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Le pain bénit de Sarkozy

  Pour Nicolas Sarkozy l’affaire Mérah est tombée à point nommé : c’était du pain bénit. Il n’a pas perdu de temps pour en faire une exploitation médiatique, en livrant dans la foulée à la crédulité populaire des djihadistes d’opérette arrêtés de façon musclée – et pour la plupart vite libérés, et pour cause en catimini - pour tenter de faire croire aux Français que leur sécurité était son affaire ! Mais cette opération télévisée insane et perverse, qui a amené sur les lieux des arrestations des journalistes armés de caméras et de micros avant même l’arrivée des policiers, a eu un double effet négatif. Le premier a été de jeter le soupçon d’incapacité et le discrédit sur la DCRI et autres services de police concernés, auxquels Alain Juppé ne fut pas le dernier à jeter la pierre en parlant de « failles » dans le système sécuritaire. Le second a été d’exacerber les ressentiments d’un grand nombre de musulmans, qui se sentaient déjà stigmatisés et supportaient mal d’être mis à l’index par l’évocation de la viande hallal fort médiatisée, campagne électorale oblige. 

 En réalité, avec sa politique de gribouille, Nicolas Sarkozy a engagé la France dans une situation dangereuse dès le moment où il a décidé d’aller bombarder la Libye afin d’éliminer Mouamar Kadhafi. Car celui-ci avait de toute évidence fait de son pays un verrou de la sécurité de l’Europe, de la Méditerranée et d’une grande partie de l’Afrique face aux menées d’Al Qaïda, en l’occurrence les bandes armées d’Aqmi, du fait que la Libye était d’une part interdite à ces organisations et que par ailleurs elle constituait un terminus des flux migratoires – hélas ! propices aux infiltrations terroristes - et une terre d’accueil prospère où s’étaient installés et travaillaient un million et demi d’immigrés en provenance d’Afrique ou du Maghreb.

  Il est regrettable qu’Alain Juppé, pourtant qualifié au cours d’un entretien télévisé de « grand ministre des Affaires étrangères » par Philippe Douste-Blazy, qui fut un de ses prédécesseurs, ait manqué de jugement, n’ait pas pris en compte ces deux données concernant la Libye et ait globalement considéré les événements du monde arabe sans le discernement qui convient au chef de la diplomatie d’une puissance telle que la France. En vérité, son regard sur le monde arabe a été biaisé par celui de Bernard-Henri Lévy, lequel l’avait précédé en Libye et avait dicté la voie à suivre à Nicolas Sarkozy. Depuis, il a orienté son discours politique sur le monde arabe en un seul sens et s’est limité à crier haro sur le dictateur, de Kadhafi à Assad, en passant par Saleh et Moubarak, lesquels devaient déloger de gré ou de force pour faire place à la démocratie. Apparemment sans se soucier de savoir qui était derrière « les révolutions arabes », mais sans doute en le sachant fort bien, puisqu’il est de ceux qui soufflent sur le feu et souhaitent un embrasement du monde arabe susceptible de faire sombrer celui-ci dans l’obscurantisme, de compromettre sa marche vers le progrès auquel aspirent ses peuples et de le maintenir à la remorque de l’Occident, de sorte que des Claude Guéant puissent proclamer sans peur et sans vergogne que la civilisation arabo-islamique est inférieure ! Car, contrairement à ce qu’ont pu soutenir les Sarkozy, les Juppé et leurs thuriféraires, en profitant de la caisse de résonance de médias totalement acquis à leurs idées, il n’y a pas de révolution démocratique en cours dans le monde arabe, étant donné que les démocrates arabes sont une espèce rare et que leurs mouvements disparates constituent une quantité négligeable face à la capacité de mobilisation des dictatures en place, mais surtout face aux forces et à l’organisation des mouvements religieux qui, eux, forment de fait l’essentiel de l’opposition. Les démocrates sont assurément incapables de provoquer un soulèvement populaire, à plus forte raison armé. En vérité, alors qu’ils étaient - ou sont encore – brimés par la dictature des militaires, ils sont même menacés d’extinction totale par l’arrivée au pouvoir des islamistes ; lesquels luttent pour la restauration du Califat et l’instauration de la charia et sont les vrais fauteurs et les bénéficiaires des révoltes que les médias ont nommées de façon incongrue « Printemps arabe ».

  Il est regrettable que Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, l’UMP entière, mais aussi le Parti socialiste, aient pu croire qu’ils pouvaient faire fleurir la Démocratie en terre arabe par la force des bombes tout en s’alliant avec des émirs tels que Hamad al-Thani du Qatar, et autres rois de la péninsule arabique, lesquels sont autant de féodaux fanatiques, ennemis féroces des principes de liberté, d’égalité et de laïcité, en bref de l’idée même de République, que les islamistes qu’ils financent généreusement s’attèlent quant à eux à éradiquer partout où ils réussissent à s’implanter.

 En se lançant dans l’aventure libyenne, Nicolas Sarkozy a honteusement menti aux Français : il n’a pas volé au secours de civils en danger. Pas plus qu’il n’a voulu défendre les valeurs de la France ; lesquelles, du reste, n’étaient menacées en aucune manière. Et puis, il faut bien le dire et le répéter : libérer les Libyens de Kadhafi fut pour lui une opportunité et un prétexte saisi au bond dans le but de remonter la pente vers une réélection présidentielle, de toute façon irrémédiablement compromise, en tentant de donner l’illusion aux Français qu’il engageait la France dans un combat pour la liberté afin de « lui restituer sa place et son rôle de grande puissance ». En vérité, ce qui se passe en Libye à présent ne l’intéresse ni de près ni de loin. Il s’en moque totalement, et cela montre qu’il a voulu faire sa guerre - parce qu’il fallait bien qu’il fasse quelque chose du fait qu’il n’a rien fait pour la France ! - afin de laisser une trace dans l’Histoire. En bombardant la Libye et éliminant Kadhafi, avec le concours de l’OTAN sans laquelle l’entreprise eût été impossible, il a de fait prêté main-forte aux djihadistes, auxquels il a livré les civils libyens qu’il avait prétendu à cor et à cri vouloir défendre. Ceci est tout simplement ignoble ! D’autant plus ignoble que son intervention s’est soldée par la destruction du pays le plus prospère d’Afrique et qu’il a provoqué du même coup une grande catastrophe en favorisant le surgissement sur l’autre rive de la Méditerranée d’une sorte de nouveau et vaste Afghanistan, avec lequel tous les pays riverains du Sahel auront fort à faire et où la France risque de se voir impliquée de la façon la plus tragique. Et pourtant, le Président du Tchad, Idriss Deby Itno, avait lancé un avertissement dans une interview pour le moins prophétique accordée à l’hebdomadaire Jeune Afrique voilà exactement un an. Il y avait confessé les inquiétudes que lui causait l’intervention armée de l’OTAN. Il affirmait notamment : « Cela relève d’une décision hâtive qui peut avoir de lourdes conséquences en matière de déstabilisation régionale et de dissémination du terrorisme en Europe, en Méditerranée et en Afrique…  Si la Libye implose, les conséquences seront incalculables… Les islamistes d’Al-Qaïda ont profité du pillage des arsenaux en zone rebelle pour s’approvisionner en armes, y compris en missiles sol-air, qui ont été par la suite exfiltrés dans leurs sanctuaires du Ténéré. C’est très grave. Aqmi est en passe de devenir une véritable armée, la mieux équipée de la région ».

  Les prédictions du Président tchadien se réalisent et le Mali est le premier pays à être tombé dans les mires d’Aqmi, qui en contrôle déjà, en partage avec les salafistes touarègues, la moitié septentrionale. Et, tandis que dans les pays frontaliers frappés de stupeur, les gouvernants s’évertuent à conjurer les malheurs et prévenir les menaces, en France Nicolas Sarkozy tente quant à lui de relancer et redoubler l’émoi des Français en jetant dans la balance électoraliste tout le poids des effets psychologiques des massacres commis par Mohamed Mérah à Montauban et Toulouse. Et, sans se soucier de la disproportion et de la démesure il a rapproché ces effets à ceux de l’attentat dévastateur du 11 septembre 2001 qui avait frappé l’Amérique au cœur et consterné l’Occident. Bien sûr, il ne pouvait concevoir que l’affaire Mérah est en quelque sorte un retour de boomerang et en tout cas un signe précurseur des conséquences de son intervention en Libye. Celles-ci sont d’autant plus inquiétantes que la prise de villes telles que Gao ou Tombouctou par les djihadistes d’Aqmi, qui ont aussitôt instauré la charia, est aux yeux des salafistes et autres fanatiques disséminés à travers le monde une grande victoire. Et le nombre de ceux qui rêvent d’une société soumise aux prescriptions du Coran risque fort de faire un bond dont nul n’est en mesure d’appréhender les dimensions du fait que l’interdiction de consommer de l’alcool, l’amputation de la main des voleurs, la lapidation des femmes adultères et l’instauration de la polygamie, sont les aspirations ordinaires du plus commun des croyants. Et quand on sait que celles–ci forment les fondements et l’essentiel de la pensée des djihadistes d’Aqmi (en majorité des rescapés de l’AIS et des GIA qui avaient sévi en Algérie dans les années 1990) et de ceux qui forment le gros des miliciens libyens, et que dans les deux cas il s’agit de criminels sans foi ni loi, dont Mohamed Mérah ne fut qu’un épigone isolé, l’on imagine aisément la calamité qui est en train de s’abattre sur la très vaste région impliquée, qui s’étend de l’Atlantique à la Corne d’Afrique.

 Et, quand on connaît toute la haine qui bat dans les cœurs d’un grand nombre d’Africains et de Maghrébins à l’endroit de la France, pour cause de colonialisme et de néo-colonialisme, et qui a été aggravée par la politique outrageusement arrogante, insensée, inique, pour tout dire criminelle de Sarkozy à l’endroit du monde arabe, l’on imagine tout aussi aisément les graves problèmes que devra affronter et résoudre son successeur afin de restituer à la France la sécurité qu’elle connaissait depuis 1995 et la mettre à l’abri du péril islamiste dont la montée est loin d’avoir cessé avec la mort de Ben Laden. Bien au contraire. La prise de Gao et la partition du Mali ne laissent pas de doute et ne favorisent pas l’optimisme. Elles indiquent que le tunnel est encore long. Et même bien long.

Mokhtar Sakhri


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2 réactions à cet article    


  • xray 13 avril 2012 16:08


    Mohamed Merah. 

    Mais, qu’est-ce qui vous fait croire que le rôle des services est de lutter contre le terrorisme ? 
    C’est à l’école que l’on vous a mis en tête toutes ces conneries ? 

    Pour croire à la version officielle, il faut vraiment prendre à la lettre toutes les affirmations des professionnels du mensonge. 


    Mohamed Merah n’était pas seul. 

    Il était connu des services. Il était manipulable. Il a été manipulé ! 
    Cette manipulation a servi Sarkozy. 

    Sarkozy sera réélu. Les US ont besoin de lui pour porter la guerre en Syrie et en Iran. 

    Les tueries de Montauban-Toulouse 
    (Une tricherie électorale à l’américaine) 
    http://n-importelequelqu-onenfinisse.hautetfort.com/archive/2012/04/10/mohamed-merah-une-tricherie-electorale-a-l-americaine.html 



    • cilce92 13 avril 2012 17:57

      Excellent article, merci à vous.

      Vive l’Afrique !

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