Le petit Nicolas rêvait-il du général ?
Les pratiques institutionnelles de Sarkozy et de Gaulle se ressemblent fortement, et l’étude historique nous permet de comparer et contraster ces approches pour mieux comprendre la présidence aujourd’hui.
N.B. Article écrit en collaboration avec William Oman
La dernière mode de la presse parisienne est de dresser le portrait de
« la dream team du président », ces hommes et femmes de l’ombre qui
gouvernent en réalité la France. Car, on apprend - étonné, confiant,
blasé, choqué ? - que ce n’est pas le gouvernement et sa cohorte de
ministres qui conduit la politique de la nation, mais les envoyés du président qui, en sous-main, observent et décident pour eux. Ainsi,
pour n’en nommer que quelques-uns, Georges-Marc Benamou, conseiller du président, s’occupe des dossiers phares de Christine Albanel, François
Pérol pilote les gros dossiers économiques de l’Etat (Suez-GDF, EADS,
Areva, c’est lui) en laissant les miettes à Lagarde, sans parler de
l’ombre de Guéant menaçant le pauvre François Fillon. D’ailleurs, une
blague qui fait beaucoup rigoler dans les ministères est celle des
conseillers de Fillon qui ne manquent de rappeler à tous ceux qu’ils
croisent : « Si, si. Nous travaillons, François Fillon aussi ! ».
Situation anti-démocratique déclarent certains, car elle amène
l’Etat à être contrôlé par un nombre restreints de personnes, quelques
grands fonctionnaires ayant rejoint la famille Sarkozy ; de surcroît,
ils n’ont pas la légitimité des urnes. Ils rappellent aussi que, de
facto, le président réduit le rôle du Parlement. En effet, en
instituant et pilotant des Commissions (comme la Commission Balladur
sur les institutions), il court-circuite l’autorité de l’Assemblée.
Aussi inédite qu’elle puisse paraître, ce n’est pas la première
fois que la France est face à une telle situation au cours de la Ve
république. En feuilletant un livre, je suis tombé par hasard sur ce
passage : « ... la conséquence est la constitution à l’Élysée d’un sorte
de super-cabinet qui, sans se substituer à lui, double jusqu’à un
certain point le gouvernement. Formé d’une cinquantaine de personnes...
» Cette citation est extraite d’un livre sur la République gaullienne.
Ainsi fonctionnait le général de Gaulle. Il se représentait comme
l’organe de décision suprême du gouvernement ; toutes les décisions
devaient lui être présentées et obtenir son consentement. Pour
reprendre ses propres termes des Mémoires, le Premier ministre était «
le sien » et un « collaborateur ». Il n’y avait pratiquement pas de
débats en Conseil des ministres, les ministres demandaient un
avis là où le président tranchait.
Cette comparaison avec le passé nous permet de mitiger les
conclusions des journalistes à propos de la République sarkozyenne. En
ce moment, leurs articles concluent par des formules simples,
aériennes, comme celle-ci : « trop d’oligarchie tue la démocratie ».
Pourtant, on peut mitiger, ou du moins essayer d’affiner cette
remarque. On peut soutenir que, comme le général, Sarkozy présente une
conception différente de la démocratie. Sa vision pourrait, à la
lumière du passé, être celle-ci : supprimer les « corps intermédiaires
» (partis politiques, Assemblée) pour établir une démocratie directe
(à laquelle on pourrait opposer une démocratie participative, où les
intérêts de la nation sont exprimés via l’Assemblée). Le lien entre le
chef de l’État et les citoyens prime sur les autres formes de
démocratie.
On remarque que les façons de gouverner et de communiquer de ces deux
chefs d’Etats ont beaucoup de ressemblances : tous deux ont été à la
tête d’un parti politique qui leur doit tout et auquel ils ne doivent
rien, tous deux affectionnent un dialogue direct avec la population.
Tous deux appréciaient l’exercice des allocutions radio ou
télédiffusés, les conférences de presse au cérémonial soigné où ils
font connaître leur politique au pays (et dont l’exégèse devient un
exercice fondamental d’analyse politique), les voyages dans les
départements, et, troisièmement, l’utilisation de référendums. C’est
ici peut-être que la technique présidentielle de Sarkozy diffère de
celle de de Gaulle. Pour de Gaulle, ses référendums apparaissaient à
la fois comme des questions fondamentales posées aux Français ainsi que
des sources de renouvellement de sa légitimité. Au contraire, Sarkozy
n’a jamais exprimé (ou pas encore) cette volonté de poser des grandes
questions à ses concitoyens, au contraire de François Bayrou, qui en
avait fait un thème fort de sa campagne.
Alors que l’un gardait une certaine distance et une certaine "grandeur"
dans l’image qu’il projetait de lui-même, l’autre tente de se faire
l’homme du peuple, le citoyen lambda, en se rendant à de multiples
commémorations de faits divers à des fins de couverture médiatique
(exemple : déplacemenet à l’enterrement d’un pêcheur mort lors de la
collision entre son bateau et un cargo - est-ce vraiment le rôle du président de la République ?). Sarkozy tente par ce type d’intervention
de donner une image simple et presque banale de lui-même ; autre exemple
type qui n’est pas sans rappeler un certain président démocrate
americain : la médiatisation du jogging quotidien ou hebdomadaire, dont
certains ont souligné le manque de "dignités" pour un président.
Cette forme de populisme est potentiellement néfaste en ce qu’elle
travestit un des rôles primordiaux du président, celui de chef de
l’Etat. En effet, cette fonction se combine mal avec le rabaissement
trompeur opéré par Sarkozy, dont le goût pour les interventions
médiatico-populistes nous laisse volontiers l’imaginer la baguette sous
le bras et critiquant l’Etat, comme un citoyen lambda - ce qui serait
le comble étant donne sa fonction ! En defendant, lors de reportages
télévisés, certaines victimes d’agressions ou autres crimes présumés
aux depens du fonctionnement de la branche judiciaire (juges et
magistrats) francais qui n’a, selon Sarkozy, pas appliqués les bonnes
peines aux "criminels" en question, le président confirme sa tendance à
vouloir se faire l’homme du peuple, l’homme qui participe de cette
France "café du commerce" et rudoie une branche (la branche judiciaire)
du pouvoir avec laquelle il est censé travailler, non pas diffamer. Et
je n’entre même pas ici dans le "cas" Rachida Dati, qui a été traité
dans la presse ces derniers temps et qui accentue la dangereuse pente
sur laquelle s’est engagé Sarkozy. S’il adopte une conception tres
spécifique de la constitution Ve République en ce qu’il gouverne au
lieu de présider, Sarkozy mène également un double jeu en passant du
côté du peuple. Ce glissement s’opère, pour Sarkozy, en critiquant
certaines institutions (exemple : pouvoir judiciaire) et politiques,
parfois clés (exemple : critique de la politique menée par la BCE) de
l’Etat et de l’UE, dont il fait intégralement partie/auxquels il
participe activement. Ce dédoublement est à la fois ironique, trompeur,
et potentiellement très néfaste.
Une illustration de cette tendance de raccourci vers le peuple et par
le peuple est clairement visible sur le site de l’Elysée, qui ressemble
plus à celui de TF1 (cf. les photos du président intervenant aupres de
Francais moyens - ouvriers, artisans... - qui ornent le haut de la
page, et la fenêtre vidéo "PR TV") qu’à l’idée qu’on se ferait, a
priori, du site officiel de la présidence de la République :
http://www.elysee.fr/accueil/.
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