Le mythe de l’amalgame et les nouveaux mouvements anticapitalistes
Suite à l’article publié sur ce média il y a quelques jours : "Occident et islam : comment venir à bout de l’intégrisme ?", j’ai voulu apporter une autre grille de lecture concernant cet épineux problème, en élargissant un peu le champ de vision tout en essayant, comme l’auteur de l’article, de "cesser de faire de ce problème un sujet tabou et essayer d’étudier sans passion aucune et sans parti pris les arguments des uns et des autres".
Préambule
En préambule à ce billet je voudrais que nous arrêtions de croire à ce postulat qui voudrait que "à chacun sa vérité", ce qui de mon point de vue est dû à un strabisme de l’esprit, mais que nous essayions plutôt de comprendre que chacun d’entre nous ne voit qu’une des nombreuses facettes d’une même vérité qui ne nous appartient pas car elle fait partie d’un tout qu’il va nous falloir découvrir avec l’aide des autres. Ceci étant dit nous pouvons développer notre propos...
L’évolution des mouvements anticapitalistes
Depuis l’après-guerre (la dernière) jusqu’à la chute du mur de Berlin, la mouvance anticapitaliste était incarnée par des groupes se référant aux idéologies communistes et trotskistes comme les Brigades rouges en Italie, la Bande à Baader en Allemagne, les maoistes (entre autre) en France. Or depuis l’effondrement du mur de Berlin et du bloc communiste, ces différents partis ont perdu leurs référents incarnant l’anticolonialisme et la défense des peuples opprimés du tiers-monde. Cette vacance a vite été occupée, d’une part par le mouvement écologiste mondial comme Greenpeace (voir l’article de Pascal Bernardin sur le mondialisme vert) et le mouvement alter-mondialiste et d’autre part par les mouvements islamistes radicaux, ce qui n’est pas étranger au fait que bon nombre des causes défendues par ces mouvements leur soient communes (soutien au peuple palestinien, anticolonialisme, anticapitalisme, décroissance, consommation de masse).
L’auteur de l’article pré-cité écrit : "Selon les islamistes, la lutte engagée contre l’impérialisme n’est pas une chose circonstancielle, mais une guerre de libération de longue haleine, un combat historique légitime et moralement indispensable, s’agissant de la défense de l’islam, menacé dans sa pureté, par l’invasion de cultures et de modes de vie absolument impies et immoraux d’où le vocable de ’jihad’ utilisé par eux pour donner à leur action une justification religieuse légitime." On y retrouve des éléments qui ne sont pas sans rappeler les thèses tiers-mondistes : "guerre de libération", "un combat historique légitime et moralement indispensable". Le reste de l’argumentaire est par contre un peu plus inquiétant s’agissant de "la défense de l’islam"...
Une thèse alternative
Et si l’origine du problème (terrorisme islamique, combat historique légitime de l’islam) avait une autre cause plus profondément ancrée dans l’origine de l’islam lui-même ? - Ceci n’est qu’une question, une hypothèse de laboratoire, mais en aucun cas une affirmation. Je me dois de proposer cette hypothèse car elle a été soulevée par bon nombre de lettrés, de philosophes et théologiens. Donc permettez-moi sans passion de reprendre les éléments avancés.
Comme le dit l’auteur de l’article, "la civilisation musulmane, par sa richesse, a beaucoup apporté à l’Europe. Que ce soit en mathématiques, en astronomie, en médecine, en physique et chimie, en architecture, en philosophie, elle a énormément contribué à l’évolution du monde occidental". Ceci est tout à fait vrai, du IXe au milieu du XIIIe siècle, le monde arabe rayonnait sur un immense territoire allant de Cordoue jusqu’à Samarcande en passant par la Bagdad de Al-Mansur, d’Al-Ma’mûn et sa maison de la Sagesse. De grands philosophes comme Avérroes, Avicenne, et Maïmonide commentaient Aristote et faisait triompher le logos, "le discours" (textuel ou parlé). Par extension, logos désigne également la "rationalité" (l’intelligence). Mais cette cohabitation intellectuelle entre le savoir et le religieux va très vite être interrompue par les oulemas, et le pouvoir Almohade va assujettir et contraindre la philosophie et le savoir à la religion et faire sombrer l’islam dans l’obscurantisme, le fanatisme et l’intolérance et ce jusqu’à nos jours. Des philosophes comme Avérroes et Maïmonide doivent alors s’exiler. Les schismes et les divergences religieuses finiront de consommer l’âge d’or des lumières de l’islam.
Un premier élément avancé par un philosophe français : "Comme jadis avec le communisme, l’Occident se retrouve sous surveillance idéologique. L’islam se présente, à l’image du défunt communisme, comme une alternative au monde occidental. À l’instar du communisme d’autrefois, l’islam, pour conquérir les esprits, joue sur une corde sensible. Il se targue d’une légitimité qui trouble la conscience occidentale, attentive à autrui : être la voix des pauvres de la planète. Hier, la voix des pauvres prétendait venir de Moscou, aujourd’hui elle viendrait de La Mecque ! Aujourd’hui à nouveau, des intellectuels incarnent cet œil du Coran, comme ils incarnaient l’œil de Moscou hier. Ils excommunient pour islamophobie, comme hier pour anticommunisme." Ce qui corrobore le propos de l’auteur concernant "la guerre de libération contre l’impérialisme des islamistes". Pour ceux qui souhaitent lire le document intégral voir ici.
Autre élément avancé par un théologien : "Le dialogue s’étend à tout le domaine de ce qui est écrit dans la Bible et dans le Coran au sujet de la foi ; il s’intéresse en particulier à l’image de Dieu et de l’homme, mais aussi au rapport nécessaire entre les ’trois Lois’ : Ancien Testament - Nouveau Testament - Coran. Dans mon exposé, je ne voudrais traiter que d’un seul aspect, un aspect en lien avec le thème ’foi et raison’ qui m’a fasciné et me sert d’introduction à mes réflexions sur ce thème. Dans le 7e dialogue édité par le professeur Khoury (‘dialexis’, ’controverse’), l’empereur en arrive à parler du thème du ’djihâd’ (guerre sainte). L’empereur savait certainement que dans la sourate 2, 256, il est écrit : ’Pas de contrainte en matière de foi’ - c’est l’une des sourates primitives datant de l’époque où Mohammed lui-même était privé de pouvoir et se trouvait menacé. Mais l’empereur connaissait naturellement aussi les dispositions inscrites dans le Coran - d’une époque plus tardive - au sujet de la guerre sainte." Ce texte est extrait de discours du pape Benoît XVI à Ratisbonne. Pour ceux qui souhaitent consulter le document dans sa totalité, environ six pages, voir ici.
Ces deux textes ont déclenché à l’époque de vastes mouvements de protestation de la part de nombreux partis musulmans qui n’ont fait que déployer un énorme nuage de fumée tentant de nous cacher une question qui en soi n’était pas inutile à poser, quelle qu’en fût la réponse. Essayons aujourd’hui de relire sereinement ces textes qui, pour celui de Benoît XVI, est de haute volée philosophique traitant du rapport entre foi et raison. Quant à celui de Redeker, il n’est que la constatation de faits d’actualité ("le string à Paris plage") ou de faits historiques reconnus, sur lesquels il nous donne son analyse, qui n’est que ce qu’elle est, c’est-à-dire son analyse ; il n’hésite pas au passage a épingler l’Eglise catholique sur les pages obscures de son histoire qui sont là aussi des faits historiques reconnus de tous.
Le mythe de l’amalgame
Il est bien sûr fondamental et nécessaire dans toute analyse de ne pas faire d’amalgame entre l’islam et les mouvements islamistes, entre terroristes et musulmans, ce contre quoi je me suis toujours défendu. Mais à l’inverse n’y a-t-il pas une tentation de se servir du mythe de l’amalgame à contresens ? - Car bien sûr le monde musulman et même l’autorité palestinienne condamnent tous les attentats terroristes mais dans aucun pays nous n’avons vu de longues manifestations marquer leurs désapprobations, à part peut-être au Liban mais la mosaïque confessionnelle de ce pays en est peut être la cause.
L’amalgame opère aussi au niveau des Etats, lorsque l’auteur de l’article susnommé nous dit : "...les menaces actuelles contre les régimes syrien et iranien, n’apporteront à coup sûr aucun résultat positif et ne feront qu’attiser encore davantage la haine et approfondir le fossé qui sépare l’Occident et les musulmans." L’article du Monde sur le dernier rapport de l’AIEA et ce reportage nous amènent à constater qu’il y a bien aussi un terrorisme de certains Etats islamiques, comme l’Iran et ses menaces et la Syrie pour ses nombreux assassinats de personnalités de l’opposition au Liban, sans compter celui de la République islamique du Soudan qui a armé et commandité les milices islamistes qui ont exterminé 300 000 personnes depuis avril 2003 au Darfour.
Alors relisons maintenant l’article "Occident et islam : comment venir à bout de l’intégrisme ?" que je trouve admirable par ailleurs, mais certaines envolées lyriques semblent quelque peu angéliques, voire poétiques, à défaut d’être réalistes, concernant certains passages :
"...pression exercée par ces mêmes Occidentaux sur certains jeunes Etats progressistes arabes" (! ?) Quels sont ces Etats ?
"Les islamistes considèrent que la création de l’Etat d’Israël et de certains régimes arabes comme la Jordanie et quelques mini-Etats du Golfe n’est tout simplement qu’une implantation d’avant-postes de l’impérialisme au Moyen-Orient." Il est à noter que la dynastie fondamentaliste de l’islam des Almohades ne laissera aux juifs que le choix entre la conversion et la mort, ceci de 1140 à 1145 soit trois siècles avant l’Inquisition. Ce qui démontre que l’aversion à l’encontre des juifs par les musulmans ne date pas de 1948 mais fait partie intégrante de son histoire. Mais bon, détruisons Israël, la Jordanie, le Koweit, éventuellement l’Arabie Saoudite, des fois que cela calmerait les velléités islamistes...
"Nous l’avons déjà dit, le monde musulman vit aujourd’hui une autre ère, un renouveau plein d’espoir d’émancipation et de liberté." Comment interpréter ce renouveau, par le vote du Parlement turc concernant le voile islamique à l’université, par les menaces iraniennes concernant la destruction de l’Etat d’Israël et l’arme nucléaire, par les attentats du 11/9/2001, par la prise du pouvoir par les armes du mouvement fondamentalisme Hamas à Gaza, par les provocations de ce même Hamas et les tirs journaliers de roquettes Qasam, par les provocations du Hezbollah qui ont déclenché la guerre au Liban en juillet 2006 (voir ce reportage de l’époque), par les événements en Somalie, en Mauritanie ?
Je retourne la question à l’auteur "Occident et islam : comment venir à bout de l’intégrisme ?" Je ne pense pas que la seule réponse qu’il en donne ("le moyen le plus efficace de combattre l’intégrisme et donc le terrorisme, c’est de le devancer et de tendre la main aux vrais leaders des jeunes générations arabes pour la mise en place de régimes réellement démocratiques") soit suffisante à régler ce grand problème du dialogue entre l’Occident et l’Orient islamique.
Je crois plutôt que c’est la femme musulmane qui incarne l’avenir de l’islam car elle porte en elle les futures générations et enseignera à ses enfants le combat qu’elle aura dû mener pour se libérer de l’obscurantisme qui l’a opprimée depuis des siècles et ainsi réconcilier la foi et la raison que l’islam a perdu au milieu du XIIe siècle. Alors peut être que l’islam et le monde arabe retrouveront la place qu’ils occupaient à l’âge d’or de Samarcande, de Bagdad, et de la Cordoue du IXe siècle.
En conclusion
Comme je l’ai dit en préambule à ce billet, je ne prétends détenir aucune vérité si tant est qu’il y en est une et une seule, mais plutôt présenter une des facettes de cette vérité multiple, la facette qui m’est donnée de voir et que je vous offre. Cette vision n’est en aucun cas contradictoire avec la vision de l’auteur de l’article "Occident et islam : comment venir à bout de l’intégrisme ?" mais a simplement pour but que d’essayer d’apporter ma pierre à notre édifice commun qu’est la construction du monde de demain. Si toutefois les divinités atomiques et nucléaires nous en laissent le temps...
Mars 2008.
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