Le parallèle entre le tandem Europe-États-Unis des années 1920 et le tandem États-Unis-Chine des années post-2000
« Les Nécessités de l’Histoire dans un monde en mutation »
1.Les mesures de prospérité - Les « Années folles »
L’économie est toute à la fois, un art, une science, une méthode dont la fonction est de gérer toute activité économique des Etats. Grâce aux systèmes économiques qui répondent aux besoins des populations, tout régime politique doit s'efforcer de s’assurer que le système de production, de distribution et de consommation des richesses soit suffisamment équilibré entre les membres de la collectivité, pour éviter ou tout au moins « atténuer » les crises politiques et sociales. Tout dysfonctionnement dans le système économique ne peut que nuire à terme à la cohésion politique et sociale de la collectivité.
Précisément, la fin du premier conflit mondial fut un désastre sur le plan économique pour l’Europe. Au sortir de la guerre, l’Europe était épuisée. Une industrie mobilisée pour une bonne part pour l’armement dont une bonne partie devait se reconvertir pour répondre aux besoins des populations. Une hémorragie du potentiel humain comptée en millions d’hommes tués ou blessés dans le combat. Un retard accumulé dans l’industrie et la technologie. Tous ces facteurs auxquels il faut encore joindre un endettement pesant ont rendu difficile une reprise économique en Europe. Alors que les États-Unis, grands vainqueurs, baignaient dans l’euphorie de l’après-guerre, avec ce nouveau sentiment de puissance sur le monde. Ainsi va s’ensuivre après le premier conflit mondial, même en Europe, avec la victoire sur l’Allemagne, cette soif de vivre des années 1920, qu’on a pu décrire comme les « années folles ».
Mais ces années de prospérité n'auront pas duré puisque, progressivement, l'Amérique se retrouve « dirigée », à la fin des années 1920, vers la plus grande crise économique de son histoire. Les retentissements seront catastrophiques pour l’ensemble des pays du monde.
Pourquoi une crise de cette importance ? Le phénomène de crise a toujours existé. Dans les sociétés anciennes, la vie économique et sociale dépendait du résultat des récoltes vivrières. Deux mauvaises récoltes consécutives signifiaient la catastrophe, ce qui veut dire famine et saignée démographique. Pour ce qui est des origines des crises, qui sont essentiellement agricoles pour les sociétés non industrielles, elles ne sont pas dues uniquement aux calamités naturelles (sécheresse, inondation...), les épidémies (peste, choléra), les guerres aussi les favorisent. A une période plus récente, d’autres crises ont apparu pour les pays industrialisés. Elles eurent pour origine soit un excès de crédit suivi d’une baisse brutale [hausse des taux d’intérêt], soit une soudaine modification des courants commerciaux – une puissance rompt l’équilibre commercial international –, soit des innovations [chemins de fer] qui perdent de leur intensité dans l’essor économique, soit encore une hausse des cours des matières premières souvent comme contrecoup à des guerres. Généralement, les crises économiques ne durent pas longtemps, les économies des pays industrialisés repartent après correction des facteurs qui ont entraîné la crise.
Mais la crise à la fin des années 1920 n’a pas réagi comme les crises passées, elle s’est étendue au reste du monde, entraînant une longue dépression économique dans les années 1930. Comment comprendre ce changement de paradigme ? Que s’est-il passé dans les relations économiques internationales, après le premier conflit mondial ?
2. Courte rétrospective des années 1920
Tout d’abord, l’Europe. Frappée par les destructions de la guerre, elle est devenue dépendante de la nouvelle puissance, les États-Unis, pour sa reconstruction. La guerre a eu pour effet de transformer la position financière internationale des États-Unis de pays débiteur en créanciers nets. Entre 1914 et 1918, les pays européens, pour dégager des ressources pour le financement de l’effort de guerre, ont eu recours à toutes les possibilités de prélèvements [hausse des impôts, avances de l’institut d’émission, emprunts les plus divers].
Ce qui se traduisait par un endettement considérable pour l'Europe. Après la guerre, le cours des changes, relativement limité durant tout le conflit, grâce aux accords passés entre Alliés, retrouvaient leurs taux réels. Toutes les monnaies européennes, compte tenu de l’excès de la masse monétaire émise sans contrepartie durant la guerre, furent dévaluées. De plus, les importations européennes en provenance des États-Unis ont continué à être financées par des emprunts émis par l’Europe, accentuant la faiblesse des monnaies européennes. Malgré la baisse des monnaies, la plupart des pays européens ont continué les politiques inflationnistes du temps de guerre pour se reconstruire. Sans alternative compte tenu des conséquences de la guerre, l’inflation s’est encore accentuée, et les écarts de change se sont creusés avec la monnaie américaine. Les pays à monnaie faible avaient de plus en plus de mal à acheter aux États à monnaie forte. Dans de nombreux pays, la confiance sur la monnaie est ébranlée. Le problème monétaire se posant de manière cruciale, il devenait nécessaire que les États parviennent à un large accord sur l’harmonisation des systèmes monétaires pour rétablir la confiance dans les règlements internationaux. La conférence de Gênes, en avril-mai 1922, apporta les réponses en fixant pour chaque pays l’option à retenir selon des critères bien définis. Globalement, c’était un choix pour les gouvernements entre la déflation s’ils décidaient de revenir aux parités d’avant 1914, ou la dévaluation s’ils décidaient simplement de légaliser la perte de valeur de l’unité monétaire depuis 1914. La plupart des pays ont retenu la dévaluation parce qu’ils n’avaient pas suffisamment d’or. La conférence autorise les États à couvrir leur monnaie en papier, non par l’or, s’ils n’en ont pas suffisamment, mais par tout autre monnaie convertible en or. Les monnaies convertibles comme l’or, qui sont des monnaies de réserve, pouvaient servir au règlement des soldes des balances des paiements des États dépourvus d’or. Le système du « Gold Exchange Standard ou l’ étalon de change or », a, par ces règles, intégré tous les pays européens au système monétaire international grâce aux prêts libellés en monnaies convertibles qui peuvent leur être consentis. Dès 1925, les monnaies européennes commençaient à se stabiliser, de nouveau s’opéra le retour de la confiance dans les transactions internationales.
3. Sauvetage de l’Allemagne, une « assurance géostratégique » pour l’Occident
Une exception cependant l’Allemagne. Après un effondrement de sa monnaie, l’Allemagne rétablit, dans un premier temps, une convertibilité partielle (Gold Bullion Standard), puis applique le « GES ». La nouvelle monnaie de circulation, le « Reichsmark », est devenue convertible par au moins 40% par de l’or et le reste par des devises convertibles. La convertibilité de la monnaie allemande, après la crise de 1923, le doit essentiellement à sa position géostratégique en Europe. Les gages que représente la production industrielle et agricole en croissance de l’Allemagne n’expliquent pas totalement l’ « aide financière de la Grande Bretagne et des États-Unis » alors que l’Allemagne était tenue de verser des « Réparations de guerre » à plusieurs pays d’Europe dont la France. Ce qui ne pouvait que restreindre ses capacités de remboursement et rendre à terme l’Allemagne insolvable. Même le rétablissement du « Reichsmark » le doit à l’aide alliée. La réponse se trouve dans la crainte pour les États-Unis et la Grande-Bretagne que l’Allemagne subit le même sort que la Russie tsariste, c’est-à-dire tombe dans le camp socialiste. Une URSS aux portes de l’Allemagne représente une menace bien plus grande que l’aide financière anglaise et américaine octroyée à l’Allemagne.
Si la France et l’Italie insistaient sur le principe des Réparations, les Américains ont cherché à atténuer les litiges, en parrainant le plan Dawes en 1924. Une partie de l’aide américaine à l’Allemagne a permis de payer une part des montants des réparations de guerre à la France. En 1929, un autre plan fut mis en place par les Américains pour l'Allemagne, le plan Young . On n’a pas hésité à dire des investissements américains qu’ils sont des « Réparations américaines » pour l’Allemagne. Ainsi se comprend l’aide massive américaine à l’Allemagne, qui eut pour souci principal de la maintien dans le pôle occidental. A bien d’égards, les États-Unis et ses Alliés y voyaient dans cette aide une sorte d’assurance pour leurs objectifs géostratégiques.
4. Parallèle entre le tandem Europe-États-Unis des années 1920 et le tandem États-Unis-Chine des années post-2000
Après le premier conflit mondial, les États-Unis, se fondant sur l’engagement des Alliés à rembourser les dettes, ont continué à financer l’Europe. Ils devaient pallier aux besoins financiers et aux pertes des capacités de production industrielle et agricole de l’Europe, dues à la guerre. Par leur puissance industrielle, les États-Unis avaient la capacité de suppléer aux besoins européens en capitaux, machines, équipements, produits agricoles, etc. Les capitaux américains drainés en Europe devaient paradoxalement « acheter la surproduction américaine ». L'Europe devenait en quelque sorte le moteur de la croissance américaine. Bien que ce circuit financier et industriel était nécessaire pour les Américains puisqu’il leur permettait de maintenir une forte production industrielle et agricole, donc une croissance économique qui dépendait des importations européennes, avec tous les avantages que cela comportait en matière d’emplois et d’excédents de la balance courante, cette situation était néanmoins problématique à terme. Les Américains investissaient les excédents de leur balance des paiements en Europe pour que les Européens puissent consommer les produits américains. C’est ce qui se passe aujourd’hui entre la Chine et les États-Unis, la Chine prête ses excédents commerciaux aux États-Unis sous forme de bons de Trésor américain pour que les États-Unis importent des produits chinois.
Il est évident que tant que le marché européen présente une opportunité pour les exportations américaines, surtout en absence d'alternative, le circuit peut demeurer rentable. Grâce à leur formidable productivité industrielle et agricole, les États-Unis ont trouvé en Europe un exutoire pour leur « surproduction ». Déjà fortement engagée durant la guerre 1914-1918, l’économie américaine se trouvait, à la fin du conflit, dépendante de ces exportations. Sans l’exutoire européen, l’économie américaine en aurait pâti. C’est ce qui se passe aujourd’hui entre la Chine et les États-Unis, les Chinois ont besoin du marché américain, et les Américains de leurs dollars que la Chine le leur rend sous forme de « prêts » via les excédents de la balance courante chinoise. Une « nécessité conjoncturelle ».
Si le problème du financement de l’Allemagne est d’« ordre géostratégique » et participe aussi à l’expansion américaine, le « problème de l’Europe » est bien plus complexe. La question qui se pose est : comment « dépasser cet endettement-consommation » ? Comment va se terminer cette « nécessité conjoncturelle » entre l’Europe et les États-Unis ? Il est évident que cette situation ne peut perdurer. Si le marché européen est important pour l’économie américaine, puisqu’il a permis de maintenir voire même augmenter sa production industrielle et accumuler d’importants excédents commerciaux, il reste qu’une grande partie des excédents commerciaux est engagée en Europe. Ce circuit, cette prospérité artificielle (par la politique des hommes) mais nécessaire va-t-elle durer ? La première contrainte qui va se poser est la « question du remboursement ». Comme aujourd’hui, la Chine accumule des bons de Trésor américain et « espère » que les placements qu’elle effectue aux États-Unis sont « sûrs ». De même pour l’Europe de cette époque, est-elle prête à rembourser ses emprunts ? Les États-Unis, comme la Chine aujourd’hui, ne s’inquiètent pas outre mesure de ces placements en Europe puisque les emprunts remboursés par les pays européens aux États-Unis, de nouveau, retournent en grande partie en Europe. Mais, à ce problème va s’ajouter un autre, celui de la « compétitivité de l’Europe » retrouvée dans le commerce mondial qui aura à changer les cartes de l'échange et remettre en cause l' « équilibre conjoncturel » entre les deux rives de l'Atlantique.
Pour conclure, qui va gagner à ce « jeu à somme positive pour les deux rives de l’Atlantique » ? Ce sont évidemment à la fois l’Europe et les États-Unis. Quant aux « emprunts-remboursements », ils n’auront été qu’un véhicule de prospérité, i.e. un aller et venir de transfert de richesses, à l’époque, entre les deux grands versants économiques du monde.
Comme aujourd’hui, entre l’Occident et l’Asie dont la Chine, i.e. les économies d’Europe, des États-Unis, de l’Australie et de l’Asie en particulier pour les deux Grands : la Chine et l’Inde, sont en réalité complémentaires. Evidemment la crise qui frappe l’Occident paraît complexe et difficile à dépasser. En réalité, en tant que séquence de l’histoire, la crise en Occident est « nécessaire » et par conséquent « dépassable ». En d’autres termes, la crise en Occident n’est pas fortuite… mais, en termes très terre à terre, « sert à quelque chose ? ». Et c’est la raison pour laquelle on peut dire que « la crise en Occident n’est que conjoncturelle ».
Il faut aussi souligner qu’outre l’Occident, l’Asie et l’Amérique du Sud, l’Afrique et surtout le monde arabo-musulman, au-delà des souffrances et des crises politiques qui les frappent, profitent aussi de l’embellie économique mondiale depuis au moins 2000. Plus d’une décennie. De plus le fardeau de leurs dettes obère de moins en moins leurs finances publiques.
Medjdoub Hamed
Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale,
Relations internationales et Prospective.
Notes :
1. Les guerres et les crises économiques sont-elles une « fatalité » pour l’humanité ?
Partie I, par Medjdoub hamed
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-guerres-et-les-crises-138225
2. Valeur et sens de l’« islamisme » dans le nouvel ordre mondial.
Partie II, par Medjdoub Hamed
http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/vers-un-nouvel-ordre-monetaire-135240
3. L’herméneutique de l’alliance du monde de l’islam et de la première puissance du monde.
Partie III, par Medjdoub Hamed
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-hermeneutique-de-l-alliance-du-139471?pn=1000
4. Du monde de l’Islam et de l’instrumentalisation des « pétrodollars » par les États-Unis à la revanche de l’histoire
Partie IV, par Medjdoub Hamed
5. Délocalisations, pertes d’emplois et décroissance en Occident, un « retour de balancier de l’histoire » ?
Partie V, par Medjdoub Hamed
http://www.agoravox.fr/tribune-libre
6. L'Occident, à l’épreuve du Tribunal du monde (I)
Par Medjdoub Hamed
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