robert Baer, un ancien officier de la CIA spécialisé dans les questions du proche-orient. Si les interventions des gouvernements américains successifs jusqu’à aujourd’hui et les déclarations de Trump lors de sa visite au royaume sont une illustration de cette déclaration, on peut se demander si c’est le monde entier ou les compagnies américaines qui ont besoin de l’Arabie Saoudite !
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