Le mythe du Pactole

Terre vue de la Lune, Bill Anders, mission Apollo 8 , 23 décembre 1968
« To see the earth as it truly is, small blue and beautiful in that eternal silence where it floats, is to see ourselves as riders on the earth together,
brothers on that bright loveliness in the eternal
cold—brothers who know now they are truly brothers »
« Contempler la Terre telle qu’elle est réellement, petit joyau bleu flottant dans un silence éternel,
c’est réaliser que nous sommes des passagers solidaires de la Terre,
frères pour l’éternité sur cette beauté multicolore au milieu du froid éternel,
frères qui réalisent maintenant qu’ils sont vraiment frères. »
Archibald McLeish, New York Times, 24 décembre 1968.
Le Pactole, vous connaissez ? Je mets une majuscule à dessein, car on parle bien d’un nom propre ici. Pour en savoir plus, il faut revenir plusieurs siècles en arrière.
Le Pactole était un fleuve d’Asie Mineure, en Lydie (et non pas Lybie !) c’est-à-dire dans la Turquie d’aujourd’hui. Sa principale caractéristique, à part amener de l’or bleu (l’eau) à des populations qui en avaient besoin, était d’être aurifère. La géologie sait expliquer la présence d’or dans les rivières (il y en a même dans le Rhin qui coule à deux cent mètres de chez moi), mais à l’époque, on expliquait cela par une légende.
Le roi Midas s’était vu exaucer un vœu, pour "bons et loyaux services" dirions nous aujourd’hui. Pas mal non ? Aujourd’hui on a un ruban et une médaille, à l’époque c’était autrement plus classe. Et donc la roi a demandé une chose toute simple. Non pas une voiture de sport (ou un char sportif), ou plein de belles femmes (je ne sais pas si le harem était une institution chez ces gens là) ni même plein d’or.
Il a trouvé LE truc : il a demandé que tout ce qu’il touche devienne or. Vous imaginez ? C’est génial ! Pas forcément bon pour l’inflation, mais on ne va pas s’arrêter aux détails. Ah tiens, si.
J’ai salué ce vieux Idassos, ce pote de trente ans qui est venu me réciter des compliments au saut de mon lit. Ben il s’est changé en or ! Merde Alors ! Et la pomme que je voulais manger ? Itou ! Tu parles que maintenant on m’appelle "Monseignor" derrière mon dos ! Bon celle-là on la replacera plus tard... On la laisse de côté pour M. Oury, Gérard, pas encore né.
Très vite les inconvénients apparaissent dans toute leur splendeur resplendissante. L’or ca ne se mange pas, ce ne s’embrasse pas, ca ne parle pas. Ca rend fou ! Et comme les lunettes de soleil n’étaient pas encore inventé, Midas a du frôler la cécité.
Revenant à la raison, le Roi demanda donc aux dieux de le défaire de son encombrante disposition. On lui demanda alors de se laver les mains (source de son pouvoir) dans le fleuve voisin, le Pactole. Depuis ce jour, le fleuve charriait donc de grandes quantités d’or, assez en tout cas pour asseoir le pouvoir de l’un des successeurs de Midas, nommé Crésus. Eh ben voilà, on y arrive !
Le Pactole, depuis ce temps, désigne une source inépuisable de richesses, et Crésus un homme immensément riche.
Inépuisable : le mot est lâché. Sans verser dans le malthusianisme, je ne suis pas entièrement d’accord avec les chantres de la technologie, qui voudraient que l’on trouverait toujours des ressources. Exemple du pétrole : certes, le forage horizontal a permis d’exploiter des réserves que l’on croyait inaccessibles il y a à peine trente ans (quand on nous prévoyait trente ans de réserves).
Et le prix croissant de l’or noir a permis d’exploiter de nouvelles réserves au coût d’exploitation nettement plus élevé que dans le Golfe Arabo-Persique : la Mer du Nord, l’Alaska et, plus récemment, les sables bitumineux d’ l’Alberta. Si le prix du pétrole continue de grimper, peut-être arrivera-t-on un jour à réouvrir les mines de pétrole d’Alsace (les premières de l’histoire industrielle, bien avant le derrick du colonel Drake) !
Donc, pour ces économistes, c’est la raréfaction croissante des ressources qui va doper l’extraction de ses ressources : les technologies seront disponibles, dopées par l’appât du gain (pour résumer) et ouvrir une mine au fin fond du Sahara ou de l’Arctique deviendra rentable.
Notez que mon raisonnement est biaisé : en effet, la géologie est une science en développement, et beaucoup de zones n’ont pas été cartographiées. Peut-être y a-t-il un endroit sur cette Terre ou un immense gisement de fer nous attend avec des concentrations en minéral tout à fait intéressantes.
Mais cela ne fait que retarder l’échéance. Faudra-t-il un jour revenir sur le traité de l’Antarctique qui en fait un continent réservé à la science ? Nous laisserons-nous tenter par les gisements houiller de la chaîne Transantarctique (qui prouvent d’ailleurs que la zone était sous climat tropical il fut un temps) ?
La Terre est en soi un monde fini, la photo prise par Bill Anders, de l’équipage d’Apollo 8 nous le montre assez clairement. Le contraste avec la surface de la Lune, stérile et morte est saisissant. Certains optimistes délirants diront que la Lune et Mars seront colonisées. Soit. Mais quand ?
Il parait qu’on trouverait du tritium à foison sur la Lune. Le tritium ? Vous savez, cet élément chimique qui nous permettrait d’alimenter nos futures centrales à fusion et disposer ainsi d’une énergie inépuisable. Oui, soit. Mais comment l’exploiter, cette Lune ? Savez vous combien d’énergie a été nécessaire pour déposer deux hommes sur la Lune avec leur matériel ? Et le tout ne devait pas excéder une vingtaine de tonnes. Et Saturn V, la fusée qui l’a propulsé, ce module lunaire ? Plus de 3000 t. Et combien pour installer une base complète, avec matériel d’extraction du tritium ?
Sans compter les risques. Le programme Apollo s’est déroulé en pleine guerre froide. c’était un combat militaire autant que scientifique, et les trois astronautes d’Apollo 1 ont été sacrifiés sur cet autel. Au sol, leur cabine a pris feu. Et comme l’atmosphère était enrichie en oxygène dans la capsule...
Et que dire du voyage dans l’espace ? Les récentes interrogations sur la reprise du programme lunaire étasunien ont donné des sueurs froides a posteriori. Les risques de l’espace sont bel et bien présents : météorites, éruptions solaires dont nous protège l’atmosphère... Et sur la Lune, la poussière, le régolithe, est un abrasif redoutable. Au bout des sorties lunaires d’Apollo 16 et 17, les combinaisons étaient si usées qu’elles étaient au bord de la fuite. Et qui dit fuite...
Osera-t-on envoyer des astronautes dans de telles conditions ? Alors que l’on souffre à chaque perte en Irak ou en Afghanistan ? Et tout cela pour quoi ? Pour assouvir notre soif de croissance et de consommation ?
Vous me direz, c’est ce qu’on a toujours fait, non ? On a fait crever les Indiens dans les mines d’argent du Potosi, les esclaves Noirs pour avoir de quoi sucrer nos palais. Alors pourquoi ne pas envoyer des astronautes mourir dans l’espace pour récupérer du tritium ?
Et si on se disait une bonne fois pour toutes que la technologie peut nous aider, mais nous pouvons aussi l’aider en économisant les ressources ? La fusion nucléaire, c’est pas pour demain, alors en attendant, on a le nucléaire dont on ne sait toujours pas gérer les déchets, le charbon et le fuel qui polluent, le gaz un peu moins mais qui n’est pas renouvelable, la biomasse qu’il faut gérer de manière durable, l’éolien et le solaire qui sont intermittents et l’hydraulique qui peut se traduire par le déplacement de millions de personnes et la destruction d’écosystèmes indispensables. Alors arrêtons la gabegie !
Dans mon immeuble, je vois des gens qui ont le radiateur allumé à fond en plein hiver (il fait 22 à 23 ° chez eux) et qui ouvrent ensuite les fenêtres. En gardant le radiateur allumé !
Et que dire de ces gens qui viennent au drive en voiture et restent ensuite sur le parking, moteur allumé pour avoir du chauffage ? Le restaurant est ouvert et chauffé, vous savez, autant venir en profiter ! Et ces enseignes toujours allumées, même à la fermeture du restaurant ou du commerce ? Ah, oui, c’est pour appâter le chaland ! Lequel ? Celui qui passe à deux heures du matin ? Soyons sérieux !
J’ai du mal à faire comprendre à mon propriétaire qu’il faudrait qu’il change le modèle de chasse d’eau. Oui, c’est trivial, mais ce n’est qu’un robinet qu’il faut laisser couler deux minutes à chaque fois pour évacuer les "indésirables". Alors qu’une chasse d’eau "moderne" n’utilise que 5 litres d’eau. Mais il s’en fout, l’eau c’est si abondant !
Je pourrais multiplier les exemples à l’infini. Il ne s’agit pas de "culpabiliser" les gens, mais de les sensibiliser, de leur démontrer la finitude de notre monde, qui leur paraît si abstraite vu de leur coin. L’énergie bon marché à vécu. La preuve : il devient rentable d’exploiter du pétrole par -50 °C. Pour qu’on puisse se balader en T-shirt dans un appart surchauffé en hiver... Rien que cette image est absurde.
La Terre est tout sauf un Pactole. Ses ressources ne sont pas inépuisables. Un jour ou l’autre viendra où l’on ne verra que des terres devenues stériles, des gisements épuisés, des poches de pétroles vides à force de les voir pressurées avec nos nouvelles technologies. Reste à savoir si ce sera pour nous, nos enfants, nos petits-enfants. Je gage que ce ne sera pas pour nous. En tous les cas, nous sommes de sacrés égoïstes.
Ah, oui, au fait, le Pactole n’existe plus. Sous l’effet des mouvements tectoniques qui ont bouleversé le paysage de cette région, le fleuve a été réduit à un torrent. Un présage ?
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