Le politique et la violence : quelques pistes de réflexion
Je suis Agoravox depuis sa création, et il me semble qu’une quantité importante d’articles adressent une problématique générique, qui est « comment concilier dans la même réflexion le politique et la violence ? ». Par exemple :
- Les femmes voilées dans notre société (la « violence faite aux femmes et comment la société doit y répondre) ;
- La violence sociale apparue dans nos sociétés industrielles (chômage, précarisation, exclusion) et quel système politique lui opposer ;
- La montée du terrorisme, ses souches, et comment la société dans son ensemble doit y répondre (prévention, éducation, police, armée) ;
- Etc.
La problématique de concilier dans une même vision politique et violence, curieusement, n’est jamais traitée comme telle dans les analyses des intellectuels. Comme je le montrerai, la difficulté de cette problématique est qu’elle nécessite de « marcher sur deux jambes », et que bien souvent l’intellectuel progresse à cloche pied sur une seule jambe, voire alternes les cloche-pied en changeant de jambe. C’est une première idée dans cet article, que je vais expliciter car elle est importante pour comprendre la suite.
Quand l’automobile a été inventée, la réflexion empirique a rapidement accouché du volant pour tourner. Ce choix n’était pas évident, et si la voiture devait être inventée à notre vingt et unième siècle, peut-être que des ergonomes accoucheraient d’un prototype avec deux boutons, un sur la gauche que l’index gauche actionnerait pour tourner à gauche, et un identique sur la droite pour tourner à droite. Bien évidemment, les premiers essais montreraient que dans la pratique, nos deux cerveaux se mélangent les pinceaux dès lors que les situations génèrent des réponses contradictoires entre le cerveau des affects et le cerveau rationnel. Typiquement, un garçonnet surgit sur la route et je dois l’éviter, j’appuie sur les deux boutons, ou je suis inhibé et je n’appuie sur aucun… On arriverait alors très naturellement à inventer le volant qui permet à nos deux mains de s’inscrire dans un geste qui court-circuite ce qui vient parasiter le cerveau (l’horreur d’imaginer ce garçonnet écrasé) pour lui substituer une image (la courbe que ma voiture va faire, pour l’éviter sans rentrer dans la voiture qui arrive en face). Imaginons, toujours sur notre exemple, que l’on ne soit plus dans un processus de création empirique avec prototypage, mais dans un processus de type « énarque » : on demande à des cerveaux de concevoir un modèle de voiture qui est mis en service sans aucune validation… là, il y aurait de fortes chances de voir, dans notre 21ième siècle, une voiture à deux boutons, encensée comme « le fleuron de la pensée ».
Cette image de la « voiture à deux boutons » est le fil directeur de cet article, et il n’est pas difficile de voir comment cette voiture « roule » déjà, dans un certain nombre de situations. Pour la délinquance, on a inventé les juges de gauche (dont Taubira est la parfaite illustration) et ceux de droite, et on accepte cet état de fait sans en mesurer l’incohérence. Pareil pour la montée du terrorisme, pareil pour les politiques à mener en matière de chômage, de précarisation, etc. A chaque fois, on oppose deux réponses partielles, qui de surcroit sont à deux niveaux différents.
Il me semble donc important, dans un premier temps, d’expliciter pourquoi, dans notre société occidentale, on accouche de la « voiture à deux boutons » quand on veut résoudre une problématique impliquant politique et violence. Puis, je présenterai d’autres modèles de société, qui ont su inventer une « voiture à volant », et j’essayerai de montrer le lien entre leur invention et la manière dont leurs élites ont été éduquées.
Les deux boutons de la voiture
En une phrase, l’organisation politique d’une société est un état d’équilibre, là où la violence est une rupture d’équilibre nécessitant un rééquilibrage immédiat. Pour prendre une image, une société régie par un système politique verra des luttes de pouvoir entre les différentes forces de la société (industriels, financiers, travailleurs, voire armée), et de ces luttes survient un « point d’équilibre » où chaque force estime avoir ses chances, un peu comme aux échecs où il est admis que les blancs et les noirs partent à égalité, et que le meilleur gagne. Si ce point d’équilibre n’est pas atteint, alors la force prédominante prend le pouvoir, et le garde jusqu’à ce que son affaiblissement joint au renforcement des forces opposées conduise à une nouvelle règle de jeu d’échecs, et on repart pour une nouvelle partie de jeu d’échecs.
Cette image du point d’équilibre, pour être exacte, doit être conduite depuis les temps préhistoriques jusqu’à la société actuelle. Quel que soit l’endroit du monde que l’on examine, on voit le même processus de développement entre des groupes humains de plus en plus étendus :
- D’abord, aux temps préhistoriques, une logique tribale, qui conduira à des organisations différentes suivant la dureté des conditions de survie ;
- Puis les tribus s’unissent, soiten créant des « imaginaires communs » (religions, mythes », qui leur permettent de s’identifier au même groupe, soit du fait des conquêtes militaires, ou encore suite au développement technologique qui fait passer de sociétés agricoles parcellisées à des « méga-sociétés » avec des mégalopoles pour répondre à des besoins de main d’œuvres accrus.
- A chaque fois que des mini-sociétés s’agrègent pour en faire une seule, se pose la question de l’organisation politique. Celle-ci peut évoluer en fonction des conditions. Pour citer l’exemple de nos sociétés occidentales, le modèle de société originel est la démocratie athénienne. Lorsque la civilisation Romaine s’étend, elle abandonne ce système démocratique pour diverses raisons (multiplicité des guerres civiles, corruption) pour lui privilégier l’Empire. Cette organisation centralisé autour d’un monarque sera la règle jusqu’à la révolution industrielle. Là, la bourgeoisie prend partout le pouvoir sur la noblesse, et impose un retour à la démocratie, plus ouverte en termes d’échanges commerciaux que la monarchie, qui elle impose.
Voilà pour le politique. Avant de parler de violence, je peux déjà introduire « les deux boutons » de ma voiture. Le processus d’agrégation de mini-sociétés pose, à chaque fois, la question de l’individu au sein de la société. Dans la tribu primitive, l’individu joue un rôle important, il se sent reconnu. Plus la taille humaine augmente, et plus l’individu se sent perdu dans la nouvelle organisation. Et donc, en parallèle, vont émerger des « philosophies à l’échelle individuelle », qui ont cette particularité de « penser » l’individu dans un schéma de plus en plus grand, mais également de s’adresser à chaque individu dans son « moi intime » (ses valeurs, ses aspirations, etc). Si l’on prend l’exemple de nos sociétés occidentales, les tribus antiques de Palestine se réunifient par le judaïsme en un peuple unique, ce courant donne lieu au christianisme qui va « marcher » dans la Rome antique car il répond justement aux aspirations des Romains, dont la culture est façonnée par une progression de carrière au sein d’un système administratif et militaire. Les Romains sont « en demande » d’une philosophie d’épanouissement personnel, et le christianisme leur offre justement cette possibilité d’épanouissement individuel. Et donc, le christianisme, qui était à l’origine une philosophie moyen orientale, émigre à Rome, Jésus (Yashoua Ben Youssef, qui était très certainement de type moyen-oriental avec des cheveux frisés et une barbe crépue) est désormais représenté avec des traits occidentaux de plus en plus épurés, le rôle de Paul dans le christianisme devient prédominant, et s’impose une interprétation du christianisme, qui est un mélange de rationalisme grec : le bien et le mal, le paradis pour ceux qui font le bien, l’enfer pour les autres, etc.
A ce stade, le christianisme a fait sa mue, c’est-à-dire que là où Jésus ne parlait que de ramener dans le troupeau les brebis égarées de la tribu d’Israel, le christianisme tel qu’il se développe à Rome devient cosmopolite, c’est un message universel et non plus pour les simples juifs. Notre culture occidentale a été façonnée par le message chrétien, et, si je reprends l’exemple des juges de gauche et de droite, on trouve dans le message chrétien matière à juger de ces deux manières.
Je viens de résumer « les deux boutons » de ma voiture :
- Le premier bouton, c’est le corpus politique qui nous façonne (les rois passés, la Révolution française, la démocratie, la cinquième République, etc.) et oriente nos réflexions ;
- Le second bouton, c’est la philosophie de libération individuelle qui est une sorte d’antidote du précédent bouton, en ce qu’elle permet à l’individu de ne pas se sentir écrasé dans des sociétés de plus en plus étendues. Cette philosophie, à l’origine issue du christianisme, a pris des formes diverses, suite notamment aux évènements de Mai 68 et aux essais de récupération philosophique menés a posteriori, afin de donner à cette contestation sociale une dimension « de philosophie de la libération individuelle ».
Le premier bouton fait souvent l’unanimité dans une société, c’est le « point d’équilibre » où la société est arrivée, et les valeurs politiques (respect de la démocratie, pouvoir de la presse garanti par la liberté d’expression, etc.) ne sont habituellement contestés. En revanche, de par sa nature même, le second bouton peut revêtir différentes formes, parfois opposées (un anar post soixante-huitard et un chrétien convaincu auront des réponses différentes).
Y a-t-il moyen de manœuvrer ces deux boutons à la manière d’un volant, c’est-à-dire de ne pas les opposer mais de les inscrire dans une perspective plus large, un peu de la manière dont, quand on conduit, on « visualise » sa courbe de virage, et les deux mains vont suivre sans s’opposer, car la courbe est la « donneuse d’ordre » et les mains « obéissent » ? C’est toute la question. Pour tous les cas de violence que j’ai recensé, y a-t-il moyen pour que notre référent politique (la démocratie et sa sauvegarde) ainsi que tous les référents à l’échelle individuelle convergent vers un modèle reconnu, modèle qui autorise des manœuvres (à la manière d’un volant), et que ce soient ces manœuvres qui soient arbitrées par des élections ? On voit bien qu’en France le compte n’y est pas.
Que ce soit auprès de Macron, de Mélenchon ou de Marine, on a dans les trois cas trois visions politiques (« faussement libérale » pour Macron, « dogmatiquement gauchiste tendance Usul » pour Mélenchon, et caricaturalement « Islamo-incompatible dans notre société Française » pour seul fond de commerce du projet politique au FN). En parallèle, la dimension de libération individuelle s’est écroulée. Là où Jean-Marie représentait un modèle de valeurs humaines (engagement militaire, etc.), la fille tient une auberge espagnole où chacun mange ce qu’il apporte. Les projets de culture portés dans le passé par le Parti Communiste Français (Maisons des Jeunes et de la Culture, sports municipaux, etc) ont été remplacés par Usul et le Média. Je ne parlerai pas des projets de développement humain de Macron, car il n’a jamais fait mystère qu’il n’en avait aucun. Sa vie personnelle (pas d’enfant, une ancienne prof pour compagne) ferait peur à plus d’un, alors de là à imaginer des valeurs d’épanouissement ou de libération personnelle…
Chacun le sait, si l’un de ces trois arrive au pouvoir en France, la France marchera à cloche-pied, c’est-à-dire que l’on prétendra résoudre par des lois, décrets, etc. des problématiques qui questionnent également l’humain et ses valeurs, et aucun de ces trois acolytes n’a l’épaisseur humaine suffisante pour faire illusion à ce niveau.
Je n’ai pas beaucoup d’admiration pour Mitterrand en tant qu’homme, mais il faut lui reconnaitre qu’il fut le dernier à être habité, en plus de son projet politique, par une vision d’épanouissement humain qu’il a essayé de faire émerger tant bien que mal (Fête de la Musique, ministère du temps libre, respect des mourants et création des centres de soins palliatifs, etc.).
Panorama des deux boutons dans le monde
J’ai essayé de montrer que le développement de notre société occidentale a conduit à deux « imaginaires » qui tous deux sont nécessaires pour assurer la cohésion de la société.
- Un imaginaire commun, qui permet à des groupes humains de plus en plus étendus de se « voir comme partageant une même identité ;
- Une philosophie de la libération individuelle, qui répond à la problématique d’écrasement ressenti par chaque individu au sein de ces sociétés de plus en plus en plus importantes.
Il est essentiel de comprendre que, dans notre société française, ces deux boutons ont pris une forme parfois antagoniste. Typiquement, en France, au siècle des Lumières, les philosophes (Diderot, Voltaire, Rousseau) adressent le premier bouton (quelle organisation politique ? on pense à l’époque à un « monarque éclairé »), mais ils s’affrontent sur le second bouton. On reprochera énormément à Rousseau son christianisme, et de même Diderot devra justifier son athéisme. De surcroit, l’évolution politique de la France conduit, au début du vingtième siècle à une guerre contre l’Eglise, et plus particulièrement contre les fonctionnaires qui se doivent d’être laïques dans leur image extérieure, et de cantonner leur foi religieuse dans le demains strictement privé. Dans le même ordre d’idée, Mai 68 imbrique également les deux boutons (gauchisme ou anarchie, et libération des mœurs censés apporter le bonheur).
Il y a donc une difficulté supplémentaire, en France, à concilier ces deux boutons pour en faire un volant, car ils se sont retrouvés imbriqués dans un certain nombre de courants de pensée, dont il est difficile de faire abstraction.
Voici pour la France. Je vais présenter maintenant un exemple important, d’abord par son influence dans le monde actuel ainsi que le rôle croissant qu’il va être amené à jouer : la Chine. Le corpus politique, en Chine, a été façonné par le Confucianisme, qui est un système de règles enfermant l’individu dans un carcan (les devoirs que l’on a envers ses parents, sa belle famille si on est une fille, son suzerain, etc.). En parallèle, la Chine a vu émerger différentes philosophies de libération individuelle, qui étaient autant d’antidotes au carcan confucianiste. La plus célèbre est le taoïsme, et également le bouddhisme (qui a été amené d’Inde, mais la forme chinoise en est tellement différente qu’on peut la considérer comme un cas à part). La spécificité de la Chine est que sa culture va imbriquer ces deux courants pensée, sans les dissocier. Tout d’abord les arts martiaux chinois, qui sont une composante importante de la culture chinoise. L’enseignement des arts martiaux en Chine, repose sur la progression suivante :
- Des formes imposées, sorte de carcan où le pratiquant emprisonne son corps jusqu’à avoir pour chaque geste une exécution exacte ;
- Puis, une fois les formes acquises, on « oublie tout » et on cherche une expression libre et spontanée, qui sera forcément exacte vu le niveau technique atteint par la pratique des formes.
Ce schéma de progression des arts martiaux chinois se retrouve dans nombre de créations artistiques. En calligraphie, on passe par les deux mêmes étapes, également en peinture. A titre d’exemple, le peintre japonais Okuzai a répété un grand nombre de fois le même tableau (« La vague de Kanagawa ») afin de viser cette « excellence spontanée », propre à la culture chinoise.
Pour résumer, nombre de pratiques culturelles chinoises (méditation Chan, thé, calligraphie, arts martiaux) imbriquent les deux boutons sans les dissocier.
Un dernier exemple : l’Islam. Lui aussi aggrège dans un même corpus (le Coran) un projet d’organisation de société (et donc politique) et des règles de vie individuelles censées apporter un épanouissement. Le fait d’avoir dans le même texte les deux boutons de notre voiture est tout à fait spécifique à l’Islam, c’est ce qui a assuré sa force et son déclin. La force de l’Islam, c’est d’avoir proposé un projet supra-national dès le 6ième siècle après JC, alors qu’il faudra (notamment en France) attendre le 18ième siècle pour voir émerger des projets politiques. A titre de comparaison, au 16ième siècle, l’ouvrage de référence reste Le Prince de Machiavel, qui lui se borne à des projets politiques à l’échelle d’une cité ou d’une province. Le fait d’avoir accouché d’un « méga mythe unificateur » explique la facilité avec laquelle les différents peuples, une fois vaincus, ont accepté d’adhérer à l’Islam. La faiblesse de l’Islam, c’est l’impossibilité de faire évoluer la dimension individuelle, ce qui contraint le croyant du 21ième siècle à adhérer à un système conçu au 6ième siècle. Cet archaïsme n’a pas permis aux élites l’évolution que l’Europe (l’amour courtois, les troubadours, les salons littéraires, les philosophes, les libertins, les comédiens etc. ), et qui a culminé, entre le début du 18ième siècle et la moitié du 19ième siècle, avec la création de quasi toutes nos connaissances en mathématiques et en physique.
Et la violence dans tout ça ?
J’en viens maintenant au cœur de mon article : comment le politique adresse la violence, et comment il y répond.
Si on considère l’histoire, de manière générale, les trois formes de violence que le système politique a dû adresser au cours des époques passées sont les suivantes :
- La guerre (l’ennemi est identifié, le champ de bataille est identifié)
- La piraterie (l’ennemi est identifié, le champ de bataille est trop large pour être identifié)
- Les brigands (l’ennemi n’est pas identifié, le champ de bataille est identifié).
En France, les deux dernières formes ont été éradiquées il y a fort longtemps, et le politique ne comprend plus maintenant que la première : on est en guerre, ou non. Dans notre société, les seules personnes à comprendre la violence de guerre sont bien évidemment les militaires, et ce sont eux qui naturellement renseigneront et conseilleront le politique. Précisons qu’un président ancien militaire peut éviter des décisions catastrophiques, comme l’a montré l’exemple de Chirac (deux fois envoyé en Algérie) qui a refusé de s’associer au fiasco de l’agression de l’Irak.
Mais les expériences militaires se font rares, et la plupart des officiers n’ont assuré, comme seules missions, que des opérations dites « de maintien de l’ordre », et plus des campagnes militaires avec définition de stratégies adéquates, etc.
De surcroit, la valorisation humaine du militaire (le fameux « prestige de l’uniforme ») est passée de mode depuis fort longtemps en France, et de surcroit, même si la figure du chevalier ou du mousquetaire est symboliquement riche en France, cet héritage n’est jamais mis en avant par notre politique.
Et donc, il est difficile de trouver à la fonction militaire quelque chose qui relève du « second bouton » (la valorisation de l’individu) en France.
Un autre aspect, en France, mais également dans d’autres pays occidentaux, est la schizophrénie du politique par rapport au « second bouton », s’adressant de la violence. Prenons par exemple l’ancien président Hollande. Il est opposé à la peine de mort (au nom de la dignité intrinsèque à l’être humain), il a néanmoins signé, en tant que chef des armées, des ordres d’exécution de français en Syrie, par action militaire. Ici encore, le politique adopte la posture de celui « qui se salit les mains pour le bien de tous », mais cette action d’assassiner sous le manteau tout en se prévalant de principes humanistes conduit à une cacophonie, notamment si l’on voit les prises de paroles de nos politiques s’adressant des français partis en Syrie, français qu’ils assassinent sous le manteau, mais qu’ils défendent en public…
Et donc, jamais en France le politique n’a inclus dans sa communication de valeurs humanistes l’usage qu’il fait de la violence. Pourtant, la violence est, à la manière de la fièvre dans un corps malade, ce qui révèle que le corps sociétal est malade. Pour poursuivre sur la métaphore du corps humain, si dans notre société, des femmes se faire violenter, des travailleurs se retrouvent précarisés ou en burn out, des hommes se radicalisent et se tournent vers le terrorisme violent, c’est que d’une part la société n’a pas su générer les anticorps qui permettraient d’éradiquer certains germes malsains, d’autre part elle a été préalablement affaiblie, le système immunitaire a été impacté. La problématique du « second bouton », ici, est double :
- Comment l’individu violent a pu adopter, comme philosophie humaine individuelle, quelque chose qui l’autorise voire l’encourage à la violence ?
- Comment la société doit répondre, elle aussi au niveau individuel (policier, soldat ou simple citoyen) pour régler le problème sans faillir à ses valeurs humaines ?
Ces deux questions sont celles qui sont le plus en défaut en France, c’est-à-dire qu’il n’y a aucune piste ni réflexion qui aille vers la résolution de ces deux aspects.
Un essai de développement humain basé sur la violence : les arts martiaux
Pratiquant d’arts martiaux depuis fort longtemps, je pense que les arts martiaux sont précisément ce qui permet de dégager des valeurs de développement humain individuel, par rapport à ce qui relève d’une problématique de violence sociétale. Je crois que, vu sous cet angle, il y aurait manière à améliorer de nombreuses situations de violence, le mot violence étant, comme je l’ai plusieurs fois mentionné, à entendre sous sa forme la plus générale (violence ressentie dans son travail, par ses proches, par un ou plusieurs inconnus, etc.).
Si l’on envisage les arts martiaux par rapport à la violence sociétale, ils revêtent un autre aspect, et c’est celui-ci que je vais essayer de développer avec le plus de clarté possible, car je pense que ces idées peuvent être applicables à d’autres domaines.
J’ai récemment lu un excellent livre sur ce domaine de Robert Paturel (ancien champion d’Europe de boxe française), formateur au RAID et au GIPN, qui s’est également astreint à participer à des interventions afin de comprendre la réalité du terrain : « Mes réflexions sur le combat », et j’ai été surpris de voir que cet expert, véritable figure des arts martiaux, avait au bout de son parcours (il a 64 ans) des vues bien similaires au miennes. Notamment, Robert Paturel mentionne l’aikido ainsi que l’eskrima /arnis comme des disciplines privilégiées qui devraient être pratiquées non pas pour leur applicabilité immédiate (notamment pour l’aikido) mais pour les recettes et le développement humain qui en résulte, et qui accroit autant l’aptitude à réagir « en situation réelle ».
Ayant été confronté pareillement (mais à des degrés bien moindres que lui !) à des situations dans la rue, j’ai été surpris de voir que ce qui était applicable « en vrai » était bien loin de ce qui semblait « en salle » être le plus efficace.
La vraie difficulté, lorsque l’on applique les arts martiaux « en vrai », est exactement celle de la voiture à deux boutons. On a deux bras, deux jambes, mais il faut que tout aille exactement dans la même direction, sachant qu’on est dans un état d’extrême urgence (le cœur monte parait-il à 220 battements à la minute), où les affects envoient un feu d’artifice d’émotions que l’on doit gérer…
Comme le dit très bien Robert Paturel, on peut être un champion reconnu d’un art martial avec un palmarès mondial, avoir sa salle et briller parmi ses élèves, s’il arrive une « embrouille » dans la rue, l’agresseur ignore tout du palmarès, et on sera surpris par sa hargne, son mental.. Et donc, même les médailles et le niveau technique risquent de ne pas suffire, car pour un sport de combat il y avait un arbitre/juge qui attribuait des points, mais en situation réelle quelqu’un de vraiment hargneux peut encaisser de nombreux coups alors qu’on n’a pas personnellement la même préparation.
Je vais maintenant préciser ce que j’entends par « arts martiaux en condition réelle ». L’histoire des méthodes de combat a montré trois familles distinctes :
- Les méthodes de « duels » contre un seul adversaire, qui ont conduit aux différents styles de boxe ; avec l’histoire on ne va plus à la mise à mort mais à une victoire aux points arbitrée par un juge.
- Les arts martiaux « à un contre plusieurs » (aikido), issus de l’expérience des champs de bataille (on est entouré d’adversaires), où l’essentiel est d’abord de survivre (un soldat mort ne sert plus à rien)
- Les méthodes issues de la piraterie : redoutables et toujours armées (arnis/kali/eskrima), elles sont faites pour tuer ou blesser gravement, en tout cas incapaciter un adversaire.
L’aikido permet de cerner des dynamiques de gestion de groupe, en « récupérant l’énergie du groupe », notamment par les prises de parole au bon moment. Le principe est de poser son centre, d’asseoir sa respiration dans son centre, et de développer une puissance basée sur une inertie cachée qui surprend beaucoup le néophyte.
A titre personnel (c’est en tout cas mon parcours), il me semble important de pratiquer chacun des trois styles. Les styles issus du troisième type sont les plus ardus d’un point de vue technique (le prérequis, lorsqu’on aborde ces styles, est d’avoir développé un relâchement qui ne s’acquiert qu’après de longues années de pratiques de sports plus « conventionnels »).
Je rejoins tout à fait Robert Paturel sur la nécessité, pour les forces de l’ordre, de s’être formé un minimum sur les disciplines du type 3), car sinon ils sont incapables d’encaisser le stress de vrais scénarios d’agression.
Pendant des siècles, la maitrise martiale a été un prérequis pour exercer des responsabilités de type mandarinal dans les pays de culture calquée sur la Chine. En bref, les énarques étaient formés et sélectionnés par rapport à leur maitrise des arts martiaux. Je crois qu’il y a un exemple dont on gagnerait à s’inspirer…
Même si les arts martiaux sont maintenant discrédités en Asie (notamment car ils ne permettent pas de gagner une médaille aux JO, et donc intéressent moins les jeunes), ils ont été pendant longtemps un instrument privilégié d’éducation des jeunes, de surcroit dissocié de l’emprise parentale.
Enfin, en termes de gestion politique ou managériale, voire dans bien d’autres fonctions professionnelles, ils permettraient à l’individu de mieux s’affirmer afin de résister à toute forme de violence implicite ou explicite, voire de savoir analyser cette violence et d’y répondre avec équilibre.
Signalons pour finir cet article que la France est le premier pays au monde en termes de « pourcentage de pratiquant ou ancien pratiquant d’arts martiaux », il y a donc un filon à creuser et à exploiter..
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