Le paradoxe italien
Dimanche 25 septembre, en Italie, la néo-fasciste Giorgia Meloni est arrivée en tête des élections législatives. Quoi d’étonnant dans un pays qui continue à honorer la mémoire de Mussolini ?
A Predappio, village de 6000 habitants dans l’Emilie-Romagne, on peut visiter un surprenant musée d’histoire : celui consacré à Benito Mussolini. L’homme qui régna d’une main de fer sur l’Italie de 1922 à 1943 était né ici en 1883. Depuis 1957 – soit douze ans après son exécution à Milan – ses restes sont inhumés dans la crypte familiale. Tout un commerce mémoriel s’est organisé à la gloire de celui qui reste le père du fascisme : statuettes, photos, emblèmes fascistes et même nazis, et cela en toute légalité. Bon an mal, Predappio attire ainsi 80 000 visiteurs, qu’ils soient curieux d’histoire contemporaine ou admirateurs affirmés du Duce – et l’on peut parier qu’ils seront nombreux ici, le 28 octobre prochain, pour le centenaire de la marche sur Rome. Une manne sans doute pour la municipalité, malgré les critiques des partis démocratiques qui voient d’un mauvais œil cet étalage malsain.
Car imagine-t-on de nos jours un musée à la gloire d’Hitler à Braunau sur Inn – petite localité autrichienne où il était né -, avec des manifestations publiques de néo-nazis décomplexés ? Certes non ! La municipalité ne l’a pas permis. Quant à l’Allemagne moderne, elle a éliminé toute trace du nazisme dans ses grandes villes. A Berlin, on chercherait en vain les noms de dignitaires nazis dans sa topographie ; ce sont leurs adversaires et leurs victimes qui sont mis en avant. Mais en Italie – comme en Espagne avec Franco -, le fascisme a toujours droit de cité. Et il se trouve toujours des gens pour vanter les réalisations sociales de Mussolini ; en oubliant, bien sûr, ses innombrables exactions, la violence en particulier avec laquelle il a traité dès le début ses opposants politiques ; en oubliant surtout qu’il fut le modèle et l’inspirateur historique d’Hitler avant d’en devenir le complice.
Dans ces conditions, comment s’étonner qu’une formation ouvertement néo-fasciste – Fratelli d’Italia - soit arrivée en tête avec 44% des suffrages exprimés, dimanche 25 septembre, aux élections législatives italiennes ? Sa présidente, Giorgia Meloni, 45 ans, n’a jamais caché son admiration pour Mussolini. Pour elle aussi, c’était mieux avant. Mais si elle va pouvoir former une coalition de gouvernement avec les principales figures de la droite « dure » - Matteo Salvini en tête -, il y a peu de chances qu’elle puisse appliquer, dans l’Italie d’aujourd’hui, les méthodes brutales de son idole. En matière d’économie, elle devra, tant bien que mal, se conformer aux directives fédérales si elle veut percevoir les considérables subventions européennes (68,9 milliards d’euros) qui permettent à l’Italie de rester dans le camp des nations riches. Il n’empêche que, sous sa férule, les droits des minorités risquent d’être fortement rognés. Pas question, pour cette apologiste de la famille chrétienne traditionnelle, de promouvoir l’euthanasie, l’avortement et la gestation pour autrui. Et c’est sans parler de l’immigration clandestine pour laquelle elle promet une tolérance zéro. Bref, c’est en bonne conservatrice qu’elle va gouverner l’Italie ces prochaines années. Etrange attitude de la part d’une fervente catholique, dans un pays qui a donné, lors des deux derniers siècles, le plus grand nombre d’émigrants de toute l’Europe. Là aussi on ne veut conserver que la part la plus flatteuse du passé.
Jacques Lucchesi
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