Le procès d’un humaniste
"L'aide médicale de l'État (AME) est un dispositif permettant aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d'un accès aux soins." Telle est l'introduction de l'article du site Service-Public consacré à l'Aide Médicale d'Etat. Autrement dit, l'Etat lui-même vient, parfois, en aide aux personnes en situation irrégulière.
Oh, certes, il faut remplir certaines conditions pour y avoir droit : ainsi, il faut résider depuis plus de trois mois en France, ce qui doit être difficile à prouver si l'on ne travaille pas et si l'on n'a pas de domicile, donc pas de justificatif, et justifier également d'un revenu maximum, c'est à dire ne dépassant pas un certain plafond, ce qui implique que l'on accepte le principe même qu'une personne en situation irrégulière puisse travailler (sinon, pas de revenu, logique...) et puisse, de ce fait, fournir des fiches de paye.
On peut toutefois comprendre ce souci d'imposer trois mois de résidence minimum, bien que tout de même le cas par cas devraient être privilégié en toute circonstance, mais on comprend moins les conditions de revenu lorsqu'on sait que les assurances de santé privées n'existent pas en France, et que par conséquent même si un clandestin touchait dix fois le SMIC (je parle de façon purement théorique, tout le monde sait bien que les travailleurs clandestins sont souvent dans une misère noire avant, mais aussi après leur arrivée dans le pays d' "accueil") il ne pourrait s'offrir aucune assurance maladie privée avec ses gros sous. En effet, les clandestins n'ont droit à la "vraie" sécurité sociale que si leur situation est régularisée. Si un clandestin touche plus que les 8 653,16 € règlementaires (ce qui ne fait même pas 1000 € par mois, c'est peu, tout de même...), alors débrouille toi ou crève. C'est administratif, mais pas humain.
Pour faire court et caricaturer un peu, on peut donc dire que l'Etat français accepte d'aider les personnes qui sont de façon régulière en situation irrégulière. Jusque là, on se dit quand même que la France, "pays des droits de l'homme", est un pays profondément humaniste, et l'on ne peut que s'en féliciter. En effet, je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de pays sur cette Terre qui offrent aux clandestins la possibilité de se faire soigner gratuitement par le pays dans lequel ils se trouvent. Il me semble que certaines personnalités politiques souhaitent supprimer l'AMF et je pense que c'est une erreur car d'une part ça ne doit pas coûter tant que ça, vu que peu de clandestins y ont recours (ils ont peur de se trahir en demandant de l'aide et de se faire expulser) et d'autre part on ne peut pas, humainement, regarder tranquillement quelqu'un crever, pour peu que sa maladie soit grave, sans lui porter secours, ou le renvoyer chez lui où les structures médicales n'existent peut-être même pas, sous prétexte que le mec ou la nana est entré illégalement. Légaux ou pas, les gens sont, et restent, des êtres humains.
Autre cas, lorsque les premiers migrants sont arrivés à Calais, il y avait un centre d'hébergement pour les accueillir, le centre de Sangatte. Donc, l'Etat, ou les collectivités locales, je ne sais pas (enfin, quelqu'un d'officiel, quoi) aidait ces personnes en situation irrégulière. Je ne sais pas exactement quand les tous premiers migrants sont arrivés, mais à une certaine époque, à la fin des années 90, je me rendais régulièrement à Calais puisque des amis à moi vivaient alors dans cette ville, et j'ai pu constater que ces migrants ne posaient pas de problème. Ils se baladaient tranquillement en ville et s'il leur arrivait d'avoir de l'alcool, la bouteille était cachée dans un sac en papier, et ils buvaient sans la montrer (ce qui fait qu'on n'a jamais pu vérifier s'il s'agissait bien d'alcool, mais on imagine mal une bouteille de Lola-Loka-tonne-de-sucre-bonjour-le-diabète cachée dans un sac en papier, alors que franchement, elle le mériterait aussi...) Il y avait également des gens à Calais qui les aidaient, ai-je entendu dire. Dès que le centre de Sangatte a été fermé, ce qui était une erreur, ces personnes n'ont plus reçu l'aide humanitaire qui leur permettait de garder la tête au chaud et hors de l'eau, ils ont dû se réfugier dans des tentes (donc quelqu'un, peut-être des associations humanitaires, les a aidés en les leur founissant), certains dans des parcs d'où ils se faisaient virer manu militari, et les problèmes ont commencé. Il me semble même me souvenir que la population de Calais n'avait plus le droit, sous peine d'amende ou je ne sais pas quoi, d'apporter son aide aux migrants, mais je dis cela sous toute réserve. Cela dit, les migrants ont sûrement, et je l'espère, continué à être aidés par la population calaisienne, mais aussi par quelques Anglais ayant, légalement, eux, traversé la Manche. Pour ce qui est des Anglais aidant les migrants de Calais, c'est une certitude car la télé anglaise a, plusieurs fois durant ces dernières années, diffusé des reportages sur eux.
Je ne suis pas en faveur de l'immigration clandestine sur le principe, je ne suis donc pas en faveur de régulariser systématiquement tous les clandestins sans distinction aucune, mais il faut tout de même parvenir à comprendre que les gens ne font jamais cela par plaisir, ils le font parce qu'ils n'ont pas le choix, et qu'ils se trouvent dans des situations vraiment dures (que personne ne supporterait), soit parce qu'ils ont fui un pays en guerre, soit parce qu'ils sont persécutés dans leur pays d'origine, soit parce qu'ils sont, eux et leurs familles, dans la misère totale chez eux, et qu'en plus de ne pas avoir le choix ils risquent leur santé, voire leur vie, en le faisant. Il faut un certain courage pour s'embarquer, les poches vides, dans une telle aventure. Les gens bien au chaud que nous sommes (sans chercher à culpabiliser personne, juste pour rappeler que nous sommes des privilégiés) devraient prendre en compte ce fait.
Qu'il y ait des fraudeurs, des gens qui profitent du système (quoique je me demande comment on peut oser vous coller l'étiquette de fraudeur quand vous fuyez la guerre ou la misère, mais passons...), voire des criminels, dans le "lot" de migrants clandestins, sans doute, il doit bien y en avoir quelques uns, mais ce n'est certainement pas la majorité, et certainement pas une raison pour décider, de façon purement administrative, de mettre tout le monde dans le même panier. On ne peut pas punir un mec qui a fui la guerre sous prétexte qu'un autre a fraudé. Le cas par cas est la seule solution.
Ainsi, bien que l'Etat lui-même offre, ponctuellement et de façon tout à fait officielle, de l'aide aux clandestins avec, par exemple, l'AME, il est tout de même considéré comme un délit d'aider les personnes en situation irrégulière. Faudra m'expliquer...
Cédric Herrou, un agriculteur français, se voit ainsi reprocher d'avoir aidé des personnes en situation irrégulière. Autrement dit, on n'a pas le droit, officiellement, d'apporter de la nourriture, des couvertures, ou d'héberger chez soi des clandestins. Qu'on n'ait pas le droit de leur fournir de faux papier, évidemment, c'est normal, mais comment peut-on oser reprocher à quelqu'un d'apporter une aide vitale à une personne en détresse ?
De même qu'il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier, il faut conserver un certain discernement concernant ce qu'on appelle "aider les personnes en situation irrégulière" et voir ce que, concrètement, la personne a fait.
On reproche à Cédric Herrou, d'après cet article de Libération, de les avoir aidés à franchir la frontière. Je croyais qu'il n'y avait plus de frontières dans l'espace Schenguen ? Comment peut-on reprocher à quelqu'un avoir aidé un autre à franchir une frontière qui, administrativement, n'existe plus ? Ou alors je n'ai rien compris à ce qu'est l'espace Schengen, ce qui est possible. Comme quoi on se met à ressortir des cartons nos vieilles frontières dès que ça nous arrange...
Celà dit, entendons nous bien, s'il y avait une véritable frontière entre, par exemple l'Italie et la France, et que quelqu'un aidait illégalement un clandestin à la franchir, alors là oui, ce serait un délit et je serais la première à le reconnaître, du moins en me plaçant d'un point de vue purement administratif et légal, car je ne peux m'empêcher de prendre systématiquement en compte le côté humain de la chose. Désolée, à mon âge on ne se refait pas. Car je crois qu'il faut absolument voir la détresse des personnes qui ont été aidées par cet agriculteur, et ne pas seulement voir le côté illégal (ou pas) de ce qu'il a fait. Il n'a pas aidé des trafiquants de drogue à passer leur marchandise, que je sache !
On lui reproche également d'avoir facilité la circulation de ces personnes. Autrement dit, Mesdames et Messieurs, la prochaine fois que vous prendrez quelqu'un en stop, demandez à vérifier sa carte d'identité ou sa carte de séjour avant d'accepter de l'embarquer. Et s'il s'avère qu'il s'agit d'un réfugié ayant fui la guerre ou la misère ? Désolé, mais le règlement, c'est le règlement !
Ok, je l'admets, il savait très bien qu'il s'agissait de réfugiés sans titre de séjour, donc de clandestins, et qu'il facilitait leurs déplacements. Et alors ? Qu'était-il censé faire, au juste ? Les regarder d'un oeil indifférent et passer son chemin ? Les embarquer, mais pour les mener au commissariat le plus proche ? Si on suit cette logique, à part dénoncer la personne, je ne vois pas trop ce que l'Etat attend de ses citoyens. Ou comment transformer chaque citoyen en flic ou en petit délateur...
Que le fait qu'il ait ouvert un camp illégal, dans un bâtiment qui ne lui appartenait pas, soit considéré comme un délit est parfaitement compréhensible : on ne s'approprie pas les biens d'autrui comme ça. Il ne faut pas non plus considérer que tout ce qu'il a fait mérite une médaille. Le problème, c'est que des camps, il n'y en a pas (à ma connaissance). On préfère que les migrants crèvent de froid sous des tentes glaciales en plein hiver plutôt que de les mettre au chaud ! Et tout cela, histoire de pouvoir ensuite clamer qu'on ne favorise pas l'immigration clandestine.
Donc, parce qu'un pays refuse, par principe, de favoriser l'immigration clandestine (ce qui, là aussi, est parfaitemenet compréhensible) on laisse à la rue des gens qui sont déjà sur le territoire, et on fait de leur vie un enfer en les secourant le moins possible, voire pas du tout. Si y sont pô contents, ben zon qu'à rentrer chez eux ! Non mais !
On permet aux associations humanitaires, la Croix Rouge par exemple, de venir aider des réfugiés, des groupes de migrants à Calais par exemple (car je suppose que les tentes de la "jungle" avaient été fournies par une ONG). L'Etat lui-même (! !) offre (du moins sur le principe) une aide médicale, appelée AMF, aux immigrés en situation irrégulière. Par contre le citoyen lambda n'a pas le droit, lui, d'apporter un peu de réconfort aux personnes dans le besoin qu'il croise sur son chemin.
C'est le procès de la solidarité elle-même qui est faite à cet agriculteur. Il n'est d'ailleurs pas le seul à aider les migrants dans sa région. « Beaucoup de gens, des monsieur-tout-le-monde, se rendent complices d’actions par des dons d’argent, de couvertures, d’aliments [...]" dit-il, ses propos étant rapportés par l'article de Libération. Mais c'est quand même lui qui doit payer, collectivement.
Va-t-on un jour demander aux citoyens ordinaires de vérifier d'abord que quelqu'un est bien en situation régulière avant de lui offrir un café chaud ou une couverture ?
Il est dit dans l'article de Libération qu'il risque cinq ans de prison et une forte amende. Cinq ans de prison ! N'importe quoi ! Il n'a tué personne, que je sache ! Il n'écopera sûrement pas d'une telle peine, mais risquer, dans les textes de loi, cinq ans de prison pour avoir aidé des gens, même s'il faut pour cela se mettre dans l'illégalité, c'est quand même ahurissant ! Quand je pense que des délinquants, des vrais, risquent moins que ça, ou écopent de moins que ça, pour des actes graves, je me dis qu'il y a un truc qui ne fonctionne pas quelque part...
On parle en fait de quelques mois avec sursis requis contre lui. Ce n'est pas vraiment mieux. En d'autres termes, s'il recommence à aider les migrants... ben il va en prison. Sans passer par la case départ, et bien sûr sans toucher 20 000 francs.
Qu'on n'accepte pas de réquisitions de bâtiments pour installer des camps sauvages, d'accord (bien que l'Etat, lui, ait parfaitement le droit de réquisitionner ce qu'il veut, au nom de ce qu'il veut, mais passons...), mais qu'au moins on laisse tranquille les citoyens qui apportent une aide et un soutien quotidiens (et pas seulement du café chaud ou une couverture, mais aussi s'il s'agit de les transporter d'un point à un autre du territoire national. On préfère peut-être que ces gens s'épuisent à traverser le pays à pieds ??) aux migrants en détresse, aussi illégaux soient-ils ! Bref, qu'on accorde aux gens le droit d'être humains.
De toute façon, ce n'est pas aux citoyens de décider qui a le droit ou non de rester sur un territoire national. C'est à l'Etat de le faire. Et s'il ne parvient pas à résoudre une situation compliquée, c'est son problème. Les citoyens ne sont ni des flics, ni des balances, ni des fonctionnaires du Ministère de l'Immigration. En conséquence, lorsque des migrants se trouvent déjà sur le territoire, qu'ils soient ou non en attente d'être expulsés, s'ils ont faim, s'ils ont soif, s'ils ont froid ou s'ils ont besoin de faire de l'auto-stop, les citoyens devraient être en droit de les secourir sans risquer de se faire jeter en prison ou payer une amende délirante.
Vous entendez les applaudissements du public lorsque Brassens entame l'Auvergnat ?
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