Le problématique concept de « race »
Est-ce que le racisme découle du mot « race » ? Sous l’angle lexical, certainement ! Mais sous l’angle psychologique et social ? Peut-on penser que la simple suppression d’un mot va entraîner celle des maux dont il est porteur ? C’est ce qu’on semble pourtant croire à l’Elysée et au Palais Bourbon.
Longtemps nous avons vécu avec la certitude de plusieurs races au sein de l’espèce humaine. A vrai dire, il n’y en avait pas douze, ni même cinq ou six, mais trois, précisément, avalisées par la science. La race blanche ou caucasienne qui regroupait très largement les individus d’origine européenne et leurs descendants, quelles que soient les nuances de leur peau. La race noire ou africanoïde, qui n’avait pas moins essaimé dans le monde, et dont le berceau était évidemment en Afrique. Enfin, la race jaune ou asiatique qui était principalement concentrée en Asie orientale.
Sur quoi était basée cette classification ? Sur des caractéristiques d’ordre physique (et pas seulement la couleur de la peau) qui se retrouvent majoritairement dans l’un ou l’autre de ces trois groupes humains, sans que ces différences d’origine génétique n’entraînent une hiérarchisation et des inégalités – ce qui pourrait être la définition du racisme. Toutes se fondaient au sein d’une même espèce, dans une parfaite absence de barrières à l’inter-fécondité. Qu’y avait-il de mal à affirmer que l’humanité est une et plurielle à la fois ? Cela ne ramenait pas l’être humain au rang des animaux domestiques (sur lesquels il a pratiqué de nombreux croisements). Cela corroborait simplement le long travail de l’évolution - à défaut d’une mystérieuse volonté de la nature -, constat appelant le respect et la tolérance.
Mais il est dans le moteur de la science de toujours lutter contre les évidences. Et ces deux dernières décennies, avec le perfectionnement de ses outils de recherche, elle a pu atteindre le niveau génomique, faisant apparaître une quasi unité de tous les êtres humains. Ainsi le biologiste Bertrand Jourdan, dans un récent article issu d’un entretien sur France Culture, expliquait « qu’il n’existe pratiquement aucune variation entre l’ADN de deux êtres humains pris au hasard…ils sont semblables à 99,99%. ». Et d’ajouter – comme quoi les antiracistes sont des spécistes qui s’ignorent – « que cette homogénéité ne concerne que l’humanité. ».
Cependant le même Bertrand Jourdan déclarait, dans un autre article paru sur France Inter.fr, que « par les analyses ADN, on peut obtenir des informations sur la provenance des ancêtres d’un individu. » Et de conclure prudemment « qu’il n’y a aucun lien entre les différences génétiques entre groupes et des différences de capacités cognitives. ». De cela, au moins, nous en sommes convaincus. Si ce n’était pas le cas, on pourrait nous taxer d’avoir une approche raciste de l’humanité. Seulement ce qui est dit ici en filigrane, c’est que des différences génétiques – assertion corroborée par d’autres scientifiques – subsistent quand on se donne la peine de les chercher, jetant du coup une ombre sur cette belle théorie de l’homogénéité humaine.
Ces différences, pourquoi une certaine intelligentsia veut à ce point les occulter ? Par crainte de froisser la susceptibilité de ceux dont les ancêtres ont été colonisés par les occidentaux ? Ou par peur de donner ainsi du crédit à des poussées de racisme primaire ? N’est-ce pas plutôt cette parole politiquement correcte qui risque de favoriser un retour en force du refoulé racial – au nom de la liberté de pensée - et donc de s’avérer contre-productive ?
En proposant, récemment, de supprimer le mot « race » du préambule de notre constitution au profit du mot « origine », Emmanuel Macron et ses députés ne font pas autre chose que de « gazer » frileusement notre langue. Pensent-ils réellement que la cause du racisme est dans le mot « race » ? Et qu’en l’éradiquant de ce texte princeps on va du même coup en juguler les effets les plus sinistres ?
Ce parti-pris nominaliste n’est pas seulement naïf ; il est également dangereux pour les perspectives de censure et d’appauvrissement linguistique qu’il ouvre. Avec lui plane le spectre de l’administration orwellienne. D’autre part, il n’est pas du tout certain qu’il fasse rapidement consensus dans la population. Et il y a gros à parier que les policiers et les médecins-légistes, quand ils lanceront un avis de recherche ou autopsieront un cadavre, continueront à se référer aux vieilles catégories de races et de couleur de peau.
Osons le dire sans détour : la peur et le rejet de l’autre existent en dehors de leur nomination. Ils sont naturels à tout être vivant et mieux vaut les regarder bien en face. Ce n’est pas par la logomachie mais seulement par une éducation raisonnable et généreuse qu’on peut espérer les endiguer dans l’esprit des générations futures.
Jacques LUCCHESI
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