Le prix du cochon
Il était difficile de les éviter : de grands bacs réfrigérés qui entravaient directement le flux des consommateurs, juste après que nous ayons franchi les portiques d’entrée de l’hypermarché. C’est souvent comme cela, dans la grande distribution : face à l’entrée, les « promotions » du jour, les gros packagings censés scotcher les acheteurs et les convaincre qu’ils ont raison de venir dépenser leur argent ici plutôt qu’ailleurs, les grosses « bonnes affaires ».
Sauf que pour un samedi après-midi, on trouve le flux quelque peu tenu.
— Tu as vu ça, me demande monsieur Monolecte ?
En fait, on n’a toujours pas vu ce que contiennent les bacs, mais les grandes affiches criardes annoncent la couleur :
Porc : à partir de 1,59 €/kg !
— Qu’est-ce que tu en penses, ça vaut le coup, non ?
Dans leur cercueil de métal et de froid gisent des monceaux de carcasses de porcs. Des moitiés, des quarts de porcs figés sous de fins linceuls de plastique translucide.
— J’en pense qu’à ce prix-là, l’éleveur ne peut même pas se rembourser la bouffe du cochon, que ce n’est juste pas possible, ce genre de prix. J’en pense que je n’ai même pas envie de savoir comment ces bêtes se retrouvent vendues à ce prix-là ici. Pas envie de savoir jusqu’où on est allé pour pouvoir proposer cette viande à ce prix-là.
De toute manière, nous n’avons pas un sarcophage à bouffe à la maison comme la plupart de nos voisins et même si c’était le cas, ce n’est pas comme cela que je remplirais, pas avec… ça…
On continue notre chemin tout en notant distraitement le comportement des autres clients. Comme nous, ils sont forcément stoppés par la barrière de chair et du pas cher, comme nous, ils regardent et rôdent un peu et tout comme nous, ils continuent leur chemin sans rien prendre.
— Tu vois finalement, ça ne marche pas tant que ça, leur histoire. Faut dire qu’ici, il y a encore beaucoup de paysans, de gens qui savent donc qu’à ce prix-là, il y a forcément une couille dans le potage, que ce n’est pas un juste prix et que ce ne peut pas être vraiment quelque chose de bon à manger. Après, t’inquiètes, il y en aura forcément des plus désespérés qui vont « sauter sur l’occasion »… ou pas.
Vers les caisses, c’est le grand calme aussi. Ça fait plus mardi en début d’après-midi que samedi. Et nulle part, nous ne voyons de quart de cochon en partance dans un caddie. J’en profite pour demander à la caissière :
— Il n’y a vraiment personne, c’est normal pour un samedi ?
— Oh, vous savez, c’est la fin du mois… déjà… et il fait beau. Ils font autre chose.
Dernière pensée pour le cimetière des cochons industriels.
— Oui, et ils ont bien raison.
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