Le Péril jaune
La maison brûle, il y a péril en la demeure et le peuple n'est pas cette fois rouge de colère, mais jaune de fièvre.
Car cette fièvre est éruptive, incontrôlable, sans chefs, ni leaders et se radicalise jour après jour devant la surdité de nos gouvernants. Si elle était une maladie ce serait la rage, tant le mal paraît sans remède.
Bien plus qu'un mouvement structuré et organisé, il faut parler d'émeute, de jacquerie tant ses cohortes viennent majoritairement des campagnes ou des zones péri urbaines. De la bouche même de Castaner le ministre de l'intérieur, l'on entend les mots terribles de séditieux, de factieux, que l'on croyait réservés à un vocabulaire d'un autre âge. Et si l’insurrection n'était que le prélude d'une vraie révolution ?
En sommes nous déjà là dira-t-on ? Méditons les leçons de l'Histoire. Pour qu'une révolution apparaisse, il faut en amont tout un travail de préparation idéologique conduit surtout par des intellectuels, une situation tendue sur le plan économique et des réformes avortées. Le scenario y ressemble, si ce n'était le caractère spontanéiste et libertaire de ce mouvement protéiforme aux revendications plus que floues et totalement disparates. Il n'y a non seulement pas de têtes pensantes, mais on peine même à en trouver des interlocuteurs. Comme si les insurgés avaient une défiance viscérale envers toute forme de représentativité politique, échaudés par les gouvernements successifs issus du choix des urnes depuis deux décennies.
Au delà, c'est d'abord d'une véritable crise de régime dont il s'agit. Le système actuel ultra présidentiel et quinquennal ne semble plus s'accorder au rythme idéal d'une vraie démocratie moderne, dont on mesurerait régulièrement la pulsation à mi mandat, ou lors de la tenue de referendums.
La revendication de d'avantage de démocratie directe, de l'adoption de la proportionnelle émerge souvent des doléances des Gilets jaunes. De plus le système a démontré ses limites. L'élection de Macron avait été le signe d'une immense espérance, balayant les partis traditionnels qui se partageaient le pouvoir. On s'est vite aperçu qu'il n'en était rien et la colère populaire, immense est à la hauteur des désillusions devant le constant que le nouveau monde était la version dupliquée et relookée de l'ancien.
Autre impasse à la sortie de crise, comme en mai 68, l'absence de réelle opposition crédible et au delà tout simplement d'alternative à la politique libérale conduite par Macron, déjà entamée par Hollande et que la droite voudrait encore plus rigidifier. Ne parlons pas de Mélenchon et de Le Pen dont les outrances les disqualifient pour parvenir au pouvoir et qui servent juste de repoussoir, privant le peuple d'une véritable offre politique.
Cette situation sans issue que l'on appelle en philosophie une aporie et comme marquant les limites de la dialectique ne peut générer que violence et désespoir. La rue elle même n'est plus entendue, comme l'a montré l'échec des manifs millionnaires contre le mariage pour tous, ou pour les retraites auparavant. Les moyens de lutte traditionnels comme la gréve sont pareillement devenus obsolètes et sans effet sur une population durement impactée par le coût de la vie et qui ne peut se permettre le sacrifice de nombreuses journées de travail, pour ceux qui ont la chance d'en avoir un.
La colère part de la base, elle n'est pas encadrée et ne peut trouver d'exutoire dans aucun parti ni syndicat, toujours susceptibles de la trahir.
Mais c'est avant tout l’absence d'une réelle force politique fédérant les divers mécontentements qui confère à l’insurrection son caractère incontrôlable et déroutant. Contrairement au schéma italien chez lequel elle s'est traduite par un parti de gouvernement qui a pu voir émerger une alliance insolite entre des revendications d’extrême gauche avec des aspirations identitaires.
Un débouché presque naturel de la crise pourrait être son élargissement à d'autres pays européens avec pour ligne de mire l'horizon des Européennes et avec la défaite de la REM, la remise en question de l’Europe sur ce modèle libéral qui est son péché originel.
Cela bien sur, car tous les possibles sont ouverts si des élections anticipées ne sont pas la dernière carte d'un gouvernement aux abois, jouant sur la peur comme en 68.
Dans ces conditions, les Gilets jaunes sans réels candidats autres que leur couleur auraient gros à y perdre, le temps leur manquant pour se constituer en réelle force politique.
Il y a fort a prévoir en attendant que le mouvement gagne en ampleur d'ici là. La faible minorité des Gilets jaunes ne rend pas compte en effet de l'adhésion massive des français de tous bords à leur épopée, dans laquelle ils se reconnaissent, sans pour autant en partager les risques.
Pour ma part, comme tant d'autres, j'arborerai samedi un gilet jaune en signe de solidarité et je rejoindrais pacifiquement la manifestation.
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