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Le ramadan en Afrique centrale, acte de foi ou calvaire

Si dans les sociétés d’abondance, les musulmans voient le ramadan comme un acte de foi, le meilleur mois de l’année, ce n’est pas le cas en RD Congo, au Rwanda ou au Burundi, où cette période draîne quotidiennement des foules devant les magasins et maisons des riches musulmans à la recherche de l’aumône pour le repas du coucher du soleil. Ceci ressemble plus à de la mendicité qu’à une solidarité envers les pauvres.

L’approche du mois du ramadan constitue un événement important, essentiel pour les musulmans. Les gens attendent cette pédiode avec impatience et solennité, avec joie et révérence puisque c’est le mois de Dieu, le mois où il faudra expier ses péchés. Quand vous longez les avenues de Dubaï aux Emirats arabes unis ou de Jehda en Arabie saoudite, vous apercevez facilement la différence des périodes d’avant, pendant et après le mois de ramadan. Pendant cette période sainte, exceptionnelle dans leur vie, les gens sont concentrés..

Il en est de même en Occident, où nous vivons : les musulmans attendent cette période avec aisance et plénitude d’esprit. De nombreuses familles préparent cette période bien à l’avance, les provisions sont constituées une ou deux semaines avant le début du jeûne. Les refrigérateurs sont bondés d’aliments, de nourriture. Les habits des enfants sont déjà achetés. Pendant cette période, il est fascinant de constater que même les jeunes gens musulmans, qui sont habitués à porter des jeans et à écouter de la musique pop dans leurs chambres, changent de tenue, portent les tenues de prières musulmanes et ne sortent plus.

Dans l’immeuble où j’habite, en Suisse, les trois quarts des ocupants sont musulmans, et pendant cette période de ramadan, tout est calme : les couloirs sont vides, les chambres résonnent seulement des sermons et prêches de l’islam.

C’est à partir du coucher du soleil, vers le soir, que vous sentirez un peu de mouvement dans le couloir, le va-et-vient des chambres à la cuisine principale pour préparer le repas du soir.

Mais, la période de ramadan en Afrique centrale n’est pas pas vécue de la même mainière pour tous les musulmans de la RD Congo, du Rwnada ou du Burundi. Si certaines familles, minoritaires évidemment, trouvent cette période très importante, et voient en elle une occasion de se rapprocher de plus en plus d’Allah, bon nombre de familles ont peur d’affronter cette période, qui apparaît comme une épreuve supplémentaire à surmonter à tout prix.

Il s’agit de se priver de ce que l’on ne trouve pas facilement ou pas du tout, notamment le repas.

Un riche Arabe rencontré à Dubaï, aux Emirats arabes unis, ne nous a-t-il pas dit qu’il ressentait un grand bonheur en se privant de manger, de fumer pendant cette période et qu’il souhaiterait la prolonger au-delà d’un mois et plus, puisque ça lui permet d’oublier le plaisir du manger et de fumer ?

Peut-être qu’il ne savait pas que sous d’autres cieux, certaines personnes cherchent en vain comment trouver ce repas de fin de la journée afin de respecter l’acte de foi envers Allah.

Il est frappant de constater que beaucoup de gens, en période de jeûne, passent plus de temps à penser comment ils vont trouver le repas du soir plutôt qu’à se consacrer à la prière.

Au Rwanda, où il existe une proportion plus importante de musulmans par rapport à la RD Congo et au Burundi, les personnes parcourent les journées entières, à la recherche des gens aisés de confession musulmane pour demander l’aumône pour le repas du soir.

Les rues de la ville où abondent les magasins détenus par les riches rwandais ou arabes sont bondées. Certaines familles n’arrivent pas à supporter de faire un jeûne d’un mois puisqu’elles n’en sont pas capables. Mais elles se résignent, puisqu’il ne faudrait pas montrer que l’on transgresse les commandements de l’islam. D’ailleurs, si les parents comprennent mieux les règles de l’islam et arrivent à supporter les souffrances liées à la privation de la nourriture, qu’ils trouvent d’ailleurs rarement et péniblement, les enfants, eux, s’accommodent mal de voir qu’on leur demande de se priver de manger pendant la journée alors qu’ils ont toujours des problèmes pour trouver de la nourriture.

Pour eux, le ramadan ressemble à un phénomène quotidien : tous les jours, pour eux, c’est déjà le ramadan.

Comme le repas constitue un horoscope, les jeunes gens se permettent, parfois, de manger au courant de la journée puisqu’ils n’espèrent pas trouver un autre repas le soir. Les mosquées sont souvent remplies, tous les soirs de prière, surtout celles qui proposent les repas d’après la prière du soir. Les gens qui vont prier ne le font pas parce qu’ils sont convaincus, mais parce qu’ils voudraient trouver l’endroit où se nourrir.

Les maisons de riches commerçants rwandais sont assaillies par les gens venant partager le repas de la fin du jeûne. Dans ce pays, où la crise économique commence à affecter mêmes les riches commerçants du pays, on se demande si cette solidarité subsistera dans l’avenir, parce que les jours à venir s’annoncent de plus en plus sombres.

En RD Congo, bien que l’islam ne soit pas très développé, il est observé dans la province de Maniema et vers le Sud Kivu, notamment à Uvira, à la frontière avec le Burundi. A Kinshasa, l’islam est presque inexistant par rapport à la religion chrétienne à laquelle se rattachent plus 80% des habitants de la capitale. Néanmoins, dans les communes telles que Bandalungwa et Kinshasa, les musulmans se rencontrent autour des familles aisés, pour partager le repas de la fin de la journée.

Les quelques rares musulmans disséminés dans la ville de Kinshasa et n’ayant pas la possibilité de trouver à manger sont obligés de s’informer dans les mosquées ou ailleurs pour trouver où partager le repas du coucher du soleil.

A Kinshasa, pendant la période de ramadan, c’est le moment de chercher l’Autorité de confession musulmane chez qui on pourra s’alimenter.

Et les longs trajets, les fatigues ne pourront pas dissuader la personne de sortir de chez elle.

C’est pourquoi certaines personnes se demandent comment ces errements quotidiens pourront permettre aux fidèles de se concentrer et se confier fidèlement à Dieu.

Ne prétendent-elles pas que la situation sociale ne permet pas d’être en bonne relation avec son Dieu, puisque, au lieu de se confier totalement à Dieu pendant cette période, on passe tout le temps à penser à la dureté de la vie ?

Comme les repas manquent régulièrement, à quoi servira le ramadan, quand pour les familles sans ressources, la privation de la nourriture n’a aucun sens dès lors qu’on en manque tous les jours ? D’ailleurs, la crise alimentaire n’affecte plus seulement les couches les plus défavorisées de la population de cette région, elle est devenue genéralisée puisque presque les trois quarts de cette population vivent désormais en dessous du seuil de pauvreté. Et plus les années passent, plus la situation sociale devient difficile ; et la plupart des gens qui disposent d’un peu de ressources se réplient sur eux-mêmes et sur leurs familles.

Toutes les ressources dont ils disposent, disent-ils, doivent être bien gérées et partagées en famille. Les gens commencent à avoir peur du lendemain. Et les crises politiques, même sporadiques, n’encouragent pas certaines personnes à revenus moyens à pratiquer la solidarité pendant cette période de ramadan puisque les possibilités financières deviennent rares et que cette période de ramadan ne changera rien à leur pessimisme.

Au Burundi, on s’en sortait mieux, puisque la plupart des commerçants et hommes d’affaires appartiennent à la religion musulmane, et que beaucoup de mosquées dans ce pays proposaient le repas du soir pour ceux qui ne sont pas capables de se prendre en charge. Comme la plupart des commerçants musulmans au Burundi, sont ressortissants d’Afrique de l’Ouest notamment Maliens et Sénégalais et des Arabes ressortissants des Emirats arabes unis, la situation paraissait facile puisque ces commerçants apportaient des contributions substantielles aux mosquées pour venir en aide aux musulmans démunis.

Comme dans cette région, les évolutions et changements politiques, même démocratiques, n’accompagnent pas toujours le changement dans l’amélioration des conditions de vie de la population, ces commerçants quittent depuis cinq ans le pays, et vont s’installer dans d’autres pays africains où le contexte des affaires est moyennement bon, en l’occurrence en Tanzanie, au Mozambique et en Angola.

Les quelques commerçants qui restent peinent à contribuer ou contribuent peu aux fonds pour la période de ramadan. Et c’est souvent le sauve-qui-peut. Si, après la prière du soir, les gens sont nombreux pour partager un repas parfois insignifiant, c’est la désolation pour ceux qui ne sont pas forts et capables de se tailler une place avant la distribution du repas. Si vous avez de la chance, vous pouvez ingurgiter deux ou trois cuillères de soupe, mais dans le cas contraire, vous risquez de sortir de la mosquée sans avoir rien mangé.

Le ramadan, dans ces pays, commence à revêtir un aspect formel plutôt que spirituel ; les gens, pour éviter les reproches de leurs amis et proches sur le non-respect du jeûne, accomplissent cet acte de foi, à contre-coeur, afin de respecter les prescriptions de l’islam ; mais au fond d’eux-mêmes, ils ne sont pas convaincus.

D’ailleurs, les aides que les pays arabes consentent aux associations islamiques et aux mosquées parviennent rarement aux destinataires puisque les gens ont pris, dans cette région, les mauvaises habitudes de se servir, au lieu de servir. C’est pourquoi plusieurs dignitaires musulmans sont assis sur des fortunes colossales, acquises à travers les aides reçues des pays du Golfe. Ces fonds destinés aux constructions de mosquées, aux aides aux familles démunies, transitent souvent dans leurs poches avant d’être allouées au compte-gouttes à des oeuvres caritatives musulmanes. Et tout ceci affecte grandement les budgets des mosquées, destinés venir en aide aux plus démunis, surtout pendant les périodes de jeûne.

Et l’islam manque énormément dans cette région d’assise intellectuelle et politique, et est souvent considéré comme une religion venant de l’étranger.

Si l’islam s’en tire mieux au Rwanda, grâce à son comportement exemplaire pendant le génocide de 1994, ce n’est pas le cas en RD Congo ou au Burundi, où il est considéré comme une religion marginale comparativement à la religion catholique, qui non seulement produit plus des trois quarts des intellectuels de cette région, mais aussi fournit la presque totalité de la liste des responsables politiques et économiques de ces pays. Et tout ceci n’est pas favorable à l’islam qui ne dispose pas de structures éducatives à la hauteur des autres religions. Dans une région où les crises sont devenues endémiques, le peu de ressources dont les Etats disposent sont d’abord réparties entre ceux qui détiennent le pouvoir, et les musulmans se retrouvent rarement dans ce petit cercle des privilégiés.

Dans cette région où les solidarités négatives sont devenues des valeurs sociales de référence, avec le principe que la famille passe avant la société, même dans la gestion des affaires publiques, ce ne sont pas les quelques musulmans présents dans l’appareil politique ou administratif qui arriveront à renforcer cette religion.

Heureusement, comme le disent les saintes écritures : Heureux les pauvres... Disons les pauvres d’esprit, car ils hériteront du royaume des cieux. Et tous ces gens qui ne parviennent pas à accomplir convenablement leur acte de foi envers leur Dieu, non parce qu’ils ne le veulent, mais parce qu’ils n’en peuvent plus à cause de leur sitiuation sociale, Dieu ne pourrait-il pas vraiment être clément à leur égard ? Le jeûne constitue un des piliers de l’islam, et une des conditions pour aller au paradis : puisse Dieu le Miséricordieux pardonner à ces gens qui subissent les conséquences des sociétés de plus en plus pauvres et inégalitaires.

Source : Kilosho Barthélemy Covalence Genève


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8 réactions à cet article    


  • ka (---.---.30.12) 21 novembre 2006 13:23

    Bonjour Monsieur Barthélémy

    La condition de ces personnes que vous décrivez est très difficile et c’est vrai que pour elles ce doit être d’autant plus difficile en période de ramadan puisque elles se retrouvent devant un sacré dilemme entre la réalisation d’un précepte religieux et la satisfaction d’un besoin primaire dont elles connaissent la difficulté chaque jour de l’année.

    Vous dîtes :

    « Et tous ces gens qui ne parviennet pas accomplir convenablement leur acte de foi en vers leur Dieu, non parce qu’ils en veulent mais parce qu’ils n’en peuvent plus à cause de leur sitiuation sociale, Dieu,ne pourrait-il pas vraiment être clément à leur égard ? »

    Il est bien évident que Dieu ne peut être que clément envers ces personnes qui crèvent de faim. Le ramadan concerne certes tous les musulmans mais ce rite permet justement aux personnes qui peuvent subvenir à leurs besoins de comprendre ou du moins de se rapprocher de se que peuvent ressentir les pauvres qui n’ont rien à manger et qui ont l’esprit tourmenté par la faim. C’est dans un désir de compassion que cet acte doit être réalisé, il ne s’agit pas d’un sacrifice. Les pauvres eux qui ressentent la faim tous les jours n’ont pas à respecter ce rite au risque de perdre leur vie qui ne tient déjà qu’à un fil. Ce raisonnement n’a rien de religieux il est tout simplement logique.

    Les enfants également n’ont pas à jeûner. Le jeûne du mois de ramadan dans l’Islam est obligatoire à partir de la puberté (l’apparition des premières règles pour les filles). Les personnes malades comme les diabétiques qui ne peuvent supporter le jeûne, les femmes enceintes ou certaines personnes âgées sont également exemptés de ramadan. Le ramadan ne doit pas être réalisé s’il constitue une menace pour la santé et encore moins s’il constitue une menace pour la vie.


    • Romain Baudry 21 novembre 2006 14:52

      L’Islam prévoit effectivement des dérogations, mais la pression sociale incite peut-être les musulmans démunis à respecter tout de même le ramadan. Même si on souffre effectivement de la faim, il ne doit pas être aisé d’assumer le fait de se distinguer des autres musulmans en se dispensant du jeûne.


    • Micheline (---.---.59.15) 21 novembre 2006 14:52

      ben pourquoi c’est plus difficile pour eux le ramadan ? ca change rien, ils ont deja rien a manger en temps normal...


    • ka (---.---.30.12) 21 novembre 2006 15:42

      Oui vous avez raison le problème vient en grande partie de cette pression sociale, malheureusement les gens ont du mal à se défaire dans certaines régions du qu’en dira-t-on, du regard des autres, de leur jugement, et cela existe aussi dans les sociétés dites « occidentales », même si c’est moins fortement ressenti car le poids des traditions est moins important. Mais la pression ne vient pas toujours de l’extérieur d’où l’idée de dilemme, les personnes qui ont une foi sincère et forte acceptent difficilement de renoncer à certaines choses sous prétexte qu’elles ont des difficultés à les réaliser et malheureusement cela peut mener à des résultats dramatiques.


    • (---.---.162.15) 22 novembre 2006 11:46

      « Il est bien évident que Dieu ne peut être que clément envers ces personnes qui crèvent de faim. »

      Hum, et c’est parce qu’il est clément que le Dieu tout puissant les fait crever de faim ?

      Am.


    • ka (---.---.30.12) 22 novembre 2006 20:25

      Réaction prévisible de la part d’un non-croyant.


    • Wama (---.---.153.51) 23 novembre 2006 02:02

      C’est l’essence même du ramadhan : pauvre, riche, puissant ou soumis tous égaux devant dieu pendant un mois (au delà de ce que je dis plus bas). La première bouchée du soir est appréciée à sa juste valeur par tous.

      Une chose est sûre : si en plus on n’a pas de quoi manger au couché du soleil ça doit être difficile...Mais avouons que le problème est complètement différent et n’a rien à voir avec le ramadhan.

      Merci pour l’auteur.


    • Basta (---.---.65.221) 22 novembre 2006 18:33

      D’accord avec Ka. Une personne ayant déjà du mal à se nourrir normalement n’a pas à respecter l’obligation du jeûne rituel s’il y a risque pour sa santé du fait de ce jeûne.

      @ l’auteur : votre article expose une situation de précarité où le respect du ramadan est secondaire, voire décalé, devant la nécessité de survivre. Dans ce cas, l’Islam autorise même la consommation de porc (rigoureusement interdit par ailleurs), alors le ramadan...

      On reste à balancer entre consternation et colère devant le gâchis du continent africain. La responsabilité de certains pays européens, dont la France, dans ce gâchis est indéniable. Après avoir pillé ses richesses, encouragé la corruption des dirigeants locaux (Ah, Mobutu, et l’autre, l’empereur de Centrafrique !), torpillé toutes les solutions de développement véritable, ces pays européens restent en spectateurs devant la désolation africaine, pire : continuent leurs manoeuvres de déstabilisation, dans le but de piller ce qui reste. C’est une honte pour un pays civilisé.

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