• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > Le président de la République et le président de Radio France rivalisent de (...)

Le président de la République et le président de Radio France rivalisent de savoir-faire dans l’art du faire savoir

Le 27 février 2009, le président Sarkozy aurait tenu devant ses conseillers des propos négatifs à l’encontre du président de Radio-France, M. Jean-Paul Cluzel. « Le Canard Enchaîné » du 4 mars 2009 les a rapportés.

Le président n’aurait pas apprécié les chroniques de Stéphane Guillon ridiculisant DSK et Mme Aubry : « C’est injurieux, c’est vulgaire, c’est méchant, aurait-il estimé.Vous vous rendez compte de ce qu’il a dit à l’heure de la plus grande écoute, sur la vie privée de Strauss-Kahn ou sur le physique de Martine Aubry. Mais dans quel pays vit-on ? » Il n’aurait pas davantage aimé que le président de Radio-France eût posé masqué et tatoué dans un calendrier de l’association « Act-Up » : «  Ce type est fou, aurait-il tranché. Il se croit tout permis. Sa vie privée, c’est sa vie privée. Il en fait ce qu’il veut mais il n’a pas à s’afficher comme ça. Ce n’est pas digne d’un patron de service public ! (...) Il se laisse manipuler par la gauche et les syndicats  », aurait-il conclu.

Stigmatisé publiquement, le président de Radio France pouvait-il ne pas réagir ? Il l’a fait par un communiqué. Cet échange offre, en tout cas, un exemple intéressant de « relation d’information » où les deux protagonistes se sont portés des coups violents tout en veillant soigneusement à se protéger.

Le leurre de la fuite organisée

Le président Sarkozy ne pouvait pas, dans un discours, comme il lui est pourtant arrivé de le faire avec les enseignants-chercheurs, dire ouvertement tout le mal qu’il pensait du président de Radio-France, sans manquer à la dignité de sa fonction, voire nuire à son image en osant sans risque, fort de son immunité pénale, injurier ou diffamer le responsable d’un service public.

Il a donc choisi ce qu’on nomme le leurre de la fuite organisée  qui permet de faire connaître ce que l’on a à dire tout en se réservant le droit de le démentir. Le Canard Enchaîné a ainsi été informé du mal qu’il pensait de M. Cluzel. Les journalistes accrédités aiment beaucoup ça. Ils font ensuite des livres de ces informations glanées dans la proximité des grands. Ils sont même allés chercher un mot anglo-américain, « le off  », pour qualifier en français la confidence faite hors-micro. Ce sabir donne une allure de technicité complexe à leur métier.

Ce n’est, en fait, qu’une variante du leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée : le président feint de vouloir garder secrète une information qu’il souhaite ardemment voir divulguée par ses auditeurs. Cette information donnée volontairement retire de la divulgation de ce qui est présenté comme une confidence, la fiabilité d’une information extorquée. Et pour clore l’opération, à la fois par souci de se protéger et pour renforcer la crédibilité de la révélation, il reste à la démentir. C’est ce que les services de l’Élysée ont été chargés de faire : « (Le président de la République), ont-ils déclaré, n’a rien dit du tout, ni en public, ni en privé. Nous n’avons pas encore étudié la succession éventuelle de Jean-Paul Cluzel. » La mention de cette succession, qui n’aurait pas lieu d’être si la question ne se posait pas, jette même, s’il en était besoin, une sorte de doute sur le démenti pour qu’il soit bien clair que le président n’a rien dit de ce qu’on lui prête, mais qu’il n’en pense pas moins.

L’ironie et le sarcasme

M. Cluzel ne saurait être mieux averti de ce que le président pense de lui et de son avenir à Radio France. En attendant, la situation était pour lui embarrassante. Il ne pouvait à son tour ni ne pas réagir ni réagir. Sans doute les propos stigmatisaient-ils sa manière d’exercer ses fonctions et portaient un jugement psychiatrique sur sa personnalité : il y allait de son autorité dans la poursuite de sa mission. Mais inversement, il ne pouvait pas répliquer publiquement au président de la République : comme dirigeant d’un service public, un devoir de réserve lui enjoignait de se taire. Et surtout, le président lui avait ôté toute raison de répliquer puisque les propos tenus étaient démentis. La question se posait donc ainsi : comment réagir à cette fuite organisée, c’est-à-dire à une injure et une diffamation qui avaient été proférées pour être divulguées et lui nuire suffisamment avant d’être démenties ?

Le président de Radio-France a choisi la seule voie qui lui restait ouverte, celle de l’ironie et du sarcasme qui est l’ironie portée par l’insistance à un degré paroxystique. L’ironie par antiphrase, on le sait, est le procédé qui consiste à dire le contraire de ce qu’on pense en laissant, pour le deviner, un indice qui est souvent une contradiction. M. Cluzel a donc publié mais à l’adresse seulement des salariés de Radio-France un communiqué. Il a « pris connaissance, a-t-il dit, avec stupéfaction de l’article du Canard enchaîné daté du 4 mars le concernant. (Et il a tenu à faire remarquer) qu’il ne (pouvait) accorder le moindre crédit à des affirmations prétendument rapportées qui porteraient si gravement atteinte à son intégrité, à son honneur et à ceux des personnels de Radio France ».

Ainsi, en ne s’adressant pas au président de la République, a-t-il feint de s’en prendre à l’hebdomadaire pour dénier toute fiabilité aux propos qu’il avait rapportés. À cette fin, il a fondé sa récusation sur une impossibilité radicale découlant d’une règle civique intangible : le président de la République ne peut porter atteinte à l’intégrité et à l’honneur du personnel d’un service public. Si on lui prête donc des propos qui le font, ils ne peuvent tout simplement pas avoir été tenus. Et faisant d’une pierre deux coups, il s’est payé le luxe d’exprimer publiquement sa haute considération pour le président de la République.

Seulement personne ne peut être dupe. C’est au président de la République que son discours s’adresse et il lui reproche publiquement d’avoir manqué aux devoirs de sa charge en le diffamant ! Car deux contradictions sont ici les indices d’une ironie insistante qui devient sarcasme :

- l’une est de feindre d’abord de n’attacher aucun crédit à l’hebdomadaire ; or, s’il est arrivé à celui-ci de commettre des erreurs, il est tout de même réputé pour la fiabilité de ses sources.

- L’autre contradiction est la certitude implicite affichée que le président de la République ne saurait manquer à l’éthique de sa fonction : or, cette croyance n’est qu’une hypothèse autovalidante, non démontrée par définition ; des exemples que chacun garde à l’esprit, la contredisent d’ailleurs, comme le « Casse-toi alors, pauvre con !  » lancé par le président au salon de l’agriculture 2008 à un visiteur qui lui refusait sa main.


La relation d’information, on le voit, peut emprunter des voies bien compliquées. Il faut parfois savoir donner une information en démentant l’avoir fait et ne pas en donner une en étant certain qu’elle sera reçue cinq sur cinq. Président de la République et président de Radio-France viennent de rivaliser de savoir-faire dans l’art du faire savoir tout en feignant ne pas vouloir le faire. Paul Villach


Moyenne des avis sur cet article :  4.73/5   (30 votes)




Réagissez à l'article

12 réactions à cet article    


  • japarthur 9 mars 2009 11:40

    Intéressant décryptage.


    • PtitLudo PtitLudo 9 mars 2009 13:00

      Merci pour l’article. J’avais également noté l’hypocrisie de la part de Sarkozy de citer 2 socialistes alors qu’il s’en fiche comme de l’an 40, mais ceci pour ne pas être ensuite accusé de défendre une nouvelle fois ses amis.

      Pour rappel http://www.bakchich.info/Sarkozy-On-va-virer-la-direction.html

      Il continue sur sa logique de détruire toutes les quelques poches d’indépendance restantes.


      • jocegaly 9 mars 2009 13:01

        Avant de découvrir vos articles, on peut avoir eu la tentation, de crainte d’être manipulé, de ne se fier qu’à l’info « brute ». Brute de décoffrage : des faits, des actes, des photos, des paroles rapportées. A vous lire depuis plusieurs mois, j’apprécie toujours plus la manière dont vous démontez en de nombreuses occasions certains mécanismes parmi les plus fins de manipulation des esprits.

        Voilà une analyse qui permet d’aller beaucoup plus loin, dans un effort de lecture intelligente des médias, que la simple stigmatisation – qui n’en est pas moins utile - des omissions parfois lourdes de certaines presses  , ou de décalages dans la qualité informative des évènements dont elles choisissent – ou pas – de faire état.

        Voilà qui permet aussi – aujourd’hui cela devient une urgence - une sorte d’ « hygiène de lecture » des médias devenue indispensable.

        Merci.


        • Paul Villach Paul Villach 9 mars 2009 15:03

          @ Jocegaly

          Oui, la relation d’information est extraordinairement complexe, puisque déjà peuplée d’illusions structurelles, elle est encombrée des leurres que ses acteurs rajoutent, non par malveillance, mais par nécessité pour tenter d’obtenir une adhésion et/ou pour se protéger. Paul Villach


        • norbert gabriel norbert gabriel 9 mars 2009 16:13

          je n’ai toujours été d’accord avec Jean Paul Cluzel, mais il n’est pas le pire des présidents de Radio France, loin de là. Au moins c’est un homme de radio. Et sa réponse aux propos quasi virtuels de Sarkosy est très adroite (en un seul mot, bien sûr !)
          On pourrait se trouver dans la configuration ubuesque d’avoir bientôt un ex PDG de droite qui avait une radio de gauchistes, et un nouveau PDG de gauche qui nommerait des journalistes de droite, sous couvert d’ouverture. Le pire n’est jamais sûr, mais avec Sa Majesté de l’Elysée, on peut s’inquiéter.
          Soutenons Cluzel.


          • moebius 9 mars 2009 22:25

            ce qui est étonnant dans ce pays c’est le pouvoir que l’on préte aux politique et aux médias qui se marri avec eux....alors que nous autres nous savons depuis longtemps que le politique est un nain de jardin certe à la française mais somme toute impuissant et qui a une toute petite bite en platre moulé Rarement la copulation entre politique et journaliste est féconde.


            • moebius 9 mars 2009 22:31

              la relation d’information est véritablement d’une telle complexité qu’elle peut en décourager plus d’un Si ça se marri ça ne procré pas pour autant ca la relation est en fait rarement consommé..le probléme essentiellle c’est la bite en platre moulé du politique qui n’enfante pas


              • moebius 9 mars 2009 22:34

                trop narcissique comme relation


                • Christoff_M Christoff_M 10 mars 2009 04:28

                   déja le type est barbu et en Srkozie et retour du conformisme bien pensant, c’est une tare...

                  qui fait que vous etes vite classé !!

                  j’ai testé pour vous entretiens avec ou sans barbe...

                  et meme réaction d’un ancien cadre qui m’a regardé comme un zombie parce que je suis arrivé avec une barbe bien taillée pourtant, j’ai eu droit à des reflexions style islamiste ou autre !!

                  profonde la France de 2009 !! depuis j’ai attaqué la personne en question qui a perdu étant visiblement à court d’arguments quand au motif de licenciement à part le délit de sale gueule et des motifs non énonçables devant un tribunal...

                  Défendez vous si vous pensez etre dans votre bon droit, mais seulement si les attaques portées contre vous sont douteuses, cela fera avancer le schmilblic des rapports de hierarchie dans les entreprises !!

                  certains avec la crise confondent employés et "domestiques"... c’est pour cela qu’une modernisation ou qu’un capitalisme déjanté peut amener à tout le contraire de ce qu’il prétend défendre...

                  ou est le progrès quand un cadre plus haut placé vous insulte et ne tient pas compte de votre travail ??!!

                  la crise actuelle a tendance à favoriser ce genre de dérapages, mais les réactions limites viennent de gens qui ne sont pas la ou ils devraient etre, je parle des gens issus de l’arrivisme, des réseaux et du piston...
                  Je respecte énormément les petits entrepreneurs et artisans qui se battent actuellement et embauchent toujours plus que les grandes structures ou les postes peuvent favoriser les dérives de certains...

                  Encore une fois Sarkozy ne donne pas l’exemple en se melant de la vie du président d’une radio ou d’une chaine télé... il axe tout sur la façade et peu sur la compétence personnelle...


                  • Cher Paul Villach,
                    Une fois de plus grand merci pour cette leçon de "démontage-remontage" toute en subtilité et tout à fait révélatrice des mécanismes qui régissent la matière


                    • docdory docdory 11 mars 2009 00:09

                       Cher Paul Villach 

                      Spectaculaire échanges de pièces dans une parte d’échecs . La question est de savoir si la situation va évoluer vers un mat ou vers un pat !

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès