Le monde en 2050
Chacun se rend compte qu’un monde se meurt et qu’un autre émerge. Les dirigeants des Démocraties voient leur pouvoir s’effilocher et se réfugient dans le seul rôle de « communicants ». Dans la nouvelle société, quelques anglicismes et une coupe de cheveux idoine permettent de passer pour un maître en modernité. Mais vers quel monde va-t-on ?

La population mondiale en 2013 comptait 7,2 milliards d’individus. Elle sera d’environ 9,5 milliards en 2050. L'Europe compte de l’ordre de 730 millions d'habitants avec la Russie mais sa croissance démographique est faible. L'immigration est de nos jours le principal facteur d'augmentation de la population dans la quasi-totalité des pays occidentaux. Aux Etats-Unis, la population blanche non hispanique ne sera plus majoritaire dès 2050 alors qu’elle représente environ 53% de la population de nos jours. Les chrétiens constituent et constitueront la grande majorité des croyants aux USA. L’Europe voit et verra plus encore sa population changer du fait des apports Africains et moyen-orientaux. Il y a tout lieu de penser que la place de l’islam en France, mais aussi dans la plupart des autres pays européens, ne peut que croître grâce ou à cause des phénomènes d’immigration et des différences de fécondité des populations. À l’échelle mondiale, la population comptera vers 2050 autant de chrétiens que de musulmans.
Aucune hiérarchie entre les Hommes n’est acceptable, ce qui ne veut pas dire qu’on doive refuser de voir les différences. Les religions représentent des absolus, des références, un sacré qui tendent à permettre à chacun de trouver sa propre voie vers la sainteté. La rigueur que cette démarche implique ne permet qu’exceptionnellement la coexistence pacifiée de deux religions par trop différentes quant aux modalités concrètes d’application de leur foi. Mais les occidentaux ne mettent pas en avant leur religion pour séduire mais leurs modes de vie qui acceptent voire prônent toutes les jouissances interdites par d’autres.
Les occidentaux se distinguent également par leurs passés scientifiques et techniques qui ont considérablement contribué au remodelage des sociétés. La démarche scientifique est parfaitement incompatible avec toute croyance. Une observation si elle n’est pas comprise rationnellement n’est pas écartée mais on considère que cette incompréhension n’est que passagère et que le savoir construit permettra d’éclaircir ce qui reste un mystère. Bien que de nombreux scientifiques se disent croyants, il existe globalement une corrélation entre le degré d’avancement scientifique d’une société et l’athéisme. Cette tendance était déjà tout à fait marquée au début du XXe siècle : une majorité des scientifiques américains étudiés avaient alors exprimé de l'incrédulité ou du doute sur l'existence de Dieu. Ultérieurement l’athéisme des scientifiques et de la population générale ne fit que progresser. Beaucoup considèrent que la religion est hors d’âge, mais c’est surtout parce qu’elle demande des efforts pour s’éloigner de la bestialité. Cette vue de la religion comme entrave à l’envie de jouissances se greffe sur le doute rationnel des scientifiques pour contribuer à une baisse significative de la ferveur religieuse dans les pays occidentaux. C’est dans ceux-ci que se déroulèrent pourtant les révolutions scientifiques et industrielles passées les plus importantes : le cadre du doute a permis l’émergence de la raison, d’autres auraient pu l’empêcher. Il n’est pas nécessaire d’être athée pour faire de la science, mais il faut au moins être capable d’écarter toute pensée irrationnelle ou surnaturelle pour en faire.
Toutefois Science et Religion ont un point commun, toutes deux réclament des efforts, l’une pour être savant, l’autre pour devenir saint. Il n’en est pas de même pour les marchands : devenir « riche » nécessite qu’un peu d’habileté et beaucoup d’entregent. Le monde des affaires ne se reconnaît pas de morale ou d’idéologie, il reconnaît cependant la légalité, et suit, lorsqu’il ne peut pas les contourner, les lois édictées. Pour « réussir », des montages financiers compliqués sont construits mais votre succès ne dépend que de votre capacité à convaincre autrui de travailler pour vous : on ne peut pas devenir riche par son seul travail. En 2050 la Science sera sous la coupe des marchands qui vont déifier des propositions économiques pourtant contestables. Deux mondes se juxtaposeront : celui des possédants (pour ne pas dire des riches) qui décideront de l’essentiel et les gens du commun dont une partie sera recroquevillée dans une foi stérile et l’autre préoccupée uniquement de plaisirs immédiats.
Les démocraties traversent une crise existentielle à cause de leur incapacité à prendre des décisions impopulaires mais nécessaires. Ce travers va conduire à la marchandisation complète des sociétés. Les activités seront faites au sein de gigantesques entreprises jouant un rôle de néo-Nation et ne reconnaissant aucune des frontières actuelles. Chaque giga-entreprise aura ses propres codes, ses propres usages, c’est la compétition entre giga-structures qui déterminera les lois générales. L’individualisme sera de rigueur mais l’appartenance à un groupe donné ne pourra que difficilement être remise en cause. L’habileté du système sera de laisser l’espoir à la plupart qu’ils peuvent intégrer le cercle très réduit de l’Eden des maîtres, ceux qui détiennent dans leurs mains du travail accumulé, le travail des autres, la richesse.
Une révolution numérique est cependant annoncée, elle serait sur le point de créer un monde nouveau (avec des Hommes anciens malgré tout). Les découvertes scientifiques mises en œuvre pour cette révolution ont été faites très majoritairement au siècle dernier dans un cadre de recherche et développement classique : le chamboulement sociétal ne relève donc pas principalement de la Science mais plutôt de la technologie, secteur infiniment plus avide de crédits, plus sensible aussi aux injonctions de rentabilité. Les activités du secteur tertiaire, en particulier les services, représentent la plus grande partie des emplois (en France 75% en 2015). Prenons l’exemple des taxis. L’utilisation d’Internet et de logiciels performants peut permettre de faire une offre plus attractive que si vous utilisiez la voie artisanale traditionnelle. Mais ceci restera anecdotique si vous n’appliquez pas des techniques de marketing pour éliminer les structures existantes :
- vous détruisez la relation qui existe entre un bien et son prix en faisant des promotions, des tarifs préférentiels selon diverses conditions, la date, la survenue d ‘événements …
- vous tentez de contourner les législations qui protègent les employés réguliers en prenant des chauffeurs occasionnels
- vous montez des structures qui permettent de minimiser les impôts payés à l’État, les cotisations sociales (que vous aurez d’ailleurs requalifiées en charges sociales) …
En d’autres termes vous allez immensément compliquer les aspects de gestion d’une activité afin que vous puissiez proposer une solution informatique simple aux complications que vous avez vous-même créées. Bien entendu cette captation d’activités est étroitement reliée à une « profitabilité » du capital.
La révolution numérique est donc bien plus d’ordre politique que scientifique ou technique. Tous les secteurs économiques devront se plier à la même logique d’individualisme, ce qui exclut toute espèce de protection obtenue au sein d’un état, de syndicats ou d’associations qui permettent à la multitude des démunis de pouvoir affronter les rares possédants avec quelques chances de succès. Les secteurs du disque, de la télévision, de la musique, du journalisme, du livre … verront leurs modèles changer. L’éducation sera elle aussi profondément transformée avec l’accès à des cours via des vidéoconférences : une poignée de professeurs considérés comme excellents remplacera les éducateurs-fonctionnaires actuels. Les activités de Recherche seront concentrées au sein d’un nombre limité d’Universités considérées comme prestigieuses, les autres n’assurant plus que l’éducation populaire. La police laissera sa place aux vigiles, l’armée aux professionnels de la guerre. Les automobiles autonomes (et « partagées ») élimineront les transports en commun …
Les grands traits du monde de 2050 seront donc : la bipolarisation de la planète entre riches et démunis englués dans des obscurantismes jouisseurs ou religieux, un capitalisme sans alternative, un élitisme échevelé, une homogénéisation des cultures, la concentration du pouvoir au sein des seuls organismes financiers au détriment du politique et donc de la démocratie.
Les réseaux sociaux constituent d’ores et déjà un pouvoir de contestation. La logique des logiciels libres relève bien d’une économie du partage. Cependant, il est raisonnable de penser qu’ils ne pourront exister qu’à la marge du système capitaliste ultra-dominant.
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