Le point Godwin pour les nuls
Un point de détail. Lors d’un entretien, Mike Godwin, qui a énoncé (découvert ? inventé ?) la loi qui porte son nom, a fait la remarque suivante :
« Je crois que la notion de « point Godwin » est née avec les francophones et est principalement utilisée par eux. Chez vous, le point Godwin a deux significations : Ou cela signifie que le niveau Godwin est atteint. Ou on décerne un « point Godwin » comme on donne un mauvais point. Les francophones s’amusent pas mal avec le « point Godwin » en imaginant donner un point virtuel à celui qui l’atteint. Mes fans francophones me disent que c’est de plus en plus fréquent dans les discussions. »
Et moi, je crois avoir croisé quelques-uns de ces fans francophones sur AGORAVOX.

Michael Wayne Godwin, donc, dit Mike Godwin (né le 26 octobre 1956) est un avocat américain. En revanche, Edward Aloysius Murphy Jr. (11 janvier 1918 – 17 juillet 1990), lui, était un ingénieur en aérospatiale américain.
Ces deux citoyens américains sont donc connus pour avoir donné leur à ce qu’on appelle un peu abusivement des lois (au sens scientifique, et non juridique). Mais les informations biographiques les concernant ne sont pas abondantes sur la toile. .
Selon Wikipédia, la loi de Godwin dirait : « Plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d'y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 1. »
Et la loi de Murphy serait un « adage » qui dit : « Tout ce qui peut mal tourner, va mal tourner ».
La loi de Murphy est plus ancienne. Elle n’est pas sans rappeler le principe de Peter (que j’ai évoqué récemment), mais elle n’a pas donné lieu à des publications de l’inventeur. Elle résonne étrangement avec la loi de Godwin, qu’on nomme aussi parfois loi de l’emmerdement maximum. Sur la toile, cette loi deviendrait la loi de l’emmerdement minimum : la rencontre presque inévitable de qu’on nomme un « troll » de nos jours, mais que Molière[i] et La Bruyère[ii] appelaient un « fâcheux ». Mais ils ne fréquentaient les mêmes forums que nos contemporains.
Pour en revenir à la loi de Godwin, voici comment son promoteur, tel Archimède, fit une découverte fondamentale :
« J’ai remarqué lors de mes observations que c’est facile d’être vite en désaccord avec quelqu’un sur Internet : il n’y a qu’à voir ce qui se dit dans les forums pour s’en rendre compte. Et forcément au bout d’un moment, cela conduit certains à traiter leur interlocuteur de nazi, d’Hitler ou de faire une comparaison sur la seconde guerre mondiale. C’est ça la loi Godwin. »
Cependant, son champ d’application est moins étendu que celui de la loi de Murphy qui énonce que « tout ce qui peut mal tourner, va mal tourner ». Alors qu’il suffit de ne pas surfer sur la toile pour éviter les conséquences de la loi Godwin.
Mais ne nous moquons pas. Voici comment, dans l’entretien déjà cité, Mike Godwin expose sa façon de voir :
« Je ne sais pas exactement ce qu’il en est en France mais aux Etats-Unis, la référence au nazisme est souvent mentionnée dans le discours politique. Parfois c’est approprié, parfois ça ne l’est pas. Par exemple, quand les politiques parlent du génocide cambodgien ou rwandais, la comparaison avec la seconde guerre mondiale peut-être appropriée. En revanche, il y a des situations où la référence à la seconde guerre mondiale s’immisce dans le dialogue politique de façon démesurée ou hyperbolique. Dans ce cas là, il y a un manque de responsabilité dans le discours et la loi Godwin s’applique. L’utilisation sans fondement du nazisme ou d’Hitler dans la sphère politique reflète une certaine perte de repère, un chamboulement des perspectives politiques. »
Certes, mais il est aussi permis de s’interroger sur « ce qu’il en est aux Etats-Unis de, la référence au nazisme ». On sait que de temps en temps des Breivik locaux massacrent un peu la population au nom de la race blanche. Autrefois, dans le sud profond, ils se contentaient de se cacher sous des déguisements blancs pour expliquer les choses aux Noirs qu’on avait libéré de l’esclavage. Au cinéma aussi, il arrive de voir apparaître de dignes représentants du Parti Nazi Américain (ainsi dans ce film culte des années 80 : The Blues Brothers).
Mais généralement, aux Etats-Unis, quand on veut stigmatiser une adhésion trop molle aux valeurs de l’Amérique ou une propension trop grande à l’égalité, ce n’est pas de nazi que l’on se fait traiter, mais plutôt de communiste (ou de « communisse » comme dans La Conjuration des Imbéciles).
Il est permis de supposer que Mike, loin d’être un adepte du Tea Party, serait plutôt de tendance « démocrate ». Il pourrait ainsi être un représentant de la « bonne conscience » et de la « pensée unique » (pour employer les mots de Monsieur Zemmour à la télévision). N’a-t-il pas déclaré, pour donner le fond de sa pensée :
« Je m'inquiète pour le jour où, dans 10 ou 15 ans, ma fille me demandera : “Papa, tu faisais quoi quand ils ont censuré la liberté de la presse sur Internet ?” »[iii]
Mais peut-être, au contraire, Mike est-il un républicain subtil, un réactionnaire intelligent, un patriote avisé qui sait débusquer le bolchevisme sous tous ses masques ? Même s’il ne sait pas exactement ce qu’il en est en France, il a sans doute appris l’usage que les « Français de souche » font de sa loi Godwin, devenu point Godwin. Le Front National, en la personne de sa présidente, est devenu coutumier de l’usage du point Godwin, même si elle n’emploie pas le mot. Alors que son père ne cachait pas que son passé de parachutiste le portait à une sympathie spontanée envers les héros de la Waffen SS qui avait combattu le bolchevisme, elle a déclaré qu’elle poursuivrait en justice les commentateurs qui se laisseraient aller, non seulement à taxer son parti de nazisme ou de fascisme, mais simplement à le situer à l’extrême droite de l’échiquier politique.
Evidemment, les « Français de souche » et autres « identitaires » manquent souvent un peu de subtilité dans l’usage qu’ils font du point Godwin sur la toile. Aussi, je me permets de leur suggérer quelques auteurs désormais classiques.
D’abord, Ernst Lubitsch, un cinéaste allemand qui a émigré aux Etats-Unis en 1922. Vingt ans plus tard, en 1942, alors que la guerre fait rage en Europe, il sort le fameux film To Be Or Not To Be[iv]. Le réalisateur du film n’est peut-être pas l’auteur des dialogues. On se rappelle tous ceux qui donnent son titre au film, mais c’est un autre dialogue que je veux évoquer ici. Un dignitaire nazi, le Professeur Alexander Siletsky (Stanley Ridges), veut convaincre une actrice polonaise, Maria Tura (Carole Lombard) des bienfaits du nouveau régime :
"- Nous vous convaincrons tout simplement de la justice de notre cause. Savez-vous ce qu'est le nazisme ?
- J'en ai une vague idée.
- Il tend à créer un monde heureux.
- En supprimant ceux qui ne veulent pas être heureux.
- Nous serions des monstres ! Ai-je l'ai d'un monstre ?
- Oh, non, Monsieur le Professeur !
- Vous en semblez convaincue. Nous aimons aussi chanter, danser. Nous sommes humains. Parfois même... très humains."
http://site-image.eu/?page=film&id=392&partie=decoupage
Ensuite, plus près de nous, Pierre Desproges qui avait noté avant sa mort :
« On ne m’ôtera pas de l’idée que, pendant la dernière guerre mondiale, de nombreux juifs ont eu une attitude carrément hostile à l’égard du régime nazi. »
Il avait aussi fait la remarque suivante :
« Le 30 avril 1945, le chancelier Hitler, légèrement déçu par la vague d’anti nazisme primaire qu’il sentait déferler autour de lui, se donnait discrètement la mort dans son loft souterrain de la banlieue berlinoise. »
Je me mesure bien que c’est à une véritable révolution culturelle que j’invite Madame Le Pen et tous les Français de Souche. Lors de sa première campagne présidentielle, entre les deux tours, quand elle a réuni ses partisans et qu’elle les a un peu chauffés, ils ont scandé spontanément : « Communistes, assassins ! ». Ils ne leur est pas venu à l’esprit de dénoncer le nazisme ou un quelconque fascisme.
C’est ainsi que réagissaient récemment encore les défenseurs de l’Amérique blanche, des Républicains encartés jusqu’au Ku Klux Klan. Mais on a pu voir depuis quatre ans les opposants au Président Obama l’affubler des moustaches de Hitler, pas de celle de Staline.
Un autre point de détail pour finir. Le patronyme de Mike a quelque chose de merveilleux, non ? Le vent de Dieu ou le dieu du vent ?
[i] Sous quel astre, bon Dieu, faut-il que je sois né,
Pour être de fâcheux toujours assassiné !
Il semble que partout le sort me les adresse,
Et j’en vois, chaque jour, quelque nouvelle espèce.
[ii] Ce qu'on appelle un fâcheux est celui qui, sans faire à quelqu'un un fort grand tort, ne laisse pas de l'embarrasser beaucoup ; qui, entrant dans la chambre de son ami qui commence à s'endormir, le réveille pour l'entretenir de vains discours
[iii] En anglais : "I worry about my child and the Internet all the time, even though she's too young to have logged on yet. Here's what I worry about. I worry that 10 or 15 years from now, she will come to me and say 'Daddy, where were you when they took freedom of the press away from the Internet'". Nous imaginons tous Monsieur Zemmour lever les yeux au ciel et soupirer en entendant une déclaration de femmelette comme ça.
[iv] Il sortira en France après la guerre sous le titre : Jeux dangereux.
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