Qui émiettera le mille-feuilles administratif français et débrouillera l’empilement et l’enchevêtrement des compétences des multiples échelons ?
A la base, les 36000 communes, puis les syndicats intercommunaux, puis les cantons, puis les arrondissements, puis les départements, puis les régions, puis l’Etat, puis l’Europe, puis les traités internationaux. Peut-être ai-je sauté quelques étages de cette Babel ?
Autant de prés carrés, de fiefs, de baronnies, de Clochemerle, de mandats cumulés, de rivalités picrocholines ( Metz/Nancy, Nantes/St-Nazaire, Charleville-Mézières/Sedan, et le plus souvent dans territoires industriellement dévastés), de Septimanies voulues par un potentat maniaque, de rentes, de clientèles d’obligés, de « Passe-moi le sel, je te passerai le poivre », d’hôtels ***** abritant des assemblées flanquées de services pléthoriques aux fiscalités dévorantes.
Le Monde et Télérama se sont fait une sorte d’exclusivité des offres d’emploi émanant de cette galaxie de collectivités territoriales.
Pour Le Monde, cette source de recettes est plus tolérable que celle qui provient de pages de publicité achetées par certains annonceurs pour vanter, dans une prose nombriliste, l’exemplarité de leurs « produits ».
Dans l’édition du 4 août, une offre s’étale au milieu de la page.
Grenoble-Alpes Métropole recrute un directeur du pilotage de la performance.
Surface du texte : 17 x 16 cm = 272 cm², soit 1/3 de la page.
La femme, ou l’homme, s’occupera de 26 communes, regroupant 400.000 habitants, sur le bien-être et le sort desquels se penchent déjà 800 agents.
Ratio : 1 agent pour 500 citoyens. Les Grenoblois sont pris dans les mailles serrées d’un filet. Souriez, vous êtes suivis !
Le cadre posé, quel sera le boulot de ce « pilote de la performance » à rang directorial ?
L’interminable énumération des missions et responsabilités laisse pantois. Les administrateurs de L’Oréal, de Sony, de Gasprom ou de Mittal n’en demanderaient pas plus à leur futur Directeur Gal.
A croire que le cabinet de recrutement a recopié la table des matières d’un manuel de management.
Qui est « Wanted » ? Un individu au Q.I einsteinien, doublé d’un insomniaque, dopé aux épinards comme Popeye ou à la potion magique dont Goscinny et Uderzo ont gardé le secret.
Sous 11 paragraphes, en petits caractères, la litanie s’égrène : développer, piloter (4 fois cité), assurer, organiser, préparer, fixer, élaborer et, pour finir, rendre compte, sachant qu’au-dessus de ce fonctionnaire siège un directeur-général adjoint, ce qui implique, dans les strates supérieures, un directeur général et, cerise sur le gâteau, un Président.
A ces altitudes, l’oxygène se fait rare. Divagations et délires assurés, même pour un montagnard grenoblois.
Dans cette lévitation hors du temps, de l’espace et des réalités, aucune indication sur le montant de la rémunération, sauf par la bande et de manière indécryptable pour un non-initié : le statut sera celui d’un administrateur titulaire ou contractuel. Motus sur un éventuel bonus.
Soyons beau joueur : « Bienvenue dans le poste de pilotage, Monsieur le Directeur ! Le steward a demandé aux passagers de conserver leur ceinture bouclée. Des turbulences sont prévues. »