Le Pré aux clercs de Louis-Ferdinand Hérold
Pour son nouvel opus consacré à l'opéra français, Ediciones Singulares et le Palazzetto Bru Zane se penchent sur Le Pré aux clercs de Louis-Ferdinand Hérold (1791-1833), cinquième ouvrage lyrique le plus programmé de l'Opéra-Comique de Paris. Le palais vénitien ne possède pas la primeur de l'enregistrement de l'œuvre déjà gravée en 1959 et 1960 mais ces précédentes versions, quoique intéressantes, rendent moins justice à la diversité stylistique de la partition. Pour la nouvelle mouture, Paul McCreesh réussit du haut de sa baguette à appréhender et maîtriser le caractère hybride de la pièce. De l'opéra-comique, on retrouve l'ouverture en pot-pourri et le choeur d'entrée qui deviendra une des marques de fabrique du genre tandis que l'assimilation du style rossinien, par l’intermédiaire des voyages en Italie d’Hérold, se fait sentir dans l'air d'Isabelle « Jours de mon enfance » (première scène du deuxième acte) ainsi que dans les différents finales des actes mêlant choeurs et solistes.
Sous la direction du chef britannique, le Coro e Orquestra Gulbenkian — choeur et ensemble symphonique portugais créé début des années 1960 — semblent plus qu'à leur aise. S'il est en général assez délicat de se faire comprendre en chœur dans la langue de Molière, le chœur portugais peut se targuer d'une diction limpide couplée à une palette sonore extrêmement variée. Quant à l'orchestre, le jeu est d'une fraîcheur et d'une précision plus que bienvenue dans ce répertoire qui peut très vite sonner pompier si on ne lui donne pas l'occasion de respirer. Côté scène, on peut certes s'amuser des quelques légères traces d'accent anglais du ténor américain Michael Spyres dans les dialogues parlés du Baron de Mergy mais on est surtout immédiatement séduit par la beauté du timbre dès que ce dernier passe à l'exercice du chant. Raffinement, maîtrise et constance de l'appareil vocal sont de rigueur dès les premières notes émises. La prestation de Marie-Ève Munger nous comble tout autant dans le rôle d'Isabelle de Montal, celle-ci arrive à faire rimer agilité avec intelligibilité, notamment dans l'air du deuxième acte cité plus haut, sans pour autant perdre en sensibilité dans l'interprétation. Dans les rôles gravitant autour du couple des jeunes premiers, on apprécie aussi la bonhomie et la candeur des futurs mariés Nicette et Girot interprétés par Jeanne Crousaud et Christian Helmer, la chaleur du timbre de Marie Lenormand dans le rôle de Marguerite de Navarre, ainsi que l'hypocrisie délicieuse d'Éric Huchet dans les dialogues de son Cantarelli envers le belliqueux Comminge d'Emiliano González Toro. Et pour ne rien gâcher, la compréhension des chanteurs est constante dans chaque rôle, permettant à l'auditeur d'apprécier pleinement ce vaudeville opératique.
Ce nouveau livre-disque du Palazzetto Bru Zane ravira sans aucun doute les amoureux de Rossini dont l'ombre parcourt la partition tout en annonçant la fin de l'influence italienne sur le genre de l’opéra-comique grâce aux trouvailles stylistiques d’Hérold. Dernier chef-d'œuvre d'un compositeur emporté par la tuberculose cinq semaines après la première de l'opéra à l'âge de 41 ans, ce Pré aux Clercs jette les bases sur lesquelles viendront s'appuyer George Bizet (1838-1875) et Jacques Offenbach (1819-1880) quelques années plus tard.
Maxime Melnik
Louis-Ferdinand Hérold
Le Pré aux clercs
Munger, Lenormand, Crousaud, Spyres, Huchet, Helmer
Coro e Orquestra Gulbenkian
Paul McCreesh
Livre-disque bilingue en français et anglais
Collection « Opéra français » du Palazzetto Bru Zane (Ediciones Singulares) Vol. 13 | 2016 ES 1025
Ce livre-disque peut être acheté directement via Ediciones Singulares
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