Le premier pouvoir ne se trouve pas à l’Elysée
Avant les vœux du président de la République à la télévision le 31 décembre 2007, bon nombre de journalistes s’interrogeaient sur les nouveautés qu’il pouvait apporter au style et au contenu de l’exercice, et sincèrement, j’étais plus que perplexe. Il m’était difficile d’imaginer quelle forme prendrait le « miracle » qu’ils semblaient attendre. Mais ce phénomène n’est pas lié qu’aux vœux présidentiels, et ne concerne pas que les journalistes. Si ces derniers cherchent la petite chose en plus qui leur permettra d’habiller leurs commentaires d’originalité, bon nombre de gens attendent avec sincérité qu’un président de la République réussisse le miracle qui changera leur quotidien, voire leur existence tout entière. Ils le considèrent comme le détenteur du PREMIER POUVOIR, un pouvoir auquel ils imaginent des facultés qu’il est très loin posséder. Si dans certains domaines le pouvoir du président de la République peut être vu comme le PREMIER POUVOIR, il ne peut garder ce rang pour ce qui est d’une réelle amélioration de la qualité de vie. Certains pensent que cette position est désormais occupée par BRUXELLES, mais ils se trompent. Depuis plusieurs siècles déjà, le seul pouvoir capable de changer les existences humaines en profondeur est LA SCIENCE.
Mais avant de parler de la toute-puissance de la science, essayons de comprendre pourquoi on laisse croire aux Français que le pouvoir de changer leur vie se trouve à l’Elysée.
Il ne s’agit pas simplement pour les hommes et les femmes politiques de donner une aura exceptionnelle à la plus haute fonction qu’ils puissent occuper. En réalité, ils en sont victimes, mais il leur est impossible de se jeter dans une dénonciation qui ressemblerait en l’état actuel des règles démocratiques à un véritable suicide. Il vaut mieux avoir une vie politique nourrie de promesses approximatives et mensongères plutôt que scier la branche sur laquelle on est assis, même si on y est très mal assis, au point de perdre l’équilibre et de chuter à la prochaine élection. On pourra toujours réussir plus tard une remontée victorieuse de l’arbre, la branche y sera toujours, elle aura été bien protégée par l’adversaire politique qui l’aura occupée entre-temps. Ce cynisme des politiques leur est imposé par l’essence même de leur démocratie électorale. Celle-ci, contrairement à la démocratie scientifique qui autorise les erreurs et offre toute liberté d’espérer, de promettre, de penser, d’explorer parce qu’elle sait qu’au bout du compte elle n’imposera que les résultats gagnants qui auront fait leurs preuves, dicte parfois de façon draconienne des limites aux possibilités d’innover. Elle favorise le pire des conservatismes, au point que des mesurettes qui remuent à peine ce qui marche déjà peuvent apparaître comme de grandes révolutions (certains en ont même vu lors des vœux du président, pas grande, mais révolution quand même). On attend donc des politiques qu’ils fassent des miracles, mais sans prendre le moindre risque, en leur faisant bien comprendre que la moindre erreur leur sera fatale, et parce que ce ne sont pas des dieux, ils n’ont eu d’autre choix que de construire un système de boucliers hyper performants dont le but et d’hypnotiser leurs électeurs-tueurs, surtout quand ceux-ci se mettent à pousser leurs cris les plus stridents. On ment, on triche, on ruse, on manipule, on use de la langue de bois car si on glisse, on crève. La politique c’est tout simplement l’enfer des audaces, parce qu’on y tire à vue sur tous ceux qui osent le moindre mouvement non convenu et qu’on doit réussir à s’y faire passer pour un faiseur de miracle, il faut y donner l’impression d’être celui qui bouge le plus, tout en se déplaçant avec la lenteur qu’exigent les plus inquiètes prudences. Il est clair que si le premier pouvoir était issu de là, où si ces règles s’étaient imposées à la science, l’humanité aurait été mal, très mal même. Imaginez Einstein obligé de demander au peuple de lui donner le pouvoir d’explorer la piste de la relativité générale ! Le chemin de la science n’a pas été de tout repos, loin de là. Son pouvoir fait peur, notamment aux religions qui l’ont souvent vue comme une très dangereuse concurrente pour ce qu’elles considèrent comme le pouvoir absolu, le pouvoir divin. Mais face au progrès sans égal qu’elle a permis à l’humanité d’accomplir, les théories de Galilée, de Newton, d’Einstein et de bien d’autres, ont pu s’imposer à tous, mais en douce et sans triomphalisme. Même la théorie du Big-Bang a réussi à franchir les barrières de certaines religions. Si la science est le premier pouvoir, mais un pouvoir tellement silencieux qu’il s’est mis à l’écart des hiérarchisations de puissance, c’est entre autres parce que ses grands maîtres n’ont besoin d’aucun autre pouvoir que celui qui leur permet de gérer leurs pensées (il est vrai qu’ils doivent voyager dans un univers féérique) et parce qu’ils consacrent très souvent toute leur énergie et tout leur temps à leurs recherches. On pourrait dire qu’on voit la science partout, qu’elle réalise presque tout ce que l’homme utilise, mais qu’on ne l’entend presque pas. Ce trésor non revendiqué est astucieusement récupéré par d’autres, notamment par les politiques qui peuvent ainsi s’octroyer les bénéfices des progrès de la société qu’il a enclenché tout en évitant les dangereux risques décrits plus haut. Cette prise sans péril n’aurait rien de profondément choquant si certaines orientations de la science n’avaient pas tout de même besoin d’un minimum d’audace politique. Tout le monde connaît la nette amélioration des résultats des enquêtes policières grâce à l’apport de la science. Il est clair qu’avec un courage politique déterminé qui ne craindrait pas d’avoir des prétentions qui pourraient être considérées comme futuristes, certains scientifiques pourraient aller extrêmement loin et améliorer de façon spectaculaire la vie des citoyens. La science n’est pas une discipline à production linéaire dans le temps, elle avance souvent par bonds spectaculaires, personne ne peut par exemple dire où en serait le monde aujourd’hui si Einstein n’avait pas existé, et les écarts de développement de plusieurs dizaines de milliers d’années pris par certaines sociétés humaines tout au long de l’histoire de l’humanité le prouvent. Quand on entend certains chercheurs annoncer ce que sera le monde dans vingt ou trente ans, cela fait sourire. Si cinq ans avant la chute du Mur de Berlin, personne au monde ne pouvait le prévoir, il est encore plus compliqué de prévoir l’avenir en science, surtout si on met en place les moyens pour libérer l’énergie des scientifiques qui prétendent pouvoir aller le plus loin possible pour améliorer spectaculairement l’existence des hommes en réduisant leurs efforts et leurs souffrances.
Le temps de la science est totalement différent du temps politique, et ce n’est pas sur les bases de cette dernière qu’on devrait gérer les pans essentiels de l’avenir d’un pays : la maladie, la vieillesse, la sécurité sociale, la retraite, la justice, la police, l’éducation et bien d’autres domaines. Mais tout ceci paraîtra utopique aux yeux de bon nombre de gens, car les politiques, les mains liées, ont réussi à faire partager leur vision lente de l’avenir à une très écrasante majorité de la population. Ainsi, pire que le conservatisme, certains proposent même de nous mener à reculons avec les hourras d’une foule qu’on a réussi à convaincre (paradoxalement pour s’en protéger) que l’avenir se trouvait dans les recettes du passé, qu’un grand peuple était un peuple qui savait suer et non un peuple qui savait penser, qu’il fallait des gourdins pour terrasser les gens du village d’à côté avant qu’ils ne nous volent nos récoltes, que l’avenir était aux braves guerriers et non aux penseurs éclairés, que naître d’un honnête homme et d’une honnête femme, travailler, vieillir et mourir sur terre sera à jamais le seul parcours de vie possible dans l’univers, que la terre était le centre de cet univers, qu’à ce titre il contenait tout ce qu’on pouvait y trouver d’intéressant et qu’il n’y avait nul besoin de vivre longtemps pour parcourir des milliards de milliards d’années-lumière pour ne rien y découvrir, que le pays était le centre de la terre, que nous sommes les humains finaux vers lesquels conduisait l’évolution, que notre civilisation a atteint le summum de l’humanité et qu’il reste juste quelques petits arrangements à faire, que Dieu doit être si heureux de nous voir enfin à son image, qu’il a obtenu le tableau qu’il désirait et que celui-ci restera désormais figé, que les choses seront ainsi pour l’éternité et qu’on a pas à s’inquiéter de futurs rires moqueurs de descendants nous traitant de fieffés primitifs.
Et moi, marginal dubitatif pro-scientifique, pour que l’éternité ne fasse jamais de moi le "néandertalien" de personne, je rêve de voir tous les demains avant de ne jamais mourir, pour pouvoir aller un jour au plus profond de l’univers, pour aller à la rencontre de notre véritable sens. Y a-t-il un homme ou une femme politique qui puisse nous vendre cela ? Y en a-t-il au moins un ou une pour libérer entièrement le premier pouvoir pour qu’il puisse faire de grands bonds dans le futur, ce qui pourrait devenir notre présent, dans cinq ans peut-être ?
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