Le paradoxe des pays émergents, exportateurs de pétrole et de matières premières dans la croissance de l’économie mondiale
Depuis le « dopage monétaire » par les politiques monétaires non conventionnelles, les liquidités injectées, pour contrer la crise financière de 2008, restent pour beaucoup incompréhensibles. Des économistes de tout bord s’insurgent contre ce processus de création monétaire ex nihilo opéré par la Réserve fédérale américaine, suivie par la zone euro, la Grande-Bretagne et le Japon. Le gouverneur de la Banque centrale de Chine, Zhou Xiaochuan, et l’ancien ministre de l’économie brésilien, Guido Mantega, sous les gouvernements de Lula da Silva et de Dilma Rousseff (2006 à 20014), ont critiqué ouvertement ces politiques monétaires. Pourtant ces politiques ont rendu d’immenses services à l’économie mondiale. On ne peut disconvenir que les les Banques centrales ont opéré dans un contexte international difficile. Elles n’ont utilisé ce mode de financement que parce qu’elles n’avaient pas d’alternative. Sauver les systèmes bancaires et faciliter la reprise économique étaient un impératif. Combien même le dopage monétaire a duré sept années années, les difficultés financières et l’endettement qui a surgi pour nombre de pays, la Grèce, l’Espagne, le Portugal notamment, et tant d’autres pays occidentaux qui ont pâti de la crise financière, sont toujours des facteurs qui retardent la croissance. Qu’en est-il de cette situation financière complexe du monde ?
1. Les mécanismes de la création monétaire par les banques
Tout d’abord, faisons un bref exposé de la création monétaire. Aussi posons la question : « Qui crée de la monnaie ? » La plupart des gens usent de l’argent mais ne savent pas que souvent ce sont eux qui créent indirectement l’argent en s’octroyant des crédits par leur banque. La banque ne fait que les accompagner dans la création monétaire en leur accordant un crédit contre, par exemple, une garantie (hypothèque, titres, etc.). Et les banques commerciales qui sont habilitées à recevoir de l’argent (dépôt) le sont aussi pour l’octroi de crédit. Le mécanisme de création monétaire trouve son origine dans les crédits accordés par les banques. Dans les faits, lorsqu’une banque consent un crédit à un client donné, en contrepartie d’une créance (titres immobiliers, obligations, etc.) qu’elle enregistre comme actif dans son bilan, le client dispose d’un dépôt à vue dans cette banque, égal au montant à la somme prêtée, et enregistré comme un passif puisque la banque doit ce montant à son client. Il y a donc création de monnaie : la banque n’a pas ponctionné dans ses réserves pour prêter le montant à ce client, elle a inscrit une créance dans son bilan. Lorsque le client rembourse le crédit, la banque efface la créance de son bilan. Il y a destruction de monnaie, ce qui montre que le processus de création monétaire est provisoire. Il n’y a création nette de monnaie que lorsque les nouveaux crédits l’emportent sur les crédits remboursés. Les banques commerciales n’ont pas pour seuls clients des particuliers, elles accordent aussi des crédits aux entreprises et à l’Etat. En échange de créances publiques (bons de Trésor) garanties par l’Etat, elles accordent des crédits au Trésor. Un autre moyen de création monétaire pour les banques est l’échange de devises. Un particulier ou une entreprise peut demander à une banque d’échanger ses devises en monnaie locale. En contrepartie de la création monétaire, la banque va acquérir une créance sur le pays émetteur de cette devise étrangère. Enfin la Banque centrale crée aussi de la monnaie. Lorsque les banques commerciales ont besoin de monnaie pour leurs transactions, ou pour constituer des réserves, elles cèdent des titres (bons de Trésor, créances éligibles) à la Banque centrale qui, en échange, crédite leur compte. De même, lorsque le solde de la balance commerciale d’un pays est excédentaire, la Banque centrale crée de la monnaie en contrepartie de l’entrée nette de devises, et inversement en cas de déficit commercial. La demande de crédit, et donc de la création monétaire, suit de près l’activité économique. En période d’expansion, la masse monétaire, dopée par les investissements et les dépenses des agents économiques, va augmenter, et inversement en période de repli de l’activité. Pendant les « Trente Glorieuses », i.e. après la Deuxième Guerre mondiale, période de la reconstruction de l’Europe et de remise à niveau, des pays du reste du monde (Asie, Afrique, Amérique du Sud…) qui ont édifié ou consolidé leurs États, pour beaucoup sortis de la colonisation, cette période a été très favorable à la croissance économique mondiale. Durant ces années, la politique monétaire a servi de levier pratiquement pour tous les pays pour soutenir leurs économies. L’inflation était moyennement maîtrisée dans les années 1960, autour de 5 % pour les pays riches, mais les deux chocs pétroliers des années 1970 vont remonter fortement l’inflation suite aux crises monétaire en Occident. Après une décennie de stagflation, i.e. une situation de hausse du chômage et d’inflation, les politiques keynésiennes perdant de leur effet, un consensus s’est dégagé au sein des pays riches pour concentrer la politique monétaire sur la lutte contre l’inflation. Ce consensus est toujours actuellement au cœur des politiques monétaires des Banques centrales émettrices des principales devises internationales (dollar, euro, livre sterling et yen). Et le principal instrument de la Banque centrale est la modulation des taux d’intérêt. En augmentant ou en baissant son taux directeur, la Banque influe sur le coût de refinancement des banques commerciales sur le marché monétaire, dans lequel s’échangent des titres à court terme contre de la « monnaie banque centrale ». La Banque centrale peut également jouer sur le taux de réserve obligatoire imposé aux banques commerciales : plus celui-ci est élevé, moins la masse de crédits accordés aux agents économiques sera importante, et inversement. Enfin, la Banque centrale utilise aussi les opérations d’open-market qui consiste à l’achat ou à la vente de titres, particulièrement les bons de Trésor, sur le marché interbancaire, afin de faciliter l’obtention de liquidités ou de les ralentir. Si elle injecte des liquidités, la Banque centrale fait baisser les taux d’intérêt et facilite les conditions de crédit, et inversement si elle les retire. Après ce bref exposé, regardons ce qui s’est passé lorsque la crise financière a éclaté aux États-Unis, à l’été 2008, suite à la crise des « subprimes » (crédits hypothécaires à risque), en 2007. Les banques américaines, truffées de subprimes dans leurs bilans, ont arrêté de se prêter entre elles. La méfiance entre les banques, le volume de créances irrécouvrables, les pertes financières considérables ont obligé les pouvoirs publics tant aux États-Unis que dans le reste de l’Occident à venir au secours à leur systèmes bancaires.
2. Rétrospective : Quantitative easing : QE1, QE2, QE3
Quand les banques ne se prêtent plus entre elles, il y a un risque de « crédit crunch », i.e. une pénurie de crédit, et par conséquent une hausse des taux d’emprunt, et un besoin fort de garanties pour obtenir un prêt. Et, pour favoriser les prêts, la Réserve fédérale américaine (Fed) a baissé le taux d’intérêt directeur à son plancher, à 0,25% le 16 décembre 2008. Face à à une situation exceptionnelle, les Banques centrales qui voient leur outil traditionnel, le taux d’intérêt directeur perdant d’efficacité, n’ont plus que les liquidités pour venir au sauvetage de leurs banques. Il était nécessaire de casser cette méfiance entre banques, et libérer les crédits pour l’économie, et le seul moyen a été le refinancement des banques. Et c’est ainsi que la Banque centrale américaine se mit à lancer des programmes de rachat de titres auprès de ses banques. En achetant des bons de Trésor américain, européen, et des créances hypothécaires (subprimes MBS), la Fed, par la création monétaire (planche à billet), augmenta les réserves des banques, ce qui permit une baisse des taux d’intérêt interbancaire et stimula l’octroi des crédits à l’économie. Les Banques centrales en Europe prirent les mêmes dispositions monétaires pour venir en aise à leurs systèmes bancaires. Le premier programme d’assouplissement monétaire monétaire non conventionnel, ou « Quantitative Easing 1 », prit fin en juin 2009, aux États-Unis. Un montant de rachats de créances publiques et privées de 1700 milliards de dollars a été réalisé. Un deuxième programme QE2 est lancé, le 3 novembre 2010. Il s’agissait pour la Réserve fédérale d’acheter 600 milliards de dollars de bons de Trésor, et de titres privées, jusqu’à la fin du deuxième trimestre de 2011. Le montant du QE2 passera à 1000 milliards de dollars, en juin 2011. (1) En septembre 2011, la Fed lance l’opération Twist. Semblable au QE2 sauf que les liquidités injectées sont stérilisées, i.e. sans création monétaire. Dans le but de baisser les taux d’intérêt des titres publics, la Fed mettait en place un programme d’allongement des échéances, appelé « Matury Extension Program » ou « opération Twist », qui consistait à vendre des bons de Trésor d’une échéance de moins de trois ans et, d’un montant équivalent, acheter des titres d’échéances plus longue, comprise entre 6 et 30 ans. Ce programme, d’une ampleur initiale de 400 milliards de dollars, et qui devait se terminer fin juin 2012, a été prolongé jusqu’à fin de 2012. L’opération Twist n’a pas augmenté le bilan de la Fed. Un troisième programme QE3 est lancé le 13 septembre 2012, la Fed décide d’acheter pour 85 milliards de dollars d’actifs par mois, avec toujours un même objectif : peser sur les taux et favoriser la reprise économique. La nouvelle présidente de la Fed, Janet Yellen, qui a remplacé Ben Bernanke, en février 2014, continue le programme QE3, cependant avec une diminution progressive d’un montant de 10 milliards de dollars par mois, avec le maintien des taux directeurs à leur plancher, le taux de chômage continue de se réduire. Les Banques centrales de la zone euro, du Royaume-Uni et du Japon, pays émetteurs, avec les États-Unis, des quatre grandes monnaies internationales du monde, suivent la politique monétaire de la Fed. Pour éviter les appréciations erratiques de leurs monnaies, ce qui nuit à leurs exportations (leurs monnaies trop chères), ces Banques centrales émettaient aussi des liquidités et procédèrent à des rachats de dettes publiques et privées. Ainsi, en zone euro, un Fond Européen de Stabilisation Financière (FESF) a été constitué en 2010, il sera remplacé par le Mécanisme Européen de Stabilisation, en 2012. Un nouveau QE annoncé par la Banque centrale européenne (BCE), le 22 janvier 2015, a pris effet en mars 20015. Il court jusqu’à septembre 2016. Le rachat d’actifs par mois est fixé à 60 milliards d’euros par mois. Le Royaume-Uni a procédé à plusieurs, et le Japon, à plusieurs abenomics (du nom du Premier ministre Shinzo Abe). « Toutes ces liquidités ont participé à la reprise économique occidentale mais aussi à la croissance mondiale. » En effet, ce qu’on remarque, c’est que ces QE ont profité aussi au reste du monde. (Voir analyse 2) D’autre part, le problème n’était pas seulement de dégonfler les monnaies et stabiliser les taux de change, il restait encore à gérer la masse de monnaies injectées, i.e. à éviter une poussée inflationniste en Occident, et dans le monde. I.e. éviter de revenir à l’inflation à deux chiffres des années 1970. La question qui se pose : « pourquoi ces liquidités créées massivement n’ont pas crée de l’inflation. » Alors que normalement l’inflation devait se situer à 2 %, le taux d’inflation aux États-Unis, en Europe et au Japon, est compris entre 0% et 0,5%. La réponse comme on l’a déjà énoncé (2) vient « du processus même qui a commandé les programmes des QE ». Si, à chaque fois, les Banques centrales procédaient périodiquement à des programmes de QE, pour les États-Unis (QE1, QE2, QE3, et l’opération Twist stérilisé) et suivis par la zone euro, le Royaume-Uni et le Japon, c’est manifestement que « le système financier occidental était sous-financé. » Sinon pourquoi, approximativement tous les dix-huit mois, ces Banques centrales devaient apporter de l’oxygène (de l’argent frais) à leurs systèmes financiers ? Et où logent-elles ces liquidités en dollars, une fois émises, et qui nécessitent de répéter les politiques ultra-accommodantes ? D’abord, « dans les contreparties physiques », i.e. le pétrole, l’or et moindre pour les matières premières agricoles, et donc « amener ces pays, en particulier, les pays exportateurs de pétrole à enregistrer des excédents commerciaux. Et cela a duré plus d’une décennie avant, durant et après la crise financière de 2008 ». Une partie des QE a filé vers ces pays, dont la Russie et les pays pétroliers arabes, qui ont vu leurs réserves de change fortement augmenter. « Qu’en est-il des autres pays émergents, et de la Chine ? »
3. Les critiques de la Chine et du Brésil sur les QE1, QE2, QE3
Dans une Analyse du Centre Asie (3) « La Réserve fédérale des États-Unis ou la « Fed » a annoncé, le 3 novembre 2010, la mise en place de la politique du Quantitative Easing 2 (QE2), un nouveau cycle de politique monétaire accommodante. En rachetant 600 milliards de bons du Trésor et en maintenant le taux d’intérêt directeur à un niveau très bas, entre 0 et 0,25 %, la Fed cherche à stimuler la relance économique américaine et à absorber un niveau de chômage important. Or, cette politique du QE2 était devenue, avant même sa mise en œuvre définitive, la cible de critiques au sein de la communauté internationale, les reproches des pays émergents étant les plus virulents. En effet, le QE2 est souvent considéré comme une version contemporaine de la politique du « chacun pour soi » des années 1930 (« Beggar-Thy-Neighbour Policy »), l’une des sources de la Grande Dépression. En tant que la plus grande économie émergente ayant des interconnexions fortes avec l’économie des États-Unis, la Chine se considère comme « l’une des principales victimes de cette nouvelle donne de la politique monétaire américaine ». La presse chinoise a quasi unanimement qualifié les effets du QE2 de « désastreux » et le comportement de la Fed d’« irresponsable » vis-à-vis du bon fonctionnement de l’économie mondiale. Quel est l’impact du QE2 sur l’économie chinoise, et comment la Chine ajuste-t-elle ses politiques en conséquence ? Des articles sélectionnés dans la presse chinoise nous fournissent des pistes de réflexion. En ce qui concerne l’impact du QE2, M. Zhou Xiaochuan, gouverneur de la Banque populaire de Chine, a très bien résumé le 5 novembre, cité à maintes reprises dans la presse chinoise. Selon lui, si le QE2, initialement conçu pour relancer l’économie nationale aux États-Unis, s’est doté d’une portée internationale, c’est justement parce que le dollar est la monnaie internationale de réserves et le principal intermédiaire des échanges commerciaux transfrontaliers. La prédominance du dollar a facilité la propagation des effets spil-over du QE2 dans le reste du monde. Ainsi, les répercussions du QE2 sur d’autres économies se concrétisent selon deux axes : la dépréciation du dollar et la fuite des liquidités créées par le QE2 vers le reste du monde, notamment vers des pays émergents. Pour la Chine, un dollar américain déprécié a pour conséquence directe la perte de valeur des réserves de change chinoises, plus de 60 % de ces réserves étant libellées en dollar. De surcroît, étant donné que la majorité des transactions concernant les matières premières se font en dollar, une baisse de la valeur du billet vert ferait augmenter les prix de ces matières premières, ce qui engendre de l’inflation importée pour la Chine. Par ailleurs, le QE2 injecte une grande quantité de liquidités sur le marché. Cependant, contrairement à ce que la Fed prévoyait, les liquidités nouvellement créées ne sont pas restées aux États-Unis. Elles se sont précipitées vers des pays émergents, dont la Chine, où le marché boursier et le marché immobilier offrent de bien meilleures opportunités de placement qu’aux États-Unis. (Le graphique ci-dessous nous permet de visualiser l’ampleur des entrées de flux de capitaux dans certains pays émergents à la suite de l’annonce du QE2 par la Fed (Voir document note 3). Des économistes et de hauts fonctionnaires chinois ont exprimé dans la presse chinoise leurs inquiétudes concernant l’entrée des capitaux spéculatifs en Chine. L’arrivée des capitaux fébriles a déjà fait augmenter les prix des actifs sur des marchés internes chinois. Par exemple, Pan Shiyi, le plus gros promoteur foncier chinois, a confirmé une pression haussière des prix des logements dans des grandes villes chinoises de premier rang (一线城11Î, Yixian Chengshi) en raison d’importants investissements étrangers dans des logements de haut de gamme. A terme, des bulles spéculatives – boursière ou immobilière – seront formées, qui risquent d’éclater une fois que les spéculateurs étrangers auront perdu leur confiance dans la conjoncture macroéconomique future du pays d’accueil. Par conséquent, Ding Zhijie, interviewé par Zhengquan Ribao, conclut que « le QE2 américain sera à l’origine d’une crise financière dans des pays émergents ». Le recentrage de la politique du contrôle des changes met en lumière la détermination des autorités monétaires chinoises pour faire reculer les investisseurs spéculatifs étrangers. Preuve en est la publication d’une nouvelle circulaire par l’Administration nationale des changes (国家外汇管理局, Guojia Waihui Guanliju) le 9 novembre, juste après l’annonce du QE2 par la Fed. Par ailleurs, la Chine est en train d’étudier l’exemple du Brésil et de la Thaïlande, qui ont recouru à une forme de taxe Tobin pour restreindre l’entrée des capitaux étrangers de court terme dans leur pays. » De son côté, le 27 septembre 2010, le ministre de l’économie brésilien, Guido Mantega, affirme que son pays est « au milieu d’une guerre des changes » (4) On peut comprendre les reproches de la Chine, du Brésil et des autres pays faits à la politique monétaire américaine. Il peut apparaître que les liquidités injectées dans le cadre des QE font naturellement baisser le dollar, ce qui permet de donner un avantage à l’économie américaine, au détriment des partenaires commerciaux, et accentue les déséquilibres. Cependant, les autorités monétaires freinent l’appréciation naturelle du yuan en achetant des devises étrangères. Mais, au-delà de cette « guerre des monnaies », qui gagne en réalité ? Qui jouisse d’une croissance insolente ? N’est-ce pas les pays émergents, notamment asiatiques, la Chine, la Russie et les pays pétroliers qui accumulent des excédents commerciaux, et par conséquent, des réserves de change.
4. « Des réserves de change toujours pilotées par les grandes puissances »
Tout d’abord, il faut faire la part des choses dans l’action de la Réserve fédérale américaine dans l’endiguement de la crise financière de 2008. La situation était si grave qu’elle risquait de paralyser l’économie américaine, ce qui aurait des conséquences sur le reste du monde. Il fallait à tout prix que l’Etat américain intervienne pour ramener la confiance entre les banques. Chaque banque se méfiait de l’autre, le système bancaire américain était truffé de crédits douteux. Les mesures prises par la Fed s’avérait être le seul chemin pour dénouer la crise financière qui s’est étendue à l’Europe et au monde. Si les économistes chinois avaient raison de critiquer les programmes de Quantitative Easing opérés par la Fed, il demeure que les États-Unis n’avaient pas d’autre solution. Ils avaient à choisir entre le sauvetage de leur système bancaire ou affronter une débâcle financière qui serait pire que la crise des années 1930. D’autre part, la question du faible taux d’inflation aux États-Unis, en Europe, au Royaume-Uni et au Japon, et toujours moins de 0,5%, rarement dépassé, et toujours ce refinancement QE qui revient, en Occident, et pendant près de sept ans. » Tout simplement, ces liquidités fuitaient vers les pays émergents via les excédents commerciaux et les placements dans ces pays qui étaient encore en croissance. La Chine en a profité grâce au bas coût de la main d’œuvre et du yuan déprécié. Ainsi, par ce double apport, la Chine maintenait sa compétitivité dans le commerce mondial. Elle a enregistrait excédent sur excédent, et leur corollaire, l’accumulation des réserves de change qui sont les plus grandes du monde. Les pays pétroliers arabes, la Russie, en ont aussi beaucoup profité du fait que le pétrole a servi de « pondérateur des quantitative easing » au même titre que la « duplication monétaire » des trois puissances monétaires (zone euro, Royaume-Uni et Japon). Ces phénomènes de pondération du dollar ont été développés dans une analyse précédente. (2) « Les grands gagnants des QE ne sont pas seulement les États-Unis, l’Europe mais aussi les pays du BRICS, les pays émergents et les pays exportateurs de pétrole et de matières premières. » En d’autres termes, quand les Occidentaux émettent les principales monnaies internationales, ils dopent leurs économies en exportant mais aussi en important, en consommant, et de ce processus, poussent le reste du monde à exporter, à importer à consommer. Mais si les uns ont le privilège d’émettre des monnaies et ils sont les pays riches de la planète, le reste du monde met l’effort dans le faible coût de la main d’œuvre, dans l’ancrage de la monnaie sur le pays le plus puissant du monde pour gagner de compétitivité. Les pays pétroliers bénéficient de la hausse des cours pétroliers puisque le pétrole joue un comme l’or a joué dans le système de Bretton Woods. Donc, peut-on blâmer la Chine pour son faible coût de la main d’œuvre ? Ou qu’elle ancre son yuan sur le dollar en le maintenant déprécié par rapport au dollar ? On ne peut perdre de vue que, au-delà de la montée en puissance, la Chine cherche à augmenter le niveau de vie de sa population ? Est-ce négatif ? D’autant plus que ces 1,3 milliards de Chinois, en consommant, vont booster l’économie mondiale. Et c’est positif pour l’« Occident et le reste du monde. » De plus, si les réserves de changes de la Chine et des pays émergents et pétroliers ces pays ont augmenté, il reste que ces richesses sont toujours pilotées par les grandes puissances, en quantité et en qualité. Et ce point est fondamental, et il signifie simplement que les pays riches ont, par leurs politiques monétaires, un droit de regard sur ces réserves. Ceci étant, établissons le gain financier commercial retiré des pays émergents, dont principalement la Chine, et les pays pétroliers arabes. 1. Les réserves de change de la Chine passent de 1 966,200 milliards de dollars, en 2008, à 2914,154 milliards de dollars, en 2010. En 2014, elles augmentent de 1000 milliards de dollars, elles s’élèvent à 3 952,130 milliards de dollars. Malgré le taux de croissance qui a chuté à 7,8% en 2012. (5) 2. Les réserves de change de la Russie passent de 427 milliards de dollars, en 2008, à 537,618 milliards de dollars, en 2012. Elles ont baissé fortement qu’en 2014, suite à des attaques spéculatives et à la baisse des prix de pétrole et du gaz. 3. Les réserves de change de l’Arabie Saoudite, premier producteur et premier exportateur des pays de l’OPEP, atteignent 43 milliards de dollars, en 2014. Les autres pétromonarchies arabes totalisent environ 750 milliards de dollars. Les réserves de change de l’Algérie passent 143,102 milliards de dollars, en 2008, à 193,269 milliards de dollars en juin 2014. La dette extérieure, pratiquement remboursée, s’établie à 3,719 milliards de dollars. (6)
5. Le paradoxe du reste du monde dans la croissance mondiale
Que peut-on dire de cette formidable accumulation réserve de change ? Tout d’abord que les craintes chinoises sur les QE américains, bien qu’elles fussent justifiées dans le sens que la baisse du dollar pouvait écorner la valeur effective des réserves de la Chine, s’avèrent non fondées. Bien plus, c’est grâce à ces QE que la Chine a accumulé des excédents commerciaux, et par conséquent a augmenté ses réserves de change. Justement, ce déséquilibre macroéconomique pose problème aujourd’hui à la première puissance du monde. Que signifient ces réserves de change ? Sinon une dette nette que l’Occident, en particulier les États-Unis, doit à la Chine, ces pays. Et c’est une dette extérieure nette qui s’élève au bas mot à 6000 milliards de dollars, endossée pour une bonne part par les États-Unis, la zone euro vient ensuite, et le Royaume-Uni, le Japon... Les Banques centrales occidentales qui créaient des liquidités monétaires dans le cadre de programmes QE, MES, Abenomics, ont, à travers leurs déficits commerciaux, fait grossir les réserves de change des pays émergents (Chine, Russie, Brésil…) et les pays arabes exportateurs de pétrole, qui, à leur tour, les ont placées en Occident, pour qu’il consomme les produits made in china, d’Amérique du Sud, d’Asie, et importent du pétrole et du gaz de Russie, des pays arabes. En quoi de négatif est ce processus ? Ne peut-on pas voir en fait un apport des pays riches aux pays non riches, et inversement, et c’est ce processus qui fait tourner la machine économique mondiale. Quant Larry Summers, ancien secrétaire d’Etat au Trésor dans l’administration Clinton, devenu conseiller économique du président Obama, appelait cette relation financière et monétaire liant la Chine aux États-Unis d’« équilibre financier de la terreur » (7) ou encore la « stagnation séculaire » (8), en réalité, il n’y a ni l’un ni l’autre, tout au plus en apparence. Comme les Chinois se crurent des « victimes » des QE américains alors qu’ils étaient aussi gagnants, comme le montre l’accumulation de leurs réserves de change. On peut considérer que le problème relève du rattrapage technologique des pays émergents, et de la hausse des cours pétroliers et des matières premières qui s’est accompagné d’excédents commerciaux pour les pays exportateurs, en particulier les pays pétroliers, et qu’ils ont permis de booster l’économie mondiale. Ces pays, en exportant et en important, ont contribué à la croissance mondiale et obligé l’Occident à se mettre « monétairement » en diapason avec cette accélération de la croissance mondiale. L’intrusion massive de la Chine, des autres pays émergents et pays pétroliers dans la croissance a fortement relevé l’« absorption mondiale ». Les concepts émis de Larry Summers n’expriment en fait qu’un changement de paradigme économique mondial, qui s’est instauré de fait par l’évolution du monde. L’Occident a aujourd’hui un reste du monde qui a fortement progressé. D’autant plus que, sans le reste du monde, les Quantitative Easing américains et européens opérés auraient été à « somme nulle », donc inopérants, sans absorption. Comme ce qui s’est passé dans les années 1930. Une Grande Dépression a frappé le monde et qui s’est terminé par la Deuxième Guerre mondiale. A cette époque, le reste du monde existait mais colonisé et dominé, pauvre, misérable, comptait peu tant dans la production manufacturière et industrielle que dans la consommation mondiale. Impossible par conséquent pour l’Occident de procéder à des politiques monétaires pour relever la croissance économique intérieure.
6. Une situation financière complexe du monde
Donc, sans le reste du monde, sans son rattrapage, sans sa participation à la croissance mondiale, sans sa part dans la consommation mondiale, la crise financière de 2008, aujourd’hui, aurait été similaire à la crise de 1929. Le monde serait replongé de nouveau dans la dépression des années 1930, avec la destruction de dizaines de millions d’emplois. Dès lors, peut-on énoncer que le reste du monde a eu un rôle « salvateur » pour l’économie mondiale, et par conséquent, évité dans un certain sens, une grave dépression économique à la fois pour l’Occident et le reste du monde, suite à la crise de 2008. D’autre part, depuis la « fin du Deuxième Conflit mondial » et de la décolonisation du monde qui a suivi, regardons ce qu’a gagné l’Occident, i.e. le niveau d’enrichissement auquel les pays occidentaux sont arrivés et ce, sans empires coloniaux. Donnons quelques chiffres du pouvoir intérieur brut annuel par habitant en parité de pouvoir d’achat (PPAL), établis par le FMI, en 2013, pour les pays dépassant 20 000 dollars. On constate qu’ils sont 40 pays, et constitués essentiellement de pays occidentaux. Luxembourg : 112 473 dollars US, Noriega : 100 579 dollars US, Australia : 64 578 dollars US, États-Unis : 53 001 dollars US, Autriche : 49 039 dollars US, Allemagne : 44 999 dollars US, France : 44 099 dollars US, Japon : 38468 dollars US, Israël : 36 926 dollars US, Grèce : 21 857 dollars US. Seuls les pays du Golfe, i.e. les monarchies arabes ont un PPA qui se situe au niveau des pays riches occidentaux, et de surcroît protégés par eux. Qatar : 98 986 dollars US, Koweït : 45 189 dollars US, Emirats Arabes Unis : 44 552 dollars US, Bahreïn : 27 926 dollars US, Arabie Saoudite : 24 953 dollars US, Oman : 21456 dollars US. Descendons vers les pays qui ont moins de 5000 dollars par an de pouvoir d’achat par tête. Ils sont 88 pays. Macédoine : 4931 dollars US, Tunisie : 4317 dollars US, Indonésie : 3510 dollars US, Egypte : 3243 dollars US, Maroc : 3160 dollars US, Honduras : 2283 dollars US. Notons pour l’Algérie : 5606 dollars US, la Chine : 6959 dollars US, Turquie : 10 721 dollars US, Descendons vers les pays à moins de 2000 dollars de pouvoir d’achat. Ils sont 57 pays. Vietnam : 1902 dollars US, Yemen : 1516 dollars US, Inde 1509 dollars US, Kirghizstan : 1280 dollars US, Pakistan : 1275 dollars US, Tchad : 1218 dollars US. Vers les pays à moins de 1000 dollars par an de pouvoir d’achat par tête. 29 pays. Comores : 928 dollars US, Haiti : 820 dollars US, Burkina Faso : 711 dollars US, Mali : 646 dollars US, Guinée : 560 dollars US, Niger : 447 dollars US, Burundi : 303 dollars US, Malawi : 223 dollars US. Nous remarquons que les habitants des 29 pays qui ont un PPA de moins de 1000 dollars vivent avec moins de 2,7 dollars par jour. Cependant, malgré le haut pouvoir d’achat des pays occidentaux, il demeure qu’une bonne partie de leurs populations vivent avec un salaire minimum (SMIG), voire moins. Par conséquent, cet enrichissement est à relativiser et s’adresse surtout aux populations à hauts revenus qui représentent moins de 5% de la population totale, et aux revenus intermédiaires moins de 50%. Ceci nous fait dire que le système financier et monétaire international est appelé à muter. Le monde ne peut pas dépendre indéfiniment du bon vouloir des Banques centrales américaine, européennes et japonaise. Le système monétaire international doit progressivement se mettre en adéquation avec l’évolution du reste du monde. La Chine siègera au FMI, à compter du 1er octobre 2016. Le yuan chinois constituera la cinquième monnaie internationale dans la détermination du panier de devises dans les droits de tirage spéciaux (DTS), qui sert d’actif de réserve international à l’institution, notamment à calculer le taux d’intérêt sur les prêts qu’elle accorde. En tant que contre-pouvoir aux monnaies occidentales, le yuan aura à changer les règles de financement de l’économie mondiale, notamment en matière de politique d’assouplissement monétaire non conventionnel. Ce qui poussera l’Occident à augmenter « monétairement l’absorption mondiale » en commun accord avec les pays du reste du monde. La hausse de la consommation mondiale constituera une avancée considérable dans l’équilibre monétaire international.
Medjdoub Hamed Auteur et Chercheur indépendant en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective www.sens-du-monde.com
Notes :
1. « Les politiques monétaires dites « Quantitative Easing » », 23 février 2014 http://bts-banque.nursit.com/Les-politiques-monetaires-dites
2. « Entre Crise pétrolière et Réduction des Déséquilibres mondiaux, quel avenir attend le monde pour 2016-2019, sans le « dopage du pétrole » ? », Medjdoub Hamed. 20 janvier 2016 http://www.agoravox.fr/ http://www.lequotidien-oran.com/ http://www.sens-du-monde.com/
3. China Analysis N°31 Asia Centre. Zhou a prononcé ce discours lors du 1er sommet Caixin à Pékin, le 5 novembre. Ce sommet, ayant comme thème « La Chine et le Monde » étudie le rôle et la stratégie que la Chine devrait adopter dans un monde en grande transformation http://www.centreasia.eu/sites/default/files/publications_pdf/china_analysis_no_31_1.pdf
4. « Guerre des monnaies, les raisons d’un bras de fer », (Source AFP) Le Point.fr. 22/10/2010 http://www.lepoint.fr/economie/guerre-des-monnaies-les-raisons-d-un-bras-de-fer
5. http://data.lesechos.fr/pays-indicateur/Chine/balance-des-paiements-courants.html
6. Tendances monétaires et financières au second semestre 2007-au second semestre 2008- au second semestre de 2009-au premier semestre 2014-au premier semestre 2015 http://www.bank-of-algeria.dz/html/notes7.htm http://www.bank-of-algeria.dz/html/notes5.htm http://www.bank-of-algeria.dz/html/notes1.htm http://www.bank-of-algeria.dz/pdf/notedeconjoncture
7. « L’équilibre financier de la terreur », Le Point. 04/12/2008 http://www.lepoint.fr/actualites-economie/2008-12-04/l-equilibre-financier-de-la-terreur/
8. « La stagnation séculaire dans les cycles financiers de longue période », Michel Aglietta, Thomas Brand http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/em/abstract.asp?NoDoc=8138
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